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Si le français a recours aux verbes support faire, laisser et empêcher pour exprimer la causalité, il peut être intéressant de noter que l’allemand utilise une unique structure dans le cas des verbes faire et laisser, i.e. le prédicat lassen7. Les exemples suivants illustrent ce phénomène :

97) Man hat Hans aus seinem Zimmer gehen lassen.

On a fait sortir Jean de sa chambre.

98) Die Explosion hat das Gebäude einstürzen lassen.

L’explosion a fait s’écrouler l’immeuble.

99) Er hat seine Freundin weggehen lassen.

Il a laissé partir son amie.

100) Marie lässt ihre Tochter allein spielen.

Marie laisse jouer seule sa fille.

Par ailleurs, alors qu’en français deux structures sont possibles lors de l’utilisation du prédicat laisser, en allemand une seule structure existe :

7 Nedjalkov (1976, 32) fait remarquer que le verbe machen peut être utilisé, mais dans de très rares cas, tels que jemanden aufhorchen machen/lassen (éveiller l’intérêt de quelqu’un).

101) Sie hat den kleinen Jungen hereinkommen lassen.

Elle a laissé entrer le petit garçon.

Elle a laissé le petit garçon entrer.

De même, alors qu’en français, on peut modifier la structure syntaxique en introduisant un syntagme prépositionnel, en allemand cette structure est impossible :

102) Max lässt die Kinder fernsehen.

Max laisse les enfants regarder la télévision.

Max laisse regarder la télévision aux enfants.

Dans la perspective de Kayne, le verbe support lassen n’autorise qu’une seule structure, i.e.

un complément phrastique : sie hat [ihre Freundin weggehen S] lassen. Le prédicat lassen, tout comme les verbes sehen (voir) et hören (écouter) donnent lieu à une structure phrastique enchâssée, tout comme en français8 :

103) Sie hat Hans weggehen sehen.

Elle a vu partir Jean.

104) Ich habe ihn das zu einem deiner Freunde sagen gehört.

J’ai entendu dire cela à un de tes amis.

Les deux langues se ressemblent donc bien sur ce point, puisque les mêmes prédicats produisent ce type de structure. Un autre point permet de montrer la ressemblance syntaxique propre aux deux langues, i.e. la structure elliptique (Nedjalkov 1976, 38) :

105) Georg liess beide an sich vorbei (laufen).

Georges a laissé (courir) les deux derrière lui.

Le verbe laufen/courir peut être sous-entendu dans ce type de phrase, alors qu’en général le verbe introduit par lassen/laisser est obligatoirement exprimé. Le prédicat lassen/laisser est employé en tant qu’auxiliaire et nécessite la présence du verbe principal. Un autre cas autorise ce type d’ellipse, notamment lorsque le verbe a été utilisé dans la phrase précédente (Nedjalkov 1976, 38) :

106) Da lässt man also diese Zigeuner da wohnen… Lässt man wohnen? Wer hat da zu lassen?

On laisse donc là habiter ces gitans… Est-ce qu’on les laisse habiter ? Qui les a donc laisser là ?

8 On peut noter qu’en français, les verbes entendre (hören) et regarder (ansehen) emploient le même type de structure.

Le verbe wohnen/habiter peut être sous-entendu dans la dernière proposition, puisqu’il a déjà été mentionné deux fois auparavant.

Cependant, le prédicat lassen possède également des propriétés syntaxiques qui lui sont propres. Il est possible de transformer le verbe lassen en substantif ou en adjectif (Nedjalkov 1976, 38) :

107) ... dass ihr Hänseken jetzt schläft, dass man einen dunen Mann am besten schlafen lässt und dass dies Schlafenlassen... das Beste ist, was sie tun kann.

…que son Hänseken maintenant dorme, que l’on laisse dormir au mieux un jeune homme et que cette permission de dormir…

Cette caractéristique provient de la faculté de la langue allemande de pouvoir juxtaposer les mots les uns aux autres, i.e. de posséder la propriété de scrambling. Le français ne peut pas produire ce type de phrase, puisque l’ordre des mots est syntaxiquement déterminé. La causalité exprimée par le verbe lassen est bien conservée dans le substantif Schlafenlassen.

Cependant, une grande différence réside entre le français et l’allemand en ce qui concerne la production de causalité. Le verbe lassen a un sens causal faible, tout comme le verbe laisser.

Or, le prédicat faire a un sens causal fort. On pourrait donc s’attendre à ce que l’allemand ne produise que de la causalité faible. Pourtant, le prédicat lassen peut être interprété de deux manières :

1. laisser quelqu’un faire quelque chose : zulassen, dass jemand etwas tut (permettre que quelqu’un fasse quelque chose)

2. faire faire quelque chose à quelqu’un : veranlassen, dass jemand etwas tut (causer que quelqu’un fasse quelque chose)

Les deux interprétations renvoient aux deux prédicats laisser et faire, bien qu’il soit possible d’exprimer ces deux significations à l’aide d’une unique structure : jemanden etwas tun lassen (laisser faire quelque chose à quelqu’un). Il est donc possible de différencier le verbe lassen du verbe veranlassen :

108) Man hat Hans veranlasst, aus seinem Zimmer zu gehen.

On a fait sortir Jean de sa chambre.

109) Sie hat ihre Eltern veranlasst, den Bauenhof zu besichtigen.

Elle a fait visiter la ferme à ses parents.

110) Hans hat die Kinder veranlasst, die Suppe zu essen.

Jean a fait manger la soupe aux enfants.

L’utilisation du verbe veranlassen permet de produire de la causalité forte, tout comme le prédicat faire. Toutefois, la structure n’est plus la même : l’insertion de dass modifie la forme causative. De plus, le fait qu’il soit possible d’employer une seule et même structure (le verbe lassen) met en évidence une forte distinction entre les deux langues. Les deux prédicats en français donnent lieu à des états résultants différents, soit obligatoirement réalisés dans le cas du verbe faire, soit non obligatoirement réalisés pour laisser. En allemand, le prédicat veranlassen souligne l’aspect de l’état résultant réalisé, alors que le verbe lassen permet une réalisation optionnelle, tout au moins dans les temps du présent. En effet, Nedjalkov (1976, 36) postule que le verbe lassen au passé implique forcément la réalisation de l’action :

111) Er liess sie gehen. *Sie aber tat es nicht.

Il l’a laissée partir. Mais elle ne l’a pas fait.

La seconde proposition en allemand est inappropriée, puisqu’elle va à l’encontre de l’état résultant concrétisé. Cette propriété tend à prouver que la causalité exprimée par le verbe lassen peut être forte. En français, ces deux propositions ne posent aucune difficulté, ce qui souligne l’aspect non obligatoire de la réalisation de l’état résultant avec le prédicat laisser.

Nedjalkov (1976, 9) préfère les termes de Faktitivität (faire) et de Permissivität (laisser9) aux verbes veranlassen et zulassen. Il distingue à l’intérieur du prédicat lassen ces deux significations. L’exemple suivant est un cas de Faktitivität (Nedjalkov 1976, 23) :

112) Er liess ihn verhaften.

Il l’a fait mettre aux arrêts.

L’idée d’obligation est bien présente : il fallait l’arrêter. Cependant, il est possible de transformer cet énoncé en un cas de Permissivität (Nedjalkov 1976, 25) :

113) Statt sie zu verteidigen, liess er sie ruhig von den Soldaten verhaften.

Au lieu de la défendre, il l’a laissé tranquillement être mise aux arrêts par les soldats.

Le verbe lassen contient donc bien en lui ces deux valeurs possibles. Cependant, dans certains cas, une seule lecture est possible (Nedjalkov 1976, 25) :

114) Er liess sich verhaften.

Il se laisse arrêter.

9 Le terme Faktitivität renvoie à l’idée d’une obligation, alors que le terme Permissivität réfère à la notion d’autorisation. Cependant, ces deux termes ne sont pas en relation avec les concepts de nécessité et de possibilité qui sont reliés généralement aux concepts d’obligation et de permission.

Cet exemple illustre un cas de Permissivität : il autorise qu’on l’arrête. Il est en effet impossible de concevoir cet énoncé du point de vue d’une Faktitivität. Un autre exemple met en évidence le rôle du contexte dans la décision du type de force causale à interpréter (Nedjalkov 1976, 26) :

115) Er liess sie schlafen.

Il l’a laissée dormir.

L’interprétation première est une lecture permissive. Il est toutefois possible de lire cette phrase en tant que Faktitivität à l’aide du contexte suivant (Nedjalkov 1976, 26) :

116) Es gingen Gerüchte um, dass seine Alte ihn nach jedem schlechten Zahltag zur Strafe im Waschfass schlafen lasse oder in den Stall einsperre.

Il y avait des bruits qui disaient que sa vieille après un mauvais jour de paie le faisait dormir dans la corbeille à linge comme punition ou l’enfermait dans l’écurie.

Il faut un contexte fort pour obtenir une lecture d’obligation : la personne doit dormir dans un endroit particulier comme punition. On peut remarquer que lorsque le verbe lassen est utilisé avec un prédicat qui implique des émotions ou des perceptions liées aux sens, la lecture en tant que factitif ou permissif est bloquée (Nedjalkov 1976, 27) :

117) Sie liessen es sich schmecken.

Ils se sont régalés.

Ce type d’expression correspond davantage à un idiome ou à une expression particulière, qui n’implique pas le verbe lassen dans son sens premier.

Étant donné que le verbe lassen peut être utilisé pour exprimer le prédicat faire (dans sa forme factitive ou à l’aide du prédicat veranlassen), de même que le prédicat laisser, l’état résultant ainsi que le rôle de l’agent ont une force causale moindre en allemand qu’en français. Cet aspect est souligné par le fait que pour pouvoir utiliser le prédicat veranlassen, la présence d’un agent causeur, i.e. un individu qui agit sur l’action, est exigée. L’exemple suivant semble difficilement acceptable en allemand, car l’explosion ne peut pas être un agent causeur :

118) *Die Explosion hat das Gebäude veranlasst, einzustürzen.

L’explosion a fait s’écrouler l’immeuble.

La seule possibilité serait d’utiliser le verbe lassen, mais qui exprime dès lors de la causalité faible (en tant que zulassen) :

119) Die Explosion hat das Gebäude einstürzen lassen.

L’explosion a fait s’écrouler l’immeuble.

Par ailleurs, en français il est possible d’utiliser des prépositions afin de modifier la force de la causalité : les prépositions par ou de diminuent la force causale, alors que la préposition à la renforce.

120) Elle a laissé réparer l’appartement à son frère.

121) Elle a laissé réparer l’appartement par son frère.

La préposition à souligne l’autorisation, alors que la préposition par met en évidence l’action de réparer. En allemand, la préposition von (par) peut également être employée, alors que l’équivalent de la préposition à est inexistant :

122) Elle a laissé réparer l’appartement à son frère.

Sie hat ihren Bruder die Wohnung reparieren lassen.

123) Elle a laissé réparer l’appartement par son frère.

Sie hat die Wohnung von ihrem Bruder reparieren lassen.

A nouveau, on peut relever le fait que l’allemand a une causalité moins forte que le français.

Si le français peut utiliser le prédicat empêcher pour exprimer la causalité et que ce verbe support se comporte de la même manière que les deux prédicats causaux faire et laisser, le verbe verhindern en revanche exige une autre structure :

124) verhindern, dass jemand etwas tut Ŕ sie wird verhindern, dass Hans den Apfel isst.

empêcher à quelqu’un de faire quelque chose Ŕ elle empêchera à Jean de manger la pomme.

Le prédicat verhindern implique la présence d’une phrase enchâssée par dass, à l’inverse du verbe support lassen.

L’allemand a une causalité moins riche au niveau des causatives que le français, puisque d’une part elle se base sur une unique structure (lassen + S) et que d’autre part elle exprime une causalité plus faible de par l’utilisation d’un unique verbe recouvrant deux interprétations possibles (factitive/veranlassen et permissive/zulassen).