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Derrida J., Marges de la philosophie, pp 6-7.

Dans le document La lecture derridienne de Heidegger (Page 51-57)

La différance, c'est d'abord le titre d'une conférence prononcée en 1968 et publiée dans Maraes de la philosophie Ce néo-graphisme

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interroger les limites qui servent à former ou à formuler la question du sens (de l'être ou du temps), comme présence ou comme présence absente ou voilée. Il semble bien que cette question reconduise tout bonnement à la question de la différence ontico-ontologique. Entre la différence qu'on ne peut plus penser dans l'horizon du présent, différence comme différence différée, et la temporalisation comme horizon transcendantal de la question de l'être, où il faut libérer cette question de la domination métaphysique du présent et du maintenant, la communication est étroite. Pour mieux dire, Derrida se propose de libérer les termes avec lesquels la question heideggerienne du sens de l'être et du temps est posée. La libération de ces termes exige la libération du signe, elle commande aussi un tout autre questionnement de la présence et un bref retour à la question sémiologique.

D'une part, dans la problématique sémiologique saussurienne, le signe est arbitraire et a un caractère différentiel. Le signe est arbitraire parce qu'il est constitué dans un réseau d'oppositions. Ce principe saussurien affecte la totalité du signe, il affecte tous les signes, que ce soit dans le couple signe/signifié ou signe/signifiant. Le signifié, c'est le concept, le sens idéal. Le signifiant, c'est ce que Saussure appelle l'image, l'empreinte psychique d'un phénomène. Dans la langue, dit Saussure, il n'y a que des différences

conceptuelles ou des différences phoniques. Le signifié, le concept signifié, n'est jamais pleinement présent. Tout concept s'inscrit donc dans un réseau de différences. Dans un tel jeu de renvois, la différance n'est plus alors simplement un concept, mais la possibilité de la conceptual!té. Possibilité sans cesse différée, puisque la différance est le mouvement qui produit les différences, tout en se produisant avec elles. Ce qui ne veut surtout pas dire que la différance est origine. Ce nom ne lui convient pas.

D'autre part, il ne peut y avoir de présence avant la différence sémiologique, avant le langage, hors d'elle ou hors de lui. En étendant au signe ce que Saussure dit de la langue, Derrida renverse et excède l'affirmation saussurienne voulant que le fait de la parole précède tout de même !'établissement de la langue comme langage. Le passage obligé par Saussure, comme fondateur de la question linguistique en général, se comprend, chez Derrida, dans les termes que nous venons d'évoquer. Le signe est différé, mais la parole reste d'une certaine

façon première au sein du phonocentrisme saussurien.

Enfin, la difiéranse est soumise à un certain nombre de substitutions au cours du travail de lecture derridien. Elle est «ce qui fait que le mouvement de la signification n'est possible que si chaque élément dit «présent» [...] se rapporte à autre chose que lui- même [...].»59 Sorte de mouvement actif de production dont le résultat est différé ou sorte de production de la différence sans origine.

Il s'agit donc, pour nous, de rendre compte, de comprendre et d'interroger ces substitutions et la fidélité derridienne à leurs premières apparitions sous les noms de trace et de différence. Si bien que la question suivante, énoncée par Derrida lui-même, résume ce que nous nous efforçons de comprendre :

«Est-ce que pour autant la différence s'ajuste dans l'écart de la différence ontico-ontologique, telle qu'elle se pense, telle que 1'«époque» s'y pense en particulier «à travers», si l'on peut dire,

1'incontournable méditation heideggerienne ? Il n'y a pas de réponse simple à une telle question.»60

La lecture derridienne de Heidegger s'ouvre, dans La différance, sur cette simple question et aussi sur la suivante : que veut donc dire «conscience» ? Nous allons donc établir que la lecture grammatologique se déploie en ce sens, c'est-à-dire que ses thèmes ne seront jamais tout à fait absents jusqu'à la publication du premier essai proprement dit sur Heidegger, intitulé De l'esprit.

Ainsi, la conscience se rassemble en elle-même en sa présence. Le sujet parlant ne serait pas présent à soi avant sa parole ou son signe. Peut-on concevoir, demande Derrida, une présence à soi du sujet dans une conscience silencieuse ? Le sujet comme conscience ne peut être autrement que comme présence à soi, tandis que la catégorie du sujet ne peut se penser sans la référence à la présence. Le privilège accordé à la conscience, chez Husserl par exemple, signifie aussi un privilège accordé au présent. Ce privilège, c'est 1'élément de la pensée prise dans la langue métaphysique. On ne peut interroger ce privilège sans interroger la dé-limitation onto-théologique de la métaphysique dans la pensée heideggerienne.

59 Derrida J., Ibid., p. 13. 60 Derrida J., Ibid., p. 22.

En ce sens, la différance n'est d'une certaine façon que le déploiement de la question de la différence ontologique. Il faut donc rendre compte, avec Derrida, du privilège accordé par Heidegger au présent, à la présence comme détermination onto-théologique de l'être. Est-ce que la différance est alors une simple détermination de la différence ontico-ontologique ? La réponse est non. C'en est plutôt une radicalisation.

La différence est pensée dans 1'horizon de la question de l'être, dans 1'horizon de la différence ontologique. Dans le j eu de la trace, la différance est d'une certaine manière première, d'une certaine manière seulement, devant la différence ontologique. Elle n'appartient pas en propre à 1'horizon de l'être, qui n'a jamais été pensé autrement qu'en se dissimulant derrière ou dans l'étant. Car la trace, pas plus que la différance, ne siège dans la pensée de 1'identité : elle ne peut se présenter au présent, elle est constamment différée. Derrida accentue le jeu de la différence dans la différence ontico-ontologique. Même s'il réaffirme la nécessité de poser la question de la différence ontico-ontologique, il ajoute, comme s'il relevait une question laissée en suspens par Heidegger, qu'«il faut séjourner dans la difficulté de ce passage, [...qu'] il faut y laisser en toute rigueur paraître/disparaître la trace de ce qui excède la question de la vérité de 1'être.»61 *

Dans La parole d'Anaxïmandre5^, Heidegger demande : qu'est-ce que le présent et qu'est-ce que penser ( 1 ' essence ? ) le présent en sa présence ? Il soutient que l'oubli de l'être, c'est aussi l'oubli de l'être de l'étant. L'être, dans son essence, est l'être de l'étant, et ce génitif, selon Heidegger, indique une genèse, une provenance du présent à partir de la présence. Il y a donc une présence de l'étant- présent. Dans ce contexte, la présence devient alors un présent de l'étant. «L'essence de la présence [...] et ainsi la. différence de la présence au présent est oubliée.»63 En d'autres mots, selon Derrida, la différence de la présence au présent est pensée comme la différence de l'être à l'étant. Différence ontologique, dit Heidegger, de laquelle Derrida entend tirer quelques conséquences.

61 Derrida J., Ibid., p. 23.

63 Cf., Heidegger M. , La parole d ’ Anaximandre dans Chemins crui ne mènent nulle part, pp.387-449.

Selon Derrida, Heidegger entend montrer que la différence de l'être et de l'étant a disparu sans laisser de trace métaphysique. Chez Heidegger, la trace de la différence s'efface dès que la présence apparaît comme un étant-présent. Considérons cependant que c'est une autre façon de parler de l'oubli du sens de l'être et que la position de Heidegger n'est pas toujours claire quant à l'oubli du sens de l'être ou l'oubli de la trace de la différence. Mais, si la différence est autre qu'absence et que présence, si elle est trace différée, il faut parler, avec Derrida cette fois-ci, d'une disparition incomplète de cette trace. Car 1 ' effacement heideggerien de la trace de la différence, c'est aussi son tracement dans le texte métaphysique. Ce texte garde la marque de ce qu'il efface. Le présent est signe de signe, trace de la trace effacée. Il n'est pas ce à quoi renvoie tout renvoi, il est renvoi généralisé. La trace de la différence s'est perdue, mais cette perte est pourtant gardée dans le texte sous la forme de la présence et du propre, qui ne sont, selon Derrida, que des effets d'écriture. Le propre de la présence est de garder la trace de la différence en 1 'effaçant. C'est en ces termes, à première vue équivoques, que Derrida parle de l'unicité conservée dans les questions heideggerrennes du sens de l'être et de la présence.

Mais, après avoir parlé de 1'effacement de la trace, Derrida affirme, en parlant de Heidegger, que la différence de l'être et de l'étant ne peut être une expérience de 1'oublié que si elle est gardée dans la langue dans laquelle l'être advient, que si sa trace est inscrite dans le texte. Si 1'innommable n'est pas un ineffable, l'effet nominal appelé différence n'est rien de plus, et c'est déjà beaucoup, qu'un système de renvois à 1'infini : tout le contraire de la quête d'un nom propre. Il n'y a plus de possibilité de trouver un mot unique de la pensée, un nom propre à la pensée de l'être.

Car, selon Heidegger, le rapport au présent se déployant dans 1 ' essence de la présence est unique et incomparable à tout autre rapport. Il appartient à l'unicité de l'être. La langue devrait donc trouver un mot unique pour nommer ce qui se déploie dans l'être. Mais, il n'y a que 1'affirmation de la différance comme différence différée qui ne mène pas au silence. Le renversement derridien, c'est donc de reconsidérer 1'effacement du signe.

Il faut admettre ce renversement et admettre que seules la perspective grammatologique et la pensée de la différance permettent à

Derrida d'interpréter les textes heideggeriens. Cela signifie-t-il qu'il abandonne toute compréhension interne de ces textes au profit d'une compréhension externe ? La réponse est non. Il faut cependant admettre les effets interprétatifs de la maîtrise de la pensée derridienne et les termes du passage d'une économie générale (de la linguistique à la grammatologique) d'interprétation à une économie restreinte (de la différence à la différance), sans que l'une soit soumise à l'autre et admettre que les différents contextes interprétatifs puissent être modifiés.

Ce renversement, dans les lieux qui lui sont propres, les textes de la métaphysique, n'a pas véritablement lieu, puisque la prise en charge de 1'effacement du signe s'efface, reste muette, et que la quête d'un nom propre donné à la pensée est abandonnée. Nous n'en resterons pas là avec ces affirmations derridiennes, puisque nous y reviendrons en abordant le texte de Derrida intitulé Ousia et grammè. Note sur une

note de Sein und Zeit, dans ce chapitre, à la section Présence et

Humanisme et présence

Les fins de l'homme (1968), texte publié dans Maraes de la

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