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Derrida J., Ibid., p 151.

Dans le document La lecture derridienne de Heidegger (Page 60-65)

Les fins de l'homme (1968), texte publié dans Maraes de la ·philosophie (pp 129-164), interroge 1'humanisme et sa contrepartie

75 Derrida J., Ibid., p 151.

comme présence à soi, est une répétition, formulée par la pensée heideggerrenne de la différence, de 1 ' essence de l'homme de la métaphysique. Elle permet de remonter en-deçà des concepts métaphysiques en interrogeant 1'origine de 1'origine.

Mais cette proximité, dans les termes heideggeriens, est antique. La question de l'être se tient pourtant dans cet espace qui sépare et rapproche proximité antique et distance ontologique. La pensée de la vérité de l'être reste, dans le contexte de la lecture grammatologique, une pensée de l'homme. Elle reste contaminée par 1'humanisme et la métaphysique. L'homme et le nom de l'homme ne disparaissent pas du texte heideggerien, cela est impossible. «Il s'agit au contraire d'une sorte de réévaluation ou de revalorisation de 1 ' essence et de la dignité de l'homme.»76 Ce que la métaphysique menace, c'est 1'essence de l'homme, que Heidegger entend «penser avant et au-delà de ses déterminations métaphysiques. »77

Dans les termes de la pensée heideggerienne d'une dé-limitation de la différence métaphysique, cela dit dans la perspective grammatologique, Heidegger cherche à soustraire la pensée de 1'essence à 1'opposition essence/existence. Il ne fait pas porter la question sur le fait que l'homme existe, il la fait porter, selon Derrida, sur 1'essence de l'homme. La revalorisation de 1'essence est aussi une revalorisation d'une dignité de l'homme et d'une proximité de l'être de l'homme. En ce sens, la distance ontologique qui se donne comme proximité antique doit être élargie par la pensée de la vérité de

l'être, elle devient alors une proximité ontologique.

D'une part, l'être n'est rien, il n'est pas un étant, donc il n'est pas, il ne peut être dit et ne peut se dire que par le biais de la métaphore antique du proche et du lointain. «C'est dans 1'insistance métaphorique que se produit alors 1׳interprétation du sens de l'être.»78 D'autre part, si Heidegger déconstruit 1'autorité du présent sur la métaphysique, cela 1'oblige à penser la présence du présent. Cette métaphore phénoménologique ouvre sur 1׳ espace de la présence et la présence de l'espace. Car le privilège reconnu au langage parlé, à la phonè, est lié au motif de la présence comme présence à soi. Le proche et le propre se pensent avant 1'opposition métaphysique de

76 Derrida J., Ibid., p. 154. 77 Derrida J., Ibid., p. 154. 78 Derrida J., Ibid., p. 157.

1'espace et du temps. La déconstruction heideggerienne s'inscrit malgré elle dans ce qu'elle ébranle, elle s'inscrit logiquement dans le jeu des oppositions métaphysiques.

L'homme et l'être sont toujours leur propre fin et ils sont la fin de ce qui leur est propre. La fin de l'homme, c'est la pensée de l'être, et l'homme est la fin de la pensée de l'être. La déconstruction heideggerienne s'inscrit dans les limites de la métaphysique en restant sous 1'emprise de 1 'onto-téléologie. Dans les termes de la pensée derridienne, la contamination de la pensée de l'être et de la pensée de l'homme ne permet pas une libération de 1'opposition essence/existence.

Distance, proximité, proche, lointain, propre et présence n'ont donc, selon Derrida, pas d'autres expressions que la métaphore. Dans

Les fins de 1'homme, Derrida avance que la déconstruction

heideggerienne ne serait qu'une critique radicale de la métaphysique comme j eu d'oppositions conceptuelles. La métaphorisation de cette critique ne conduit pas à une sortie hors de la métaphysique79.

Une des conséquences de 1'interprétation derridienne de Heidegger consiste à identifier une réduction à la question du sens, qui est aussi une réduction au signifié. La destruction heideggerienne de 1'humanisme métaphysique se produit à partir d'une question herméneutique portant sur le sens ou la vérité de l'être. Cette destruction serait une réduction à la question du sens, du moins dans la perspective grammatologique, de même qu'une critique de l'humanisme de la métaphysique. Cette réduction au sens doit être considérée, dans le lexique derridien, comme une subordination du signe au sens ou comme le refus de sa libération. Ainsi, dans ce contexte, loin d'abandonner le courant phénoménologique inauguré par Husserl, Heidegger le pousse plutôt à sa limite, en questionnant 1 ' essence de 1'essence métaphysique, comme origine de la différence entre essence et existence

79 Derrida aborde plus particulièrement la question de la métaphore dans un texte intitulé La mythologie blanche. Texte d'un article qu'on retrouve dans Maraes de la philosophie (pp. 247-324). On y apprend que tout philosophème relève du métaphorique ou est «contaminé» par le métaphorique : «Un nom est propre quand il n'a qu'un seul sens. Mieux, c'est seulement dans ce cas qu'il est proprement un nom. L 'univocité est 1 ' essence, ou mieux, le télos du langage. Cet idéal aristotélicien, aucune philosophie, en tant que telle, n'y a jamais renoncé. Il est la philosophie.» Derrida J., Ibid., p. 295. Derrida aborde aussi ce thème dans Psvché. Inventions de l'autre, au chapitre intitulé Le retrait de la métaphore. On peut lire aussi, au sujet de la métaphore chez Derrida, le livre de Bouchard G., livre intitulé Le procès de la métaphore.

ou sens et finitude.

Enfin, les questions du temps, du temps présent, de la présence et de la présence à soi sont rediscutées dans un tout autre contexte, soit dans 1'article intitulé Ousia et grammè. Note sur une note de Sein

und Zeit (1968), texte que nous abordons dans la suite de notre exposé,

dans lequel Derrida recompose 1'approche grammatologique en insistant sur le caractère aporétique des conceptions vulgaire, métaphysique ou ontologique du temps.

Quant à la question de 1'humanité de l'homme chez Heidegger, Derrida la reprend dans Heidegger et la question. Autant dire que la plupart des questions que Derrida soulève dans ses premiers écrits sont reprises et recomposées dans ce livre, dont nous verrons que seule la dernière partie est considérée par Derrida comme un essai. Dans ce livre, il rend compte à nouveau de 1'opposition heideggerienne à la métaphysique. Mais, Heidegger ne plaide pas pour autant en faveur de 1'inhumain, car penser contre 1'humanisme signifie plutôt qu'on ne pense pas assez haut 1'humanité de l'homme. Ces propos sont annoncés dans les textes que nous venons de parcourir et leur développement repris dans les suivants, jusqu'à ce que Derrida en tire une véritable conclusion.

Nous l'avons dit, nous voulons rendre compte de leur progression et de la cohérence de cette progression. Enfin, la récurrence des interrogations derridiennes ne doit pas nous faire oublier leur origine programmatique : le signe libéré du phonocentrisme et la logique grammatologique de cette libération.

Ce mouvement de la pensée de la différance nous reconduit à la question heideggerienne du sens du temps. Si le présent se déploie dans 1'essence même de la présence, s'il appartient à 1'unicité de l'être, la langue devrait trouver un mot unique pour le nommer : en cela nous paraphrasons Heidegger. Si tout mot de la pensée qui s'adresse à l'être est risqué, il n'est pas pour autant impossible, car l'être parle à travers toute langue. Cette parole ne peut pas se libérer du signe.

«Telle est la question : 1'alliance de la parole et de l'être dans le mot unique, dans le nom enfin propre. Telle est la question qui s'inscrit dans 1'affirmation jouée de la différance. Elle porte (sur) chacun des membres de cette phrase : «L'être/parle/partout et toujours/à travers/toute

langue.»8°

Mais 1'insistance de Derrida à parler de texte et d'écriture dans sa considération de 1'herméneutique heideggerienne du sens de l'être ne tient qu'à un bref passage de Être et Temos.

Au moment où Heidegger demande explicitement, et Derrida à sa suite : sur quel étant le sens de l'être s ' inscrit-il où l'on doit aller le lire ?80 81 Cette insistance derridienne est justifiée par l'économie générale de sa réflexion, elle contamine la question de la présence, telle qu'il la propose dans son texte. Mais, selon nous, la lecture derridienne au sujet de la présence, nous oriente vers les développements proposés dans Ousia et grammè. Note sur une note de Sein

und Zeit (1968), nous renvoie à De la qrammatoloaie (1967) et à la

question du signe libéré du phonocentrisme. Le développement de cette question dans les Maraes de la philosophie est essentiel et s'inscrit dans les parages, sinon au centre, de la question de la présence et de la voix. Nous y reviendrons au chapitre suivant.

Le signe libéré entraîne la naissance d'une science, la grammatologie, qui serait considérée comme régionale par Heidegger. Derrida montre que Heidegger, malgré sa méditation, ne peut rejeter, ne rejette pas, cette science du signe et du sens. L'affirmation heideggerienne d'un étant exemplaire ne contourne pas la logique de

80 Derrida J., Maraes de la philosophie, p. 29. Derrida cite Heidegger (Cf., Heidegger M., La parole d'Anaximandre (1946) dans Chemins qui ne mènent nulle part, pp. 441-442 pour la citation dans la citation. Et, Heidegger M. , Ou'appelle-t-on penser ?. (1954) p. 214, parce que Heidegger redit exactement la même chose avec les mêmes mots). Il en est aussi question dans Introduction à la métaphysique : «Mais 1'essence et l'être parlent toujours déjà une langue». Cf., Heidegger M., Ibid., p. 65. Nous soulignons.

Heidegger a écrit : «[...] Pensée et Poésie sont, en soi, le parler initial, essentiel et par conséquent du même coup le parler ultime que parle la langue à travers l'homme.» Heidegger M., Ou'aooelle-t-on penser ?. p. 139. (Cf., aussi, La

parole d'Anaximandre, dans Chemins oui ne mènent nulle part, p. 396. où la pensée

est aussi poème). Et, «La langue devrait donc, pour nommer ce qui se déploie dans l'être, trouver un seul mot, le mot unique.» (Cf., Heidegger M., Ibid., p.441). 81 E. Martineau traduit ce passage, en écrivant «déchiffrer» : «Sur quel étant le sens de l'être doit-il être déchiffré [...].» Heidegger M., Être et temos, p. 29, paragraphe 2, p. 7. Et, Derrida J., Maraes de la philosophie, p. 149 : «Sur quel étant le sens de l'être doit-il être lu (abgelesen) [...].» Il s'agit de lire Être et Temos afin de comprendre toute la place que Heidegger accorde au contraire au «parler» comme fondement ontologico-existential de la parole. (Cf., Heidegger M., Être et Temos. pp. 129-134, paragraphes 34-36, pp.160-169).

1'essence, elle η'abandonne pas la logique de la langue de l'essence, cela est impossible, pas plus que ne le fait tout à fait la science du signe libéré de son phonocentrisme. Heidegger ne peut refuser la contamination, s'en exclure, de la question du sens de l'être et de l'ontologie classique. Certes, il ne pose pas ces questions dans les termes d'un refus ou d'un consentement obligé : tout se passe comme si Derrida les reprenait en son nom et au nom de Heidegger. Telle est la maîtrise derridienne au sein de 1'interprétation grammatologique82.

82 Heidegger discute du signe et du signifié dans Traité des catégories et de la

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