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(geistige Führung) dont parle aussi bien le Discours du rectorat que 1׳Introduction à la métaphysique se

Dans le document La lecture derridienne de Heidegger (Page 175-181)

laisse interpréter, de part en part, comme possibilité du questionnement.»335

«Ce discours sur 1'esprit est aussi un discours sur la liberté d'esprit.»336 Si rien ne précède la conduite spirituelle, c'est qu'elle est inconduite. Plutôt que de faire tourner à l'infini la question de la question, Heidegger parle d'un saut dans la question. Ce saut libère le surgissement originaire sans qu'on ait à s'introduire à la question, à partir d'autre chose que d'une conduite questionnante, une conduite spirituelle, c'est-à-dire à partir de l'esprit.

«Dans son essence spirituelle, cette libre conduction ne doit donner lieu à aucun suivisme, on ne doit lui reconnaître aucune suite, aucun suiveur, aucune Gefolgschaft [suite partisane], aucune agrégation de disciples ou de partisans.»337

nous, d'associer, dans sa polysémie, ou l'esprit déconstruit.

333 Derrida J., Ibid., p. 56.

334 Cette expression a 1 'avantage, selon l'esprit du sujet et 1'esprit métaphysique, 335 Derrida J., Ibid., p. 56.

336 Derrida J., Ibid., p. 56. 337 Derrida J., Ibid., p. 57.

L ' esprit et le monde

Dans Introduction à la métaphysique, Heidegger demande : Qu'appelons-nous le monde ? Et il répond : «Le monde est toujours monde spirituel.»338 Heidegger ajoute que 1 ' animal lui, n'a pas de monde ni donc d'esprit. Cette affirmation semble contredire les trois thèses élaborées en réponse à la question posée dans Les concents fondamentaux de la métaphysique : Qu'est-ce que le monde ? Voici ces trois thèses que Derrida discute à nouveau dans cet essai339 : 1) la pierre est sans monde, 2) 1'animal est pauvre en monde, 3) l'homme est «formateur» (weltbildend) de monde340. Derrida reprend un sujet qu'il a déjà abordé, dans un autre contexte, celui de la question de la main et de 1'animalité. Dans ce contexte-ci, sa question est tout autre, car, selon lui, ces thèses de Heidegger doivent aussi répondre à une certaine question de la vie : «Comment 1'essence de la vie peut-elle être accessible et déterminable ?»341 Si Heidegger soumet les savoirs

338 Derrida J., Ibid., p. 60. «Que signifie «monde» lorsque nous parlons d'obscurcissement du monde ? Le monde est toujours monde de l'esprit.» (Cf., Heidegger M. , Introduction à la métaphysique, p. 56) . Heidegger parle aussi du déclin de l'esprit dans Les concepts fondamentaux de la métaphysique, p. 112 : «Ramené à une formule, c'est ceci : déclin de la vie dans et par l'esprit.» Dans

L'origine de l'oeuvre d'art, Heidegger écrit, avant de conclure à l'énigme de

l'oeuvre, de l'art ou du poème (éclaircie et réserve), quant à la question du sens ou de l'être de l'oeuvre, «Être-oeuvre signifie donc : installer un monde. [...] Un monde est le toujours inobjectif sous la loi duquel nous nous tenons, aussi longtemps que les voies de la naissance et de la mort, de la grâce et de la malédiction nous maintiennent en 1'éclaircie de l'être.» Heidegger M., L'origine de

l'oeuvre d'art dans Chemins oui ne mènent nulle part, p.47. Cette référence au

texte de Heidegger appuie 1'interprétation derridienne quant à la question de l'esprit du sujet et du monde chez Heidegger.

339 II en parle brièvement dans Heidegger et la question pp. 192-194. Il est alors question de 1'animalité, de la main et de la préhension du singe. Derrida discute également de la question de 1'animal pauvre en monde, dans les mêmes termes, dans un article paru dans la revue Confrontation. article intitulé «Il faut bien manger»

ou le calcul du sujet. Il en discute au cours d'un entretien avec J.-L. Nancy (Cf.,

Derrida J., Ibid., pp. 106-107).

340 Cf., Heidegger M. , Les concents fondamentaux de la métaphysique. pp. 265 et suivantes. Notons que le monde et la transcendance du monde font l'objet d'une compréhension (expérience du Dasein) qui n'est ni métaphysique (au sens cartésien) ni strictement phénoménologique au sens husserlien. (Cf. Heidegger M. , Être et Temps, p. 245 et p. 252, paragraphe 69, p. 351 et pp. 364-365).

régionaux à des ontologies régionales, et si celles-ci sont aussi soumises à une ontologie fondamentale ou générale, tout cela en rejetant la logique circulaire et la logique dialectique342 , celle de la définition ou de la détermination de 1'essence, si Heidegger cherche à se défaire d'un certain discours métaphysique, comment s'y prend-il et (comment) y parvient-il ?

Ainsi, Heidegger présente ces thèses comme étant des thèses métaphysiques et non pas comme étant des thèses scientifiques. «Que veut dire [alors] «weltarm» ? Que [signifie] veut dire cette pauvreté en monde ?»343 Telle est la forme que prend la question adressée à Heidegger. Derrida y associe la question de 1'essence de la vie à la question de la pauvreté en monde de la vie animale. Tout comme il verra à associer la question du monde à la question de 1'esprit chez Heidegger.

«Le mot pauvreté (Armut) pourrait, mais ce n'est qu'une première apparence, envelopper deux présuppositions ou deux hypothèses.»344 La première hypothèse ou présupposition, a donc trait au mot «pauvreté». Derrida interroge une différence de degré345 entre la pauvreté et la richesse (Reichtum). L'animal serait pauvre en monde, donc pauvre en esprit, et l'homme serait riche en monde, donc riche en esprit, puisque le monde dont parle Heidegger, selon Derrida, est un monde spirituel.

Mais si 1 'animal est pauvre en monde et en esprit, il a tout de même du monde et de l'esprit, tandis que la pierre est sans monde et sans esprit. Mais, Heidegger rejette cette première hypothèse. La différence entre la pauvreté en monde et la richesse en monde dont parle Heidegger ne relève pas d'une différence de degré. La différence tient plutôt à une différence d'essence, car le monde animal n'est pas le monde humain, il n'est pas une espèce ou un degré de monde humain. La pauvreté du monde animal ne signifie pas une indigence, un manque. Même s'il a le sens d'une privation, au sens où l'animal n'a pas assez de monde, ce manque ne peut s'évaluer dans un rapport quantitatif au monde humain. «L'animal n'a pas un rapport moindre, un accès plus

342 Cf., Heidegger M., Être et Temps. p. 224, paragraphe 63, pp. 315-316.

343 Derrida J., Ibid. , p. 61. Que veut dire cette pauvreté en monde ? En quoi l'animal est-il appauvri et comment s'appauvrit-il ? Qu'est-ce qui est plus riche que lui et comment l'est-il ? Telles sont les questions que sous-entend la question derridienne.

344 Derrida J., Ibid., p. 61. 345 Derrida J., Ibid., p. 61.

limité à l'étant, il a un rapport autre. >>346 Cette analyse heideggerienne reste donc prisonnière de la mesure de l'homme, en cherchant

à

s'y soustraire, par le biais de la privation. Cette tentative de libération reste soumise à la différence, à la pensée de la différence. Car la privation est liée au «nous» et au Dasein. L'homme aussi peut être privé de monde et d'esprit.

«Si l'animal n'a pas de monde, donc de monde spirituel, s'il n'est pas de l'esprit, ce ne-pas- avoir-de-monde (Nichthaben von Welt) a un sens radicalement différent de celui de la pierre, qui elle, est sans monde (Weltlos) mais ne saurait justement en être privée.»347

La privation en monde de l'animal est différente de la privation de la pierre. Cette privation en monde de 1'animal signifie un certain rapport au monde,

à

1'avoir-un-monde. La négativité n'est pas la même pour 1'animal et pour la pierre. Il s'agit bel et bien de privation dans un cas, celui de l'animal, et d'absence dans l'autre cas, celui de la pierre.L'animal a et n'a pas de monde, il a et n'a pas d'esprit. Si cette proposition semble paradoxale, si elle n'est pas élucidée, c'est que Heidegger, à la lettre et en ces termes derridiens, n'a pas suffisamment élucidé le concept d'esprit. Sans la spiritualité, il ne saurait y avoir de monde. Il faut donc penser ces deux propositions : l'animal n'a pas de monde, l'animal a un monde et, il a 1'esprit et n'a pas d'esprit. Certes, 1'animal accède à l'étant, mais l'homme y accède

comme tel ou «en tant que» tel. D'autre part, cette privation de

1'animal n'est pas celle que Heidegger situe dans Être et Temps, dans un autre contexte, car la structure de la «compréhension du monde» peut se réaliser dans une explication antéprédicative : elle ne se confond pas avec 1'énoncé «en tant que». Dans ce contexte, celui de Être et Temos. 1'expérience de la privation n'est pas originelle. Ce qui vaut pour le Dasein ne vaut donc pas pour l'animal. L'incapacité de nommer tient à 1'impossibilité de dire, de parler. La phénoménalité du phénomène n'apparaît pas

à

1'animal et ne lui dévoile pas l'être de l'étant. La privation de compréhension de l'animal est distincte de la compréhension antéprédicative du monde par le Dasein et de la

346 Derrida J., Ibid., p. 62. 347 Derrida J., Ibid., p. 63.

possibilité d'être privé de cette compréhension. La privation reste inexpliquée. Mais, peu importe les difficultés logiques, il s'agit toujours dans ces contextes d'inscrire une différence entre le vivant et le Dasein humain. La manière reste téléologique, dialectique et métaphysique. Ces analyses derridiennes valent donc aussi pour Être et Temps. Si bien que la destruction de la métaphysique pourrait bien être compromise par la thèse heideggerienne de 1'animal pauvre en monde. Ces difficultés d'ordre logique restent liées à 1'obscurité de ce que Heidegger nomme l'esprit : si l'animal est sans question ou sans esprit348 349, et que le Dasein peut en être privé, la question peut être la suivante : qu'en est-il du monde ?

«Mais pour ce qui inspire ou guide ici Heidegger, peut-on distinguer entre 1'obscurité du concept ou du mot Geist et 1'obscurité de l'esprit lui-même [1'obscurité du mot «esprit», du concept et du phénomène] ? Corrélativement, peut-on distinguer entre 1'obscurité du concept de monde et 1'obscurité, voire 1'assombrissement du monde lui- même (Weltverdüsterung) , si le monde est toujours «monde de l'esprit» ?»349

Heidegger questionne 1'assombrissement du monde et de l'esprit. Si ces deux concepts sont indéterminés (obscurs), n'est-ce pas, écrit Derrida, que le monde et l'esprit sont justement, assombris ? Il y aurait une destitution de l'esprit, elle correspondrait à cet assombrissement du monde. L'esprit est privé de sa force, il perd un pouvoir qui n'est pas naturel, qui ne relève pas de la nature. Cette destitution, cette perte de pouvoir de 1'esprit, n'ont donc rien à voir avec ladite hébétude animale350. Derrida poursuit son commentaire en proposant quelques remarques au sujet de cette destitution de 1'esprit, tout en maniant les différents registres de cette question dans Introduction à la métaphysique. D'une part, Heidegger ne tient pas un discours sur la crise de 1'esprit, européenne ou occidentale, qu'il considérerait comme un des symptômes de sa destitution. Car, ce serait

348 Derrida associera explicitement, ce sera d'ailleurs la conclusion de son essai, «esprit» et «question», «esprit» et «questionnement».

349 Derrida J., Ibid., p. 72. Derrida traduit et écrit «assombrissement» plutôt que «obscurcissement», un mot trop métaphysique, selon lui (Descartes, Hegel) . Il distingue aussi trois registres dans ce débat : le mot, le concept et le phénomène. 350 Cf., Heidegger M., Introduction à la métaphysique, pp. 56-57.

alors un discours du non-questionnement de l'être que suppose la métaphysique de la subjectivité (Descartes, Hegel, Husserl) . D'autre part, si la destitution de 1'esprit le voue à 1'impuissance, si elle le prive de sa force, cela veut-il dire, et la question est derridienne, que 1'esprit est à la fois une force et n'est pas une force ? Car si l'esprit était une force en lui-même, il ne la perdrait pas. S'il n'était pas une force, la destitution ne 1'affecterait pas. Elle ne serait pas essentiellement une destitution de la force de l'esprit. On doit dire l'un et l'autre à la fois : l'esprit est

à

la fois une force et il ne l'est pas, destitué, 1'esprit n'est pas proprement une force. Il l'est et ne l'est pas dans cette différence entre force et destitution. Chacun des concepts que Derrida interroge, en tant que mot ou concept, monde, esprit et force, se dédouble. Le monde, l'esprit et la force sont à la fois sans être tout à fait ceci ou cela. «Et c'est parce qu'il y a du double que 1 ' Entmachtung [destitution] est possible.»351 Heidegger écrit aussi que la destitution est une figure propre à l'esprit, que cette figure procède en lui. Mais ce dedans, selon Derrida cette fois-ci, a aussi une extériorité, celle qui destitue l'esprit, dans le contexte de certaines formes métaphysiques, par exemple : la certitude du cogito et 1'absence de questionnement

(heideggerien). La mésinterprétation du sens de 1'esprit est aussi une démission de l'esprit, et cela selon quatre grands types : dans !'intelligence, 1'entendement, le calcul, la vulgarisation et la distribution massive. Cette prétendue culture intellectuelle ne manifeste qu'un simulacre et qu'un manque d'esprit352 ; il y a aussi 1'instrumentalisation de l'esprit, et «quand le monde spirituel démissionne devant 1'instrument, il devient culture ou civilisation.»353 Une autre démission de l'esprit, c'est la référence heideggerrenne à 1'esprit qui devient le thème d'une propagande culturelle ou d'une manoeuvre politique. Après avoir dénoncé ces mésinterprétations, Heidegger cite lui-même le Discours du rectorat, il définit encore une fois 1 'esprit et reprend le j eu des guillemets entourant et n'entourant pas le mot «esprit». En citant son propre

351 Derrida J., Ibid., p. 79.

352 Derrida aurait pu, selon nous, mais il ne le fait pas, associer cette intervention et celles gui suivent à une lecture encore plus attentive de Ou'aooelle-t-on penser ? (1951-52).

Discours, Heidegger supprime les guillemets d'un texte déjà publié354.

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