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Ce lien n'est pas rompu, par exemple, chez Platon (Phèdre) chez Aristote (De 1'interprétation), chez Hegel (Esthétique) et chez Husserl (Recherches logiques).

Dans le document La lecture derridienne de Heidegger (Page 33-37)

CHAPITRE PREMIER

32 Ce lien n'est pas rompu, par exemple, chez Platon (Phèdre) chez Aristote (De 1'interprétation), chez Hegel (Esthétique) et chez Husserl (Recherches logiques).

Derrida explique que le phonocentrisme accompagne la détermination du sens de l'être en général comme présence, comme présence à soi du «s'entendre-parler». Le logocentrisme, de Platon à Heidegger, est lié à la détermination de l'être de l'étant comme présence et

«Dans la mesure où un tel logocentrisme n'est pas tout à fait absent de la pensée heideggerienne, il la retient peut-être encore dans cette époque de 1'onto-théologie, dans cette philosophie de la présence [du sens auprès de la parole comme expérience de la vérité], c'est-à-dire dans la philosophie. >>33

Quel est alors la mesure du renversement que nous propose la pensée grammatologique ? En affirmant que le concept d'écriture renferme et dépasse celui de langage, Derrida en propose une redéfinition. Le programme grammatologique considère d'abord que 1'organisation conceptuelle que la tradition de la métaphysique occidentale propose du couple signifiant/signifié, se présente comme suit : le signifié n'est jamais le contemporain du signifiant, il y a toujours comme un retard entre eux, précisons que le retard est celui du signifiant sur le signifié. Dans ce cas, le signe est l'unité d'une multiplicité et 1'hétérogénéité de l'unité, étant donné que le signifié n'est pas en soi un signifiant, que son sens ne lui vient pas du signe et que 1'essence du signifié lui vient de la présence. Cette proximité du logos ne peut être que la phonè comme présence et comme présence à soi.

Mais si on soumet le signe à la question de 1'essence, il ne peut être défini qu'à partir de la présence. Cette réponse peut pourtant être contournée, soit en refusant la question de 1 ' essence et en pensant que le signe est mal défini, c'est-à-dire en remettant en cause sa secondarisation. C'est, en quelque sorte, la question du

Bien entendu, nous verrons qu'il ne l'est pas non plus chez Heidegger. Dans Ou'appelle-t-on penser ? , Heidegger demande si dans «l'être pré-sent de l'étant pré-sent» transparaît Cela en quoi il repose. (Cf., Heidegger M., Ibid., p. 217. Nous soulignons.) Cela ? La présence du sens (de l'être), même si Heidegger écrit que ce n'est pas encore décidé. Ailleurs, Heidegger discute de 1'essence oubliée de la présence comme différence de la présence et du présent. (Cf., Heidegger M. , La

parole d ' Anaximandre, dans Chemins qui ne mènent nulle part, p. 439) . Si la

question de 1'essence est aussi question du sens, cela n'est pas sans importance dans le contexte d'une interprétation grammatologique de la pensée de Heidegger. 33 Derrida J., De la crrammatoloaie. pp. 23-24.

grammatologue : le signe échappe-t-il à la question de 1'essence ? Si cette question est produite à 1'intérieur d'une trilogie métaphysique excluant et gardant tout à la fois son premier terme écriture/parole/vérité, la question de 1'essence est alors liée au signifiant et au signifié, mais pas au signe, dont 1'exclusion reste cependant incomplète.

En d'autres mots, le signe échappe à la question de 1'essence, mais reste tout de même lié à la métaphysique de la phonè. Son statut est alors mal défini. La grammatologie interroge la définition et la définition du signe.

La pensée heideggerrenne réinstalle, peut-être bien malgré elle, 1'instance du logos comme phonè et de la vérité de l'être comme un signifié impliqué dans toutes les significations, dans tout lexique et dans tout signifiant linguistique, sans se confondre pour autant avec eux. Mais le signifié se laisse tout de même pré-comprendre en chacun d'eux en étant présent en chacun d'eux.

«La Pensée obéissante à la Voix de l'Être»34 est donc liée au signe dans le couple signifiant/signifié. La pensée s'exprime dans la voix et «cette voix s'entend au plus proche de soi comme effacement absolu du signifiant : auto-affection pure qui a nécessairement la forme du temps [...]»35 présent. Cette expression de la pensée n'emprunte donc rien hors d'elle-même, rien d'étranger à sa spontanéité. Cette expérience de la vérité se produit du dedans de soi et dans 1'élément de 1'universalité du sens. Ses différences sont donc par là effacées et en conséquence, seul le caractère non-mondain du

sens lui assure son idéalité et sa pureté.

Derrida sait très bien que la question du sens de l'être n'est pas explicitement, pour Heidegger, la question du sens du mot «être», mais il sait aussi que le sens de cette différence n'est rien hors du

langage, des mots, et qu'elle est aussi liée à la possibilité du signe. Même si Heidegger évoque la «voix de l'être» en affirmant qu'elle est muette et à 1'origine aphone, qu'elle ne s'entend donc pas parler, il y a pour ainsi dire une rupture entre le sens et la voix, entre «la voix 33

34 Heidegger M., Ou'est-ce aue la métaphysique ?. p. 83. Voici la traduction de cette citation incomplète : «La pensée, obéissant à la voix de l'Être, cherche pour celui-ci la parole à partir de laquelle la vérité de 1'Être vient au langage.»

(Cf., Heidegger M., Ibid, p. 83).

de l'être» et la phonè : cette coupure montre toute la difficulté de la position heideggerienne devant la métaphysique de la présence et son phonocentrisme. Il y a là, pense Derrida, à la fois compromission et

transgression.

D'une part, l'être échappe au signe, et il n'est jamais simplement un signifié. D'autre part, l'être transcende les catégories de l'étant, car dès 1'ouverture de la question du sens de l'être dans être et Temps, Heidegger affirme que les catégories de l'étant devront être abandonnées. La dissimulation du sens de l'être dans la présence, 1'insistance de Heidegger à proposer que l'être ne se produise comme histoire que par le logos, que comme différence entre l'être et l'étant, tout cela veut dire que rien n'échappe au signifiant et,qu'en dernière analyse, il n'y a pas de différence entre le signifiant et le signifié. Ni signe, ni simplement un signifié, sans tout à fait échapper au signifiant, toujours dans le cadre grammatologique, l'être efface et reste soumis à la différence entre le signifiant et le signifié.

L'être, dans la pensée heideggerienne, est donc, du point de vue grammatologique, enraciné dans la métaphysique à la fois comme dévoilement et comme dissimulation. La métaphysique occidentale est limitation de la présence de l'être et est assujettie à la domination d'une forme linguistique. Heidegger le rappelle, par exemple, lorsqu'il parle du privilège de la troisième personne de 1'indicatif présent et de 1 ' infinitif36 et il le rappelle, écrit Derrida, à chaque fois qu'il fait référence au cadre linguistique, que ce soit pour 1'exclure ou s'y impliquer. Ainsi, mettre en question 1'origine de cette domination linguistique, ce n'est pas isoler un signifié transcendantal, mais interroger ce qui constitue 1'histoire de cette domination.

Dans Contribution à la question de l'être, Heidegger nous fait lire le mot «être» sous une croix37, sans que cela soit simplement négatif. Mais cette rature est aussi écriture où le signe s'efface en restant lisible. Derrida pense qu'il faut nécessairement reconnaître 1'originalité heideggerienne (dévoilement/dissimulation) dont le but

3G Heidegger M., Introduction à la métaphvsicrue■ p.67.

37 Heidegger M., Questions 1. p. 233. Pour sa part, Derrida suggère de raturer le mot «est» dans 1 ' expression «la différence est» pour montrer que ce signe est différé (Cf., Derrida J., Maraes de la philosophie, p. 6).11 abandonnera vite cette tentation de rature.

est de déjouer la différence métaphysique (ontico-ontologique) comme effacement du signe, mais, dans la perspective grammatologique cet effacement est incomplet. Cette différence n'est pas originaire, pas plus que son fondement du côté du Dasein heideggerien ne l'est. Il faut déterminer, et cette détermination est derridienne, cette différence ontico-ontologique comme différence de l'être, avant de biffer le premier terme de cette trilogie : différence de l'être, antique et ontologique. Cela équivaut à parler de la différence de la différence ou encore de la différance38.

Deux questions doivent alors être envisagées : 1) est-ce qu'une science de la signification (linguistique) en brisant l'unité du mot s'intéresse toujours au langage ? 2) la réflexion qui s'affiche sous le nom de pensée n'est-elle pas prisonnière de cette linguistique du mot ? Ces deux questions déterminent largement la perspective grammatologique de la lecture derridienne de Heidegger : car la linguistique partage les présuppositions métaphysiques qui sont à 1'origine de la question de la vérité, mais elle ne peut être considérée simplement comme une science régionale dans la question du sens de l'être. Cependant 1'analyse du sens ne doit pas et surtout ne peut pas exclure la logique ni la grammaire qui s'inspire de cette logique.

«L'analvse du sens, telle que 1'entreprend 1'ontologie de 1'être-là, rencontre la question de savoir si les chemins de la pensée peuvent être épuisés par la logique traditionnelle, si le langage de la pensée peut être compris en fonction d'une grammaire qui s'inspire de la logique. La logique traditionnelle peut-elle saisir la mobilité du sens ou est-elle simple logique de 1'étant donné ? La grammaire qui s'oriente à la logique est-elle capable de comprendre la langue comme articulation de 1'ouverture originaire de 1'être-au-monde, ou doit-elle être «libérée» de la logique ?»39

Dans la mesure où l'être s'unit à la pré-compréhension du mot «être», rien ne justifie, aux yeux de Derrida, que la linguistique soit

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