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Les représentations à plusieurs niveaux de Pustejovsky (multi-level representations) (multi-level representations)

Chapitre 2 : Etat de l’art en sémantique lexicale

2.2. Approche formaliste

2.2.6. Les représentations à plusieurs niveaux de Pustejovsky (multi-level representations) (multi-level representations)

Pustejovsky (1995, 6) a développé une méthode de décomposition lexicale : celle-ci nécessite une théorie récursive de la composition sémantique, une sémantique bien formée (la signification lexicale ne subit pas d’influence discursive ou pragmatique) et différents niveaux d’interprétation dans la sémantique. Il tend à prendre en compte toutes les catégories grammaticales : si les verbes ont été largement étudiés, notamment par Levin (1993), les autres catégories n’ont pas reçu de traitement détaillé. Pustejovsky s’est toutefois intéressé à la nominalisation et propose d’analyser les substantifs de la même manière que les verbes. De plus, il insiste sur la nécessité de tenir compte des structures syntaxiques du langage dans l’étude de la sémantique lexicale, car la signification des mots reflète souvent la structure conceptuelle profonde de la phrase.

Pustejovsky (1995, 24-25) justifie la nécessité de recourir à une description décompositionnelle sur la base des exemples suivants :

641) A. John a tué Bill.

B. Bill est mort.

642) A. Marie s’est débrouillée pour finir l’examen.

B. Marie a fini l’examen.

Dans l’exemple (641), le verbe tuer contient l’expression mourir, i.e. l’expression A contient sémantiquement l’expression B si et seulement si chaque situation où A est vraie, B est aussi vraie. Par exemple, si l’on nie la proposition A, B sera faux : si John n’a pas tué Bill, Bill n’est pas mort. Par contre, l’exemple (642) illustre un autre cas : l’expression A présuppose l’expression B si et seulement si dans toutes les situations où A est vraie, B est également vraie et si et seulement si dans toutes les situations où A est fausse, B est vraie. En d’autres termes, le verbe se débrouiller contient l’événement complémentaire finir l’examen, mais il comporte également une présupposition qui fait référence à la tentative de l’action (Marie a essayé de finir l’examen), qu’elle soit réussie ou non. Ainsi, la sémantique du verbe se débrouiller présuppose que l’agent de l’action essaie d’accomplir l’événement. Cette différence motive une analyse sémantique décompositionnelle des prédicats.

Pustejovsky (1995, 57-58) fait l’hypothèse que les items lexicaux ont une représentation sémantique riche définie par des contraintes. Les termes sont décomposés en forme structurée plutôt qu’en un ensemble de traits, i.e. Pustejovsky oppose une approche basée sur les

primitives et une approche basée sur les relations. La première propose que la signification des mots peut être définie de manière exhaustive par un ensemble d’éléments primitifs, alors que la seconde postule que les mots sont associés à un réseau de liens définis. Pustejovsky rejette la théorie basée sur les relations, mais se différencie également de l’approche basée sur un nombre spécifique et défini de primitives pour présenter une approche générative qui peut être caractérisée par un système impliquant quatre niveaux de représentations sémantiques.

Plutôt que de parler en termes de décomposition en primitives, il préfère parler en termes d’aspects compositionnels de sémantique lexicale. Pustejovsky (1995, 58) propose les quatre types de structures suivantes :

1. La structure argumentale (argument structure) : elle spécifie le nombre et le type d’arguments logiques. La structure argumentale est basée sur quatre types d’arguments (Pustejovsky 1995, 63-64) :

 Le vrai argument (true argument) est le paramètre syntaxiquement réalisé de l’item lexical. L’exemple suivant illustre ce cas : Jean est arrivé en retard, où Jean est le vrai argument.

 L’argument par défaut (default argument) participe dans la structure de Qualia, mais n’est pas nécessairement exprimé dans la syntaxe, comme dans l’exemple Jean a construit une maison, où en briques est l’argument par défaut et n’est donc pas exprimé. Les briques correspondent à la matière qui constitue habituellement une maison.

 L’argument implicité (shadow argument) est sémantiquement incorporé dans l’item lexical et est exprimé par un terme spécifique, notamment Marie a beurré le toast avec du beurre salé. Le terme beurre est l’argument implicité à cause du verbe beurrer, mais il est spécifié par l’expression du beurre salé.

 L’adjonction vraie (true adjunct) modifie l’expression logique sans être une partie de l’item lexical et inclut les expressions spatio-temporelles, comme ce mardi dans l’exemple Marie est descendue en Italie ce mardi.

2. La structure événementielle (event structure) : elle définit le type d’événements (état, processus, transition). Par exemple, le verbe construire réduit ses deux sous-événements à un processus et un état, alors que le verbe accompagner autorise un événement télique, i.e.

une transition (Pustejovsky 1995, 71-72) :

construire

E1 : processus EVENTSTR. = E2 : état

Restriction : partie ordonnée de

accompagner

E1 : télique EVENTSTR. = E2 : télique

Restriction : recouvrement Tête : E1 < E2

La structure événementielle est caractérisée par des événements (E1, E2), par des restrictions sur les événements (relations temporelles entre les événements, i.e. partie ordonnée, partie partiellement ordonnée, recouvrement, inclusion) et par une tête de l’événement (qui distingue l’ensemble des transitions, spécifiant quelle partie de l’événement est focalisée par l’item lexical).

3. La structure de Qualia (qualia structure) : elle spécifie le mode d’explication, i.e. les rôles constitutif, formel, télique et agentif. Le rôle constitutif établit les relations entre l’objet et ses constituants : le matériel, le poids, les parties et les composantes. Le rôle formel distingue les objets dans un domaine large : l’orientation, l’ampleur, la configuration, la dimension, la couleur et la position. Le rôle télique décrit le but et la fonction de l’objet, i.e. le but que poursuit l’agent en perpétrant l’acte et la fonction qui spécifie certaines activités. Le rôle agentif dépeint les facteurs impliqués dans l’origine de l’objet : le créateur, l’artefact, le type naturel et la chaîne causale (Pustejovsky 1995, 85-86).

La structure de Qualia n’est pas une liste de faits intéressants à propos d’un objet, mais bien une reconstruction sémantique. Elle donne l’ensemble des contraintes sémantiques dans la compréhension d’un mot. Par exemple, le substantif roman peut être explicité comme suit (Pustejovsky 1993, 87) :

x[roman(x)  CONSTITUTIF(x) = narratif(x)  FORMEL(x) = livre(x) TELIQUE(x) = y,e(lire(x)(y)(e)  AGENTIF(y) = y,e(écrire(x)(y)(e)].

La structure de Qualia donne la valeur des rôles, i.e. le but d’un roman est d’être lu (ce qui renvoie au rôle télique) et le mode de création d’un roman est l’écriture (qui est représentée par le rôle agentif). Le rôle constitutif dépeint l’aspect narratif d’un roman et le rôle formel caractérise l’objet en soi (le livre).

La structure de Qualia détermine également la signification des verbes et la liste de leurs arguments. L’exemple suivant illustre bien ce phénomène (Pustejovsky 1995, 80) :

casser

E1 = e1 : processus EVENTSTR. = E2 = e2 : état

Restriction : partie ordonnée de Formel : cassé(e2,y)

QUALIA = Agentif : action de casser(e1,x,y)

Le verbe casser implique un acte initial qui est un processus suivi par un état résultant.

Ces deux phases sont reliées à des rôles de Qualia, i.e. l’un au rôle agentif et l’autre au rôle formel. La structure de Qualia donne ainsi un ensemble de contraintes sémantiques pour un concept afin de pouvoir l’interpréter.

4. La structure d’héritage lexical (lexical inheritance structure) : elle identifie les relations entre les items lexicaux. En utilisant le même exemple (le roman), on peut illustrer la structure d’héritage fixe d’un item lexical (Pustejovsky 1993, 87) :

x[roman(x)  CONSTITUTIF(x) = narratif(x)  FORMEL(x) = HERITAGE(livre)

 TELIQUE(x) = HERITAGE(littérature)  AGENTIF(x) = HERITAGE(littérature)].

La structure d’héritage lexical permet de décrire la relation entre le roman et la littérature d’une part et la relation entre le roman et le livre d’autre part. Les rôles agentif et télique sont reliés à la littérature et le rôle formel provient du livre.

Les arguments, les événements et les types Qualia doivent être conformes aux conditions de bonne formation définies par le système et à la structure d’héritage lexical. Ces quatre niveaux sont reliés par une transformation sémantique appelée type de coercion (Pustejovsky 1995, 58). Celle-ci consiste en la modification du type d’un argument en un type approprié. Le type du verbe reste le même, mais le type syntaxique du complément du verbe change. Par exemple, l’énoncé Marie commence un livre donne lieu notamment à deux interprétations possibles : soit Marie commence à lire un livre, soit elle commence à écrire un livre. La coercion qui est spécifiée lexicalement par le verbe commencer dicte au complément (le livre) d’être conforme à son type de spécification. Le complément sait quelle interprétation il doit représenter en fonction du contexte. La relation entre Marie et le livre n’est pas spécifiée par commencer, mais le NP contient des informations supplémentaires qui contribuent à réaliser

cette opération (Pustejovsky 1993, 86). Deux autres transformations sémantiques gouvernent également ces quatre structures, i.e. le lien sélectif (selective binding) et la co-composition : l’un caractérise le lien spécifique entre un item lexical et une sous-structure d’une phrase et l’autre correspond à de multiples éléments qui se comportent comme des fonctions générant des sens non lexicalisés pour les mots en composition (Pustejovsky 1995, 61). Ces trois transformations sémantiques capturent les relations entre les différentes expressions syntaxiques. La structure de Qualia autorise donc des transformations sémantiques qui peuvent s’appliquer à la signification des mots.

Pustejovsky (1995, 142) a également recours à ces différents niveaux de structures pour traiter la nominalisation. La structure argumentale permet de saisir le nombre d’arguments propres aux substantifs. La structure événementielle caractérise l’événement auquel le nom réfère. La structure de Qualia décrit la force prédicative du substantif et les informations relationnelles qui lui sont associées.

Par ailleurs, Pustejovsky (1995, 141) distingue deux types de syntagmes nominaux : le type unifié (unified types) et le type complexe (dotted types). Le type unifié hérite des informations inscrites dans la structure de Qualia, i.e. la signification du mot est décrite par différents traits.

Par exemple, une voiture est dépeinte par les traits véhicule et artefact (Pustejovsky 1995, 143). Le type unifié correspond aux termes simples tels que homme, rocher, couteau, ou bien encore nourriture. L’exemple suivant illustre ce dernier terme (Pustejovsky 1995, 146) :

nourriture

ARGSTR. = Arg1 = x : objet physique

QUALIA = Formel : x

Télique : manger(e,y,x)

La structure argumentale donne le type d’argument et la structure de Qualia permet de relier la nourriture à l’activité de manger.

Le type complexe se différencie du type unifié dans le sens où il incorpore la signification de types simples dans l’objet complexe (Pustejovsky 1995, 149). Il possède donc un aspect relationnel inhérent, puisqu’il insère une relation entre un objet et une information qui fait partie du nom. Les termes livre, cours, enregistrement, repas ou bien encore examen sont des exemples de noms de type complexe (Pustejovsky 1995, 174) :

examen

ARGSTR. = Arg1 = x : question EVENTSTR. = E1 = e1 : processus QUALIA = question processus_lcp

Formel : demander(e1,z,x)

Agent : faire(e2,y,x)

L’aspect complexe du nom examen est exprimé par la relation entre les interprétations question (ensemble de questions) et processus (l’action de poser les questions), indiquées dans la structure de Qualia sous formel : ces deux termes représentent la propriété complexe du substantif indiqué sous lcp, i.e. un paradigme lexical. L’examen se distingue toutefois de l’examination, où le premier renvoie à un événement d’artefact, alors que le second n’a pas de dénotation d’un objet physique.

Pustejovsky (1995, 151-152) fait remarquer que les termes complexes se différencient des noms qui sont relationnels par nature, comme frère, sœur ou voisin. La représentation suivante illustre la structure du terme frère :

frère

ARGSTR. = Arg1 = x : humain D-Arg177 = y : humain QUALIA = Const. = mâle(x)

Formel = frère de(x,y)

Un nom relationnel dénote un ensemble d’individus étant dans une relation spécifique avec au moins un autre individu. La relation est indiquée dans la structure de Qualia sous formel, mais elle ne relie pas deux types : la variable y est caractérisée par l’argument x.

La motivation sémantique pour les objets complexes s’explique par le fait que le concept n’est complet que lorsque la relation avec l’activité est établie. Par exemple, lire n’est pas concevable sans l’objet auquel il s’applique. La motivation lexicale des objets complexes se retrouve dans le fait que l’aspect polysémique du lexique est capturé sous forme de type (Pustejovsky 1995, 153).

Pustejovsky (1995, 58) attribue ainsi des représentations complexes aux mots, i.e. chaque item lexical peut être défini en termes de structure. Il fait notamment l’hypothèse que chaque

77 L’argument D-Arg1 est lié à l’argument Arg1, dans le sens où il précise la relation qui les unit dans le rôle formel. L’argument D-Arg1 caractérise la variable x à l’aide de la variable y.

catégorie exprime une structure de Qualia, ce qui offre une représentation sémantique uniforme. Cette structure permet de prendre en compte la composition sémantique des items lexicaux et d’expliquer leur signification. La structure peut subir des transformations lorsque l’item lexical provient d’un contexte, i.e. certains arguments peuvent être omis. La théorie de Pustejovsky fournit donc une structure détaillée des arguments, qui est nécessaire à l’analyse du lexique verbal et nominal.

2.2.7. Le rapport entre les interfaces syntaxe et sémantique : l’hypothèse de l’inaccusativité de Levin & Rappaport Hovav

Si Pustejovsky s’est entre autres intéressé à la structure argumentale des verbes et a donc pris en compte l’aspect syntaxique lié aux verbes, Levin & Rappaport Hovav (1995, 2) ont proposé une théorie qui sous-tend que les aspects de la syntaxe sont déterminés par la signification des verbes. Elles développent une hypothèse, celle de l’inaccusativité, selon laquelle la classe des verbes intransitifs consiste en deux sous-classes, chacune associée à une configuration syntaxique distincte. Des régularités sémantiques dans la composition des deux classes des intransitives permettent de les distinguer. A cause de la convergence des propriétés sémantiques et syntaxiques qui caractérisent ces verbes, l’inaccusativité apparaît comme le moyen idéal pour analyser la relation entre la sémantique et la syntaxe.

Les deux sous-classes des verbes intransitifs correspondent aux prédicats inergatifs et aux prédicats inaccusatifs. Levin & Rappaport Hovav (1995, 3) distinguent les deux sous-classes de la manière suivante : les phrases inaccusatives sont décrites comme n’ayant pas d’argument externe, mais au contraire un argument direct interne ; à l’inverse, les propositions inergatives prennent un argument externe, mais pas d’argument direct interne78. En d’autres termes, les phrases inaccusatives renvoient à une D-structure objet sans sujet, mais avec un patient ou un thème comme argument interne, alors que les phrases inergatives correspondent à une D-structure sujet sans objet, avec un agent comme argument externe.

Levin & Rappaport Hovav (1995, 5) ont notés que deux approches ont été développées sur ce sujet : une approche syntaxique qui dénie que l’inaccusativité est dépendante de la sémantique

78 Le premier chapitre (cf 1.2.1.7.) s’est également intéressé à la distinction entre les structures inaccusatives et ergatives, mais en se basant sur des propriétés syntaxiques et sémantiques superficielles, comme notamment le type d’événement en jeu (verbe de changement d’état versus verbe d’activité), le choix de l’auxiliaire (être versus avoir), la possibilité pour les verbes inaccusatifs et l’impossibilité pour les verbes inergatifs d’utiliser le participe passé en tant qu’adjectif et enfin une structure lexicale différente de la causalité (la causalité réside dans le lexique versus la causalité est exprimée par une opération syntaxique). Ce chapitre exposera en revanche des propriétés syntaxiques et sémantiques plus précises et plus complexes.

et une approche sémantique qui nie que l’inaccusativité est encodée syntaxiquement. Levin &

Rappaport Hovav (1995, 5) se distinguent de ces deux approches en proposant une thèse selon laquelle l’inaccusativité est encodée syntaxiquement, mais déterminée sémantiquement.

Les phrases résultatives sont un bon exemple pour illustrer cette thèse. Une phrase résultative est un XP qui dénote l’état achevé par le référent du NP, qui correspond au résultat d’une action dénotée par le verbe (Levin & Rappaport Hovav 1995, 34). Ce résultat peut être un NP post-verbal, mais pas un prédicat du sujet ou un complément oblique. On nomme cette restriction la généralisation de la restriction de l’objet direct (DOR). Cette généralisation postule qu’un verbe sans objet ne peut pas donner lieu à une phrase résultative. Ceci amène à la conclusion que les verbes inergatifs ne peuvent pas produire de phrase résultative.

Pourtant, il est possible de relever des phrases résultatives avec des verbes inergatifs, lorsque l’on a un NP post-verbal non sous-catégorisé :

643) I (…) ruthlessly roused Mr. Contreras by knocking on his door until the dog barked him awake (Levin & Rappaport Hovav 1995, 36).

J’ai impitoyablement réveillé Mr. Contreras en frappant à sa porte jusqu’à ce que le chien aboie et le réveille79.

644) The joggers ran the pavement thin (Levin & Rappaport Hovav 1995, 53).

Les coureurs ont tracé un chemin en courant.

Dans l’exemple (643), le NP post-verbal n’est pas un argument du verbe. Ce type de NP ne peut suivre que des verbes qui ont la capacité d’être intransitifs. L’énoncé (644) exprime un changement d’état dans l’entité dénotée par le NP (pavement) qui n’est pas un argument du verbe.

En revanche, les constructions inaccusatives peuvent aisément former des phrases résultatives (Levin & Rappaport Hovav 1995, 39) :

645) The river froze solid.

La rivière a gelé et est devenue solide.

646) The bottle broke open.

La bouteille a cassé en s’ouvrant.

647) The gate swung shut.

La porte a claqué en se fermant.

79 La traduction en français ne peut pas reproduire le même effet que la structure anglaise, aussi le NP post-verbal fait partie des arguments du verbe.

Le sujet de surface est analysé comme un sujet dérivé et un objet sous-entendu, ce qui respecte la généralisation DOR.

Une autre différence syntaxique entre les verbes inergatifs et inaccusatifs se retrouve dans le fait que les verbes inaccusatifs n’acceptent pas les NP non sous-catégorisés (Levin &

Rappaport Hovav 1995, 39) :

648) *The snow melted the road slushy.

*La neige a fondu la route en soupe.

Ce phénomène s’explique par le fait que les verbes inaccusatifs n’acceptent pas l’assignation de cas, i.e. ils ne peuvent pas prendre d’objets de surface.

Cependant, tous les verbes inaccusatifs devraient pouvoir apparaître dans une phrase résultative du type (645), (646) ou (647), puisqu’en apparaissant sous la forme d’une D-structure sujet avec un objet direct sous-entendu, ils respectent la généralisation DOR. Or, ce n’est pas le cas. Il y a des conditions de restriction sémantique qui empêchent certains verbes inaccusatifs de donner lieu à une phrase résultative. Les exemples suivants illustrent ce phénomène (Levin & Rappaport Hovav 1995, 56) :

649) Carla remained in the country bored.

Carla a continué à s’ennuyer à la campagne.

650) Willa arrived breathless.

Willa est arrivée essoufflée.

L’exemple (649) ne peut pas indiquer que Carla devient ennuyée en restant à la campagne, mais bien qu’elle était ennuyée avant d’arriver à la campagne et qu’elle continue à l’être.

L’énoncé (650) ne peut pas signifier que Willa devient essoufflée au moment où elle arrive, mais plutôt que c’est le processus (le fait de s’être déplacée) qui l’a rendue essoufflée. Les verbes statiques comme remain (rester) et les verbes de mouvement dirigé inhérent (verbs of inherently directed motion) tels que come (venir), go (aller) et arrive (arriver) sont autant d’exemples de verbes qui ne peuvent pas créer de phrase résultative. Les verbes de mouvement dirigé inhérent peuvent être considérés comme des délimiteurs, i.e. ils sont téliques (liés dans le temps), ce qui implique un état final exprimé. Etant déjà délimités lexicalement, ils ne peuvent pas prendre un deuxième délimiteur, sauf si celui-ci spécifie l’état final (Levin & Rappaport Hovav 1995, 58) :

651) Willa arrived at the airport.

Willa est arrivée à l’aéroport.

Le point final inhérent à la signification du verbe arriver est ici spécifié par l’aéroport.

Une autre preuve se retrouve dans le cas du verbe break (casser), qui autorise les phrases résultatives, même s’il est délimité lexicalement, car il ajoute une spécification à l’état final inhérent (Levin & Rappaport Hovav 1995, 59) :

652) The bottle broke open.

La bouteille a cassé en s’ouvrant.

La phrase résultative ne décrit pas un second état résultant, mais un type spécial de destruction.

Quant aux verbes statiques comme remain (rester), l’incompatibilité de les marier à une phrase résultative provient du fait que les verbes statiques n’acceptent jamais de phrases résultatives. Dans le cadre de l’approche aspectuelle, les achèvements et les accomplissements sont des événements délimités, qui peuvent donner lieu à une phrase résultative. Si une activité peut être transformée en accomplissement et créer une phrase résultative, aucune possibilité n’existe pour un état (Levin & Rappaport Hovav 1995, 62).

L’exemple de la phrase résultative permet donc bien d’illustrer la nécessité de distinguer syntaxiquement les verbes inergatifs des verbes inaccusatifs (généralisation DOR, argument sous-catégorisé ou non sous-catégorisé), mais aussi de prendre en compte la sémantique de ces verbes (prédicats délimiteurs, classes aspectuelles).

Un autre exemple permet également d’illustrer l’hypothèse de l’inaccusativité : l’alternance causative. Celle-ci consiste en la possibilité de transformer une phrase transitive en une phrase

Un autre exemple permet également d’illustrer l’hypothèse de l’inaccusativité : l’alternance causative. Celle-ci consiste en la possibilité de transformer une phrase transitive en une phrase