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Lexique et causalité : une analyse sémantique des noms et verbes d'événements causaux en français

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Academic year: 2022

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Thesis

Reference

Lexique et causalité : une analyse sémantique des noms et verbes d'événements causaux en français

BAUMGARTNER, Annik Nora

Abstract

Le but de ce travail est de présenter une analyse sémantique des propriétés causales des verbes et des noms d'événements du français. Le premier chapitre permet de démontrer que les langues française et allemande disposent des mêmes moyens pour exprimer la causalité, malgré quelques petites variantes linguistiques. Le fait que ces deux langues proposent une même représentation sémantique conceptuelle justifie le choix de restreindre l'analyse à une unique langue. Il convient alors d'exposer les différentes stratégies d'analyses sémantiques lexicales. On peut notamment relever deux approches distinctes: une sémantique lexicale et une sémantique cognitive. Chacune appartient à un courant différent: la première au formalisme et la seconde au fonctionnalisme. Le deuxième chapitre est consacré à la présentation de ces deux visions opposées. Il faut également définir la sémantique des événements. Pour ce faire, il convient d'expliquer ce qui distingue un événement ou une activité d'une autre éventualité et pourquoi on s'attache tout particulièrement à ce type d'éventualité. En effet, [...]

BAUMGARTNER, Annik Nora. Lexique et causalité : une analyse sémantique des noms et verbes d'événements causaux en français. Thèse de doctorat : Univ. Genève, 2008, no.

L. 655

URN : urn:nbn:ch:unige-157709

DOI : 10.13097/archive-ouverte/unige:15770

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:15770

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Unité de linguistique française Département de linguistique Faculté des lettres

Université de Genève

Annik.Baumgartner@lettres.unige.ch

http://www.unige.ch/lettres/linguistique/moeschler/annik.php

Lexique et causalité. Une analyse sémantique des noms et verbes d’événements causaux en français.

Jury : Professeur Eric Wehrli : Président du Jury Professeur Jacques Moeschler : Directeur Professeure Pierrette Bouillon Professeur Georges Kleiber Professeur Paul Sabatier

Thèse de doctorat ès Lettres, juin 2008

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Je remercie avant tout Jacques Moeschler pour son soutien et son amitié. Il a largement contribué à la réalisation de cette thèse, grâce à ses nombreuses suggestions et remarques, mais aussi grâce aux longues heures de discussions qui m’ont permis d’étayer mes connaissances dans le domaine de la linguistique.

Ensuite, je tiens à remercier les membres du Jury, à savoir Pierrette Bouillon, Georges Kleiber et Paul Sabatier, qui ont accepté de consacrer de leur temps à la lecture de ma thèse.

De même, je suis reconnaissante à Eric Wehrli de bien vouloir être le président du Jury.

Je remercie aussi les collègues du département de linguistique pour leur amitié et tout particulièrement les collègues de sémantique avec lesquelles j’ai eu l’occasion de partager des discussions scientifiques enrichissantes. Je voudrais encore mentionner l’efficacité et la générosité d’Eva Capitao pour tous ces petits riens qui vous changent la vie.

Je remercie également mes parents et mes beaux-parents pour l’intérêt qu’ils portent à mon travail, mais surtout pour la gentillesse avec laquelle ils entourent ma petite famille.

Enfin, sans l’encouragement et l’amour de mon mari, mon projet n’aurait jamais abouti. Je le remercie tout spécialement pour son aide au niveau de l’informatique, mais aussi pour avoir toujours su m’écouter et me réconforter dans mes doutes.

Il ne me reste plus qu’à embrasser ma petite fille et lui dédier ma thèse, afin de l’encourager ou la décourager à tout jamais de faire de longues études !

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Table des matières

REMERCIEMENTS ... 2

INTRODUCTION GÉNÉRALE... 7

CHAPITRE 1 : LA CAUSALITÉ DANS LES LANGUES FRANÇAISE ET ALLEMANDE ... 14

1.1. INTRODUCTION ... 14

1.2. COMPARAISON DE LA CAUSALITÉ DANS LES LANGUES FRANÇAISE ET ALLEMANDE ... 15

1.2.1. Au niveau de la syntaxe ... 15

1.2.1.1. Les constructions causatives en français ... 16

1.2.1.2. Les constructions causatives en allemand ... 31

1.2.1.3. Les constructions ergatives en français ... 37

1.2.1.4. Les constructions ergatives en allemand ... 38

1.2.1.5. Les constructions inaccusatives en français ... 39

1.2.1.6. Les constructions inaccusatives en allemand ... 46

1.2.1.7. Les constructions inergatives en français ... 48

1.2.1.8. Les constructions inergatives en allemand ... 52

1.2.2. Au niveau du lexique ... 57

1.2.2.1. Les prépositions causales en français ... 58

1.2.2.2. Les prépositions causales en allemand ... 61

1.2.2.3. Les conjonctions causales en français ... 67

1.2.2.4. Les conjonctions causales en allemand ... 69

1.2.2.4.1. La conditionnelle en français ... 73

1.2.2.4.2. La conditionnelle en allemand ... 76

1.2.2.5. Les verbes causaux en français ... 80

1.2.2.6. Les verbes causaux en allemand ... 86

1.2.2.6.1. Les expressions verbales idiomatiques en français et en allemand ... 92

1.2.3. Au niveau du discours ... 99

1.2.3.1. Les connecteurs en français ... 99

1.2.3.1.1. Le connecteur parce que ... 102

1.2.3.1.2. Le connecteur car... 105

1.2.3.1.3. Le connecteur puisque ... 107

1.2.3.2 Les connecteurs en allemand ... 110

1.2.3.2.1 Le connecteur weil ... 113

1.2.3.2.2 Le connecteur denn ... 116

1.2.3.2.3 Le connecteur da ... 121

1.2.4. Combinaison et redondance des mots causaux ... 126

1.3. CONCLUSION ... 130

CHAPITRE 2 : ETAT DE L’ART EN SÉMANTIQUE LEXICALE .... 133

2.1. APPROCHE FONCTIONNALISTE ... 134

2.1.1. Les espaces mentaux de Fauconnier ... 136

2.1.2. Les cadres sémantiques de Fillmore ... 139

2.1.3. Les modèles cognitifs idéalisés de Lakoff (idealised cognitive model) ... 140

2.1.4. L’analyse décompositionnelle de Lakoff ... 141

2.1.5. Les critiques de Dowty à l’encontre de la théorie de la décomposition lexicale de Lakoff ... 143

(5)

2.1.6. Les relations sémantiques ... 146

2.1.6.1. La polysémie ... 148

2.1.6.2. Les réseaux sémantiques de Lehrer appliqués à la polysémie ... 150

2.1.7. La théorie de la force dynamique de Talmy ... 152

2.2. APPROCHE FORMALISTE ... 160

2.2.1. Les classes de verbes de Levin ... 160

2.2.2. Les champs sémantiques de Miller & Johnson-Laird ... 167

2.2.3. Les opérateurs sémantiques basiques de Miller & Johnson-Laird ... 170

2.2.4. Les primitives de Dowty ... 172

2.2.5. Les structures lexicales conceptuelles de Jackendoff (lexical-conceptual structures) ... 176

2.2.5.1. La théorie des forces dynamiques de Talmy appliquée à la théorie des deux niveaux de Jackendoff ... 182

2.2.6. Les représentations à plusieurs niveaux de Pustejovsky (multi-level representations) ... 185

2.2.7. Le rapport entre les interfaces syntaxe et sémantique : l’hypothèse de l’inaccusativité de Levin & Rappaport Hovav ... 191

2.2.7.1. La représentation sémantique lexicale de Levin & Rappaport Hovav... 197

2.2.8. L’approche endo-squelettale versus l’approche exo-squelettale de Borer ... 199

2.3. CONCLUSION ... 205

CHAPITRE 3 : LA CAUSALITÉ, LES ÉVÉNEMENTS/ACTIVITÉS ET LES ÉTATS ... 209

3.1. INTRODUCTION AUX ÉVÉNEMENTS/ACTIVITÉS ET AUX ÉTATS ... 209

3.1.1. Les classes aspectuelles ... 210

3.1.1.1. Les rôles thématiques ... 211

3.1.1.2. Les intervalles temporels ... 220

3.1.1.3. Les tests sur les classes aspectuelles ... 223

3.1.1.4. Les classes aspectuelles en emploi et hors emploi ... 226

3.1.2. La relation entre les états, les événements et les activités ... 231

3.2. LA CAUSALITÉ ET LES ÉVENTUALITÉS ... 234

3.2.1. Le modèle de Croft et les sous-événements ... 235

3.2.2. Les éventualités et l’ordre temporel ... 237

3.2.3. La causalité et les relations temporelles ... 250

3.2.4. Les différents types d’événements ... 253

3.3. CONCLUSION ... 255

CHAPITRE 4 : LA DESCRIPTION DE LA SÉMANTIQUE VERBALE259 4.1. LES RÔLES SÉMANTIQUES DE FILLMORE ... 262

4.2. LES PRIMITIVES CONCEPTUELLES DE JACKENDOFF ... 264

4.3. LA STRUCTURE ARGUMENTALE DE PUSTEJOVSKY... 267

(6)

4.4. LES REPRÉSENTATIONS EN TROIS PARTIES DE LA

SIGNIFICATION DU VERBE DE BERTHOUZOZ ... 268

4.5. LES CLASSES DE VERBES DE LEVIN... 270

4.5.1. Explications des classes sémantiques des verbes ... 271

4.5.2. Les réseaux sémantiques des verbes ... 272

4.6. LES REPRÉSENTATIONS SÉMANTIQUES DES VERBES D’ÉVÉNEMENTS/ACTIVITÉS ... 282

4.6.1. Tableau des verbes ... 284

4.6.2. Commentaires sur les tableaux des verbes ... 296

4.7. LES DIFFÉRENTES STRUCTURES ET L’ÉTAT RÉSULTANT 298

4.7.1. Les structures et les classes aspectuelles ... 300

4.7.2. Les structures et les primitives ... 307

4.8. LES TESTS DE VALIDATION ... 310

4.8.1. Les tests sur les classes aspectuelles ... 310

4.8.2. Les tests sur les primitives ... 313

4.9. CONCLUSION ... 316

CHAPITRE 5 : LA DESCRIPTION DE LA SÉMANTIQUE NOMINALE ... 320

5.1. LA NOMINALISATION ... 321

5.2. LE RÔLE D'UNE REPRÉSENTATION HIÉRARCHIQUE DE LA SÉMANTIQUE : LES RÉSEAUX SÉMANTIQUES ... 332

5.2.1. L'utilité de la sémantique ... 332

5.2.2. Explications des traits sémantiques des noms ... 333

5.2.3. La polysémie des noms ... 338

5.2.4. L'héritage multiple des noms ... 339

5.2.5. Les réseaux sémantiques des noms ... 340

5.3. LES REPRÉSENTATIONS SÉMANTIQUES DES NOMS D’ÉVÉNEMENTS ... 347

5.3.1. Tableaux des substantifs ... 350

5.4. LA DIFFÉRENCIATION DES TYPES DE LEXIQUE NOMINAL372

5.4.1. Le type « supérieur » ... 373

5.4.2. Le type « inférieur » ... 386

5.4.3. Les critères de distinction entre les types de noms « supérieur » et « inférieur » ... 397

5.4.3.1. Les types « supérieur » et « inférieur » et les verbes ... 403

5.5. CONCLUSION ... 409

(7)

CONCLUSION GÉNÉRALE ... 413

ANNEXES ... 423

ANNEXE 1 ... 423

Doyle C. A. (1997), « La science de la déduction », Le signe des Quatre, Pössneck, EJL, 5. ... 423

Doyle C. A. (1997), « La fin de l’insulaire », Le signe des Quatre, Pössneck, EJL, 84. ... 423

Crichton M. (1997), Turbulences, Paris, Editions Robert Laffont, 13-14. ... 424

James P. D. (1986), Meurtre dans un fauteuil, Paris, Editions Mazarine, 7. ... 424

ANNEXE 2 ... 425

Tableau des classes aspectuelles des verbes ... 425

BIBLIOGRAPHIE ... 442

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Introduction générale

Ce travail s’intéresse à la description sémantique de la causalité des noms et des verbes d’événements. La causalité étant un domaine très large, concernant tout autant la philosophie que la linguistique, il est nécessaire de définir quelle conception de la causalité est appliquée dans ce travail. Pour ce faire, il faudra tout d’abord définir ce qu’est la causalité. De plus, il conviendra d’expliquer l’intérêt de traiter de ce domaine. Enfin, ce travail présentera un certain nombre d’hypothèses sur l’analyse sémantique de la causalité.

La causalité est un concept qui a du poids dans la théorie de l’évolution. L’espèce humaine a développé la capacité de mettre en relation causale des événements, des objets, alors que d’autres espèces fonctionnent par association, notamment par regroupement de bruits ou de traces. On a ainsi établi des règles constitutives qui permettent de prédire des faits. La causalité possède un ordre canonique ontologique, à savoir la relation temporelle cause à effet. Mais quelle est précisément cette relation ?

Pour répondre à cette question, il faut introduire les notions de raison, d’action et de cause.

Davidson (1980) propose une analyse de la causalité à partir de ces trois concepts. Une raison rationalise une action, si on voit ce que l’agent voit ou pense voir dans cette action, par exemple les conséquences ou les aspects de l’action que l’agent désire. Lorsque quelqu’un fait quelque chose par raison, il est caractérisé par :

a) ayant une attitude vis-à-vis de l’action b) croyant que l’action est de tel type.

Sous la mention a), Davidson inclut les désirs, les besoins et les états mentaux de l’agent. On les évalue de telle sorte qu’ils puissent être interprétés comme l’attitude d’un agent vis-à-vis d’une action d’un certain type. L’attitude n’est pas une conviction, mais un désir : elle concerne une action unique et non pas un trait de caractère qu’une personne aura durant toute sa vie. La raison première de l’agent est donc donnée par son attitude et sa croyance.

Je dirai donc que pour comprendre comment la raison rationalise une action, il est nécessaire de voir comment on construit une raison première. La raison première pour une action est sa cause.

Cependant, connaître la raison première de l’agent revient à connaître son intention. Or, l’intention et la raison sont différentes. On peut avoir l’intention de faire quelque chose, mais il faut plus d’informations pour pouvoir en déduire la raison. La raison première pour une

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action est vérifiée par la croyance ou l’attitude de l’agent. Une action est cohérente avec certains traits de l’agent, car l’agent est perçu comme un individu rationnel.

Selon Davidson, donner une raison décrit une seconde fois l’action et les causes sont séparées des effets. Ainsi, les raisons ne sont pas équivalentes aux causes. Par ailleurs, une cause est distincte logiquement d’un effet. Mais une raison pour une action n’est pas logiquement distincte d’une action. En effet, les raisons ne sont pas les causes des actions. La raison de l’agent au moment de l’action est une considération d’une raison : la prédiction d’action sur la base d’une raison doit pouvoir évaluer la force relative des désirs et des croyances. Selon Davidson, la connaissance de ses propres raisons d’une action n’est pas compatible avec l’existence d’une relation causale entre raison et action. Une personne connaît ses intentions dans une action, mais aucune relation causale ne peut être connue de cette manière.

Par ailleurs, l’agent peut agir soit selon son intention, soit contre son propre jugement. Ce raisonnement apparaît lorsque l’agent croit qu’une autre alternative lui est offerte, qui lui serait plus favorable, mais il agit quand même selon sa première intention. Davidson parle d’action incontinente. Ce type d’action se retrouve lorsque l’agent obéit à ses désirs et se trouve pris dans un conflit moral. L’incontinence est mise en jeu par le fait que l’agent préfère un acte pour une raison de morale et agit de manière différente pour une raison de plaisir. Ce qui permet de laisser gagner le plaisir, c’est la conscience. L’action intentionnelle est donc directement gérée par ce type de jugement (il est mieux de faire A que B) : l’agent accepte quelques raisons qui justifient la supériorité de l’action A.

Outre ces actions intentionnelles, on peut également relever des actions non intentionnelles.

Par exemple, lorsque l’on commet une erreur : un individu met intentionnellement une pièce de monnaie dans une longue-vue afin de pouvoir l’utiliser, mais il se trompe de pièce et bloque l’appareil de manière non intentionnelle. Dans ce cas, le résultat n’est pas celui escompté, mais c’est ce que son intention a causé.

La notion d’agentivité est au cœur de l’intention. Quels sont les événements qui impliquent un agent ? Pour Davidson, une personne est un agent, si ce qu’il fait peut être décrit sous un aspect qui le rend intentionnel. Pour décrire une action qui a un certain but ou un résultat attendu, il faut la dépeindre comme leur cause. L’explication causale prend alors forme d’une description d’une action en termes de cause ou d’effet. L’attribution de l’agentivité correspond ainsi à l’assignation de la responsabilité de l’action. Par exemple, si un individu empoisonne quelqu’un dans le but de le tuer et qu’il y parvient, alors il cause sa mort et il est l’agent du meurtre.

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Cependant, toutes les actions attribuées à un agent ne peuvent pas être expliquées comme étant causées par une autre action dont il est l’agent. Pour Davidson, certains actes sont primitifs dans le sens où ils ne peuvent pas être analysés en termes de relation causale avec les actes du même agent. Les mouvements du corps sont notamment des actes primitifs. Pourtant, lorsqu’une personne bouge son doigt intentionnellement en l’appuyant sur l’interrupteur et que ce geste cause l’allumage de la lumière, l’acte de bouger le doigt a des conséquences : l’agent cause ce que ses actions causent. Davidson distingue la description de l’événement et l’événement lui-même. Il postule que lorsque la description d’un événement est faite en incluant une référence à une conséquence, alors la conséquence n’est pas incluse dans l’événement décrit. Dans notre exemple, la conséquence est l’allumage de la lumière, qui ne serait ainsi pas comprise dans l’action de poser le doigt sur l’interrupteur. L’allumage de la lumière est l’effet causé par le mouvement du doigt. Cependant, l’action de presser l’interrupteur contient bien dans sa description argumentale la conséquence de l’allumage de la lumière.

Hume (1739-1740) propose une définition différente de la causalité : ce sont les circonstances d’un événement qui sont les causes de ce dernier plutôt que l’événement lui-même. Il insiste sur les propriétés qui définissent la relation causale et non pas sur l’action en soi comme Davidson. Il définit la cause par un objet, suivi par un autre objet et tous les objets similaires au premier objet sont suivis par un objet similaire au deuxième objet. Selon la perspective huméenne, la relation de causalité entre deux entités peut être expliquée à l’aide de cinq propriétés : la contiguïté, l’asymétrie temporelle, la contingence, la généralité et les conditions ceteris paribus.

Pour qu’il y ait contiguïté, que les objets soient contigus, il faut qu’il existe un contact entre les entités en relation causale. Par exemple, c’est le choc d’une boule avec une autre boule qui provoque son mouvement. On parle alors de contiguïté spatiale et temporelle des mouvements des boules : le choc entre les boules illustre leur rapport spatial contigu, et le déplacement de la boule produit par l’impact dépeint la succession temporelle des événements. La causalité est également asymétrique temporellement, car un premier événement cause le second événement et implique donc que l’effet ne peut pas se produire avant la cause. La contingence permet d’expliquer le fait que le rapport entre le nombre d’occurrences de l’événement A et le nombre d’occurrences de l’événement B doit être le plus proche possible de un pour que la causalité soit effective. De plus, le raisonnement causal n’est pas déductif, mais inductif : si l’objet A est suivi par l’objet B, si une autre occurrence de A est suivie par B, alors on peut

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inférer que A cause B. Le raisonnement causal est ainsi probabiliste. Enfin, les conditions ceteris paribus démontrent que la relation causale vaut toutes choses étant égales par ailleurs.

Par exemple, dans un film lorsqu’un individu tire sur une personne, on ne peut pas conclure que cette dernière est réellement morte, étant donné que les balles ne sont pas de vraies balles.

La notion de cause est caractérisée par des conditions qui correspondent à une combinaison de circonstances qui créent l’événement. Par exemple, un homme meurt et la cause de son décès serait le fait qu’il ait glissé d’une échelle. Mais, il pourrait y avoir d’autres raisons : l’homme est trop lourd, il a eu un malaise, etc. Plus la cause est décrite, plus les effets sont démontrés.

Plus les effets sont décrits, plus la cause est nécessaire1.

Hume (1739-1749, 76) a très bien résumé ces propriétés: une cause peut être définie comme

« un objet antérieur et contigu à un autre, et de telle sorte que tous les objets qui ressemblent au premier soient placés dans des relations semblables d’antériorité et de contiguïté à l’égard des objets qui ressemblent au second ».

Quelles conséquences peuvent être tirées de cette définition ? Tout d’abord, les entités en relation causale sont des événements, qui seront décrits par la suite. Ce fait implique que la contiguïté et l’asymétrie temporelle sont les deux propriétés développées par Hume qui sont prises en considération dans la représentation temporelle des événements. De plus, la relation causale met en jeu un processus inductif et non déductif, c’est pourquoi l’effet n’est pas absolument garanti : il est possible d’annuler un raisonnement causal.

La cause se distingue également de l’explication, qui relie des faits entre eux (Pietroski 2000, 96). Par exemple, Nora entend le chien Fido aboyer chaque nuit et elle apprend qu’il aboie lorsqu’il voit le chat Garfield. Le fait que Fido voit Garfield explique le fait que Fido aboie.

De plus, un fait peut être rapporté par une autre personne : Nora explique à Paul pourquoi Fido a aboyé. Un autre exemple permet de différencier la cause de l’explication : le fait que Fido aboie cause la plainte de Nora auprès de son propriétaire. Celui-ci se sent coupable et verse une grande somme d’argent à Nora. L’aboiement du chien CAUSE la plainte de Nora, qui CAUSE le don d’argent. L’événement qui rend Nora riche est sa plainte : elle est riche, CAR elle s’est plainte et elle s’est plainte, CAR le chien aboie. On a une inversion des événements. La causalité est une relation naturelle entre les entités spatio-temporelles et l’explication est une relation rationnelle entre les entités (Pietroski 2000, 217). Quand on infère correctement qu’un événement en cause un autre, c’est souvent parce que l’on a jugé de

1 Les effets étant liés à la cause, plus la description de l’un est précise, plus la représentation de l’autre le sera également. Il s’agit d’une propriété de la relation causale.

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manière appropriée les faits pertinents qui sont en relation d’explication (Pietroski 2000, 228).

Lorsque l’on voit ce qui cause un événement, c’est percevoir pourquoi il s’est produit.

L’explication est ainsi subjective, car basée sur notre pensée, alors que la causalité est objective et universelle.

Suite à cette définition de la causalité en termes de relation entre une cause et un effet, qui implique généralement les notions d’agent et d’intention, il est nécessaire de se demander quelle est l’utilité de se consacrer à l’analyse sémantique de la causalité. Trois points peuvent être relevés à ce sujet. Tout d’abord, une description sémantique de la causalité permet d’aider les apprenants étrangers à acquérir les concepts d’une langue donnée. Etant donné que les mêmes représentations causales se retrouvent en français et en allemand par exemple, comme le premier chapitre le montrera, on peut supposer qu’il en est de même pour d’autres langues.

Une description sémantique détaillée des mots du langage permet ainsi de saisir leurs différentes significations, i.e. les distinctions entre deux termes proches qui peuvent poser des difficultés. En ayant analysé les composantes sémantiques d’un terme, l’apprenant peut décider quel mot convient mieux dans tel contexte. Deuxièmement, ce type d’analyse peut s’appliquer à un autre domaine que celui de l’apprentissage, i.e. les moteurs de recherche.

Ceux-ci fonctionnent sur la base de recherche de concepts, aussi le fait d’avoir une description sémantique précise permet d’affiner les termes de la recherche. Troisièmement, le domaine de la causalité offre la possibilité d’étudier les effets produits par une expression, i.e. les états résultants. La causalité peut effectivement s’exprimer par diverses formes, comme nous le verrons dans ce premier chapitre, et est très pertinente en termes d’effets. Les états résultants mettent en jeu le rapport entre les événements et les états, mais aussi la relation entre des concepts. Ces relations expriment différentes implications, qui sont nécessaires à l’interprétation d’un terme ou d’un énoncé.

Si une analyse sémantique de la causalité a des domaines d’application concrets, elle permet aussi d’étudier le lexique d’une langue de manière très précise. Certaines hypothèses peuvent notamment être développées à ce sujet. La première concerne le fait que les représentations sémantiques conceptuelles sont semblables entre les différentes langues. Cet aspect tend à démontrer que les individus partagent les mêmes concepts causaux.

La deuxième hypothèse sous-tend que les verbes et les noms seraient susceptibles de nécessiter le même type d’analyse, i.e. une analyse décompositionnelle à partir de primitives.

En d’autres termes, une description sémantique décompositionnelle du lexique permettrait de proposer une analyse commune pour ces deux catégories grammaticales. L’avantage de

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recourir à une analyse sur la base de primitives se retrouve dans l’aspect d’une construction d’un métalangage, qui peut s’appliquer à diverses langues. Par ailleurs, recourir à une approche basée sur des représentations formelles à l’aide de primitives plutôt qu’à une approche pragmatique basée sur des dérivations permet de proposer une analyse sémantique du lexique insistant sur la relation entre la cause et l’effet, entre l’action et l’état résultant.

Une troisième hypothèse concerne le fait de regrouper les verbes sous forme de classes de verbes. Cette classification permettrait de prendre en compte les propriétés argumentales des prédicats. On peut également se demander si l’introduction d’une primitive principale permettant de regrouper les verbes en fonction de leurs composantes sémantiques ne serait pas également nécessaire à leur classification. Il serait également pertinent de savoir si ce type de classification peut également s’appliquer aux noms.

Une quatrième hypothèse concerne notamment la nature de l’état résultant du verbe : celui-ci peut être exprimé dans la représentation sémantique sous forme d’état réalisé (tuer cause ÊTRE MORT), mais il est également possible d’avoir un état résultant non obligatoirement réalisé (tirer cause NE PAS ÊTRE TOUCHÉ2). De plus, la description de l’état résultant peut être complète (tuer cause ÊTRE MORT) ou incomplète (pousser cause bouger), ce qui correspond davantage à une action. L’hypothèse développée concerne le fait que ces différentes représentations de l’état résultant seraient déterminées d’une part par les classes aspectuelles et d’autre part par les primitives sémantiques. En d’autres termes, l’état résultant serait différent en fonction de la classe aspectuelle du verbe et les primitives permettraient de caractériser la nature de l’état résultant. Enfin, on peut s’interroger sur le fait de savoir si les noms ont ces mêmes propriétés.

Une cinquième hypothèse concerne tout particulièrement les substantifs, i.e. on peut s’interroger sur la possibilité de distinguer deux grands types de noms, l’un caractérisant un type supérieur et l’autre un type inférieur. Le type supérieur renvoie aux noms qui mettent en relation deux concepts et le type inférieur correspond à un unique événement. Un autre point qui mérite réflexion concerne la structure argumentale liée aux types supérieur et inférieur des noms : si le type supérieur a des arguments, la question est de savoir si le type inférieur en a aussi. Si c’est le cas, les arguments sont-ils du même type ou existe-t-il des différences ? De plus, on peut se demander si ces deux types de noms s’appliquent également aux verbes.

2 Il est notamment possible de rater sa cible : l’état résultant ÊTRE TIRÉ est bien réalisé, mais l’état résultant ÊTRE TOUCHÉ qui représente le but à atteindre n’est pas réalisé.

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Le but de ce travail sera donc de présenter une analyse sémantique des propriétés causales des verbes et des noms d’événements du français. Le premier chapitre permettra de démontrer que les langues française et allemande disposent des mêmes moyens pour exprimer la causalité, malgré quelques petites variantes linguistiques. Le fait que ces deux langues proposent une même représentation sémantique conceptuelle justifie le choix de restreindre l’analyse à une unique langue. Il conviendra alors d’exposer les différentes stratégies d’analyses sémantiques lexicales. On peut notamment relever deux approches distinctes : une sémantique lexicale et une sémantique cognitive. Chacune appartient à un courant différent : la première au formalisme et la seconde au fonctionnalisme. Le deuxième chapitre sera consacré à la présentation de ces deux visions opposées. Il faudra également définir la sémantique des événements. Pour ce faire, il conviendra d’expliquer ce qui distingue un événement ou une activité d’une autre éventualité et pourquoi on s’attache tout particulièrement à ce type d’éventualité. En effet, les événements et les activités sont caractérisés par leur pouvoir causal, celui d’une part de détruire un pré-état, mais surtout de créer un post-état, la relation entre l’événement/l’activité et le post-état étant de nature causale. Le troisième chapitre traitera de ce thème. Enfin, il faudra définir le lexique causal, en analysant les structures sémantiques des noms et des verbes d’événements et d’activités causaux. Pour ce faire, il est nécessaire d’établir des grilles thématiques propres aux classes lexicales en relation avec la causalité. Les quatrième et cinquième chapitres seront consacrés à cette analyse linguistique et correspondent à la partie descriptive de ce travail. L’analyse de la causalité au niveau des noms et des verbes à l’aide de primitives permet ainsi de mettre en évidence leur état résultant et les relations internes à ces expressions. Ces recherches présentent donc une description sémantique détaillée de la causalité.

(15)

Chapitre 1 : la causalité dans les langues française et allemande

1.1. Introduction

Ce chapitre porte sur les relations causales qui existent au sein du lexique, en proposant une analyse contrastive entre le français et l’allemand. Il s’inscrit dans une analyse plus large, qui sera consacrée tout particulièrement à une description sémantique des noms et des verbes d’événements causaux. Il s’agira d’établir des grilles thématiques propres aux classes lexicales et verbales en relation avec la causalité. Ce chapitre permet ainsi d’illustrer les différents moyens de production de la causalité en français et en allemand avant de restreindre l’analyse uniquement aux noms et verbes d’événements en français.

Cette comparaison est cruciale, car elle met en évidence l’existence de grandes constantes sémantiques propres à la causalité. On aurait pu s’attendre à relever d’importantes divergences lexicales et structurelles entre les deux langues, or ce chapitre permet de montrer que les différences entre les deux langues sont davantage superficielles que conceptuelles. Les fondements sémantiques des deux langues sont stables, i.e. le lexique est identique et les concepts sémantiques sont les mêmes. La causalité représente donc une donnée sémantique fixe. Seules quelques variations lexicales et syntaxiques les distinguent, telles que des ajustements spécifiques liés à une classe de mots ou des propriétés syntaxiques dépendant de principes plus ou moins rigides. Par exemple, les connecteurs recouvrent les mêmes types de relations causales, mais leur territoire diffère : car est notamment moins employé que son correspondant denn. Par ailleurs, l’allemand est moins contraint que le français en ce qui concerne l’ordre des mots, ce qui tend à donner une impression de différence marquée entre les deux langues. Ce chapitre montre ainsi qu’il est moins important d’analyser les propriétés causales propres aux deux langues que de développer une description sémantique précise de la causalité : celle-ci pourra s’appliquer indifféremment au français ou à l’allemand, en insérant les micro-variations propres à chacune des langues en question.

Pour ce faire, il faut tout d’abord définir comment elle s’exprime dans les deux langues. On peut en effet relever différentes manières d’exprimer de la causalité, notamment à l’aide de structures syntaxiques déterminées, du lexique et d’expressions discursives. Du point de vue syntaxique, les structures analysées sont les suivantes : les constructions causatives, ergatives,

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inaccusatives et inergatives. Le lexique concerne diverses catégories grammaticales exprimant de la causalité, telles que les prépositions, les conjonctions ou encore les verbes. Au niveau du discours, les expressions étudiées sont les connecteurs causaux. Le but de ce chapitre est de présenter une description précise des diverses manifestations possibles de production de la causalité en français et en allemand, en soulignant les différences et les ressemblances qui résident entre les deux langues.

1.2. Comparaison de la causalité dans les langues française et allemande

La causalité n’est pas directement liée au langage. Les langues naturelles possèdent, dans leur sémantique, la notion de relation causale, car elles ont les moyens d’exprimer la causalité. En d’autres termes, la causalité est un phénomène émergent au langage. Plus précisément, la causalité peut se traduire dans le langage au niveau de la syntaxe, du lexique et du discours.

Une comparaison de ces différents aspects entre le français et l’allemand permet de mettre en évidence la richesse d’expression de la causalité.

1.2.1. Au niveau de la syntaxe

La causalité s’exprime au niveau de la syntaxe à travers des constructions causatives, ergatives, inaccusatives et inergatives. Les constructions causatives renvoient à des structures bien particulières, telles que les verbes support laisser et faire. Les constructions ergatives et inaccusatives sont formées à l’aide de verbes qui incluent la causalité dans leur signification, tels que casser. Les premières ont une forme transitive, alors que les secondes ont une forme intransitive. Elles apparaissent avec un certain type de verbes, i.e. des verbes de changement d’état. Les constructions inaccusatives se dissocient des structures inergatives, qui correspondent à des verbes de mouvement.

Il peut être intéressant d’effectuer un parallèle avec la langue allemande en ce qui concerne la production de causalité au niveau de la syntaxe. L’allemand exprime la causalité à travers des structures différentes, i.e. le verbe support lassen dans le cas des constructions causatives.

Pour les constructions ergatives, inaccusatives et inergatives, l’allemand ne diffère pas fondamentalement du français. Ces divergences et ressemblances soulignent l’aspect productif de la causalité, qui revêt diverses formes selon les langues.

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1.2.1.1. Les constructions causatives en français

Les constructions causatives font appel à des verbes support, tels que faire et laisser. Dans le cas du prédicat faire, il est nécessairement suivi d’un infinitif, comme le montrent les exemples suivants (Kayne 1977, 196) :

1) On a fait sortir Jean de sa chambre.

2) L’explosion a fait s’écrouler l’immeuble.

3) Je ferai partir Jean immédiatement.

4) Cela fera rire tout le monde.

En revanche, le prédicat laisser peut être suivi par un infinitif comme dans (5), (7) et (9), mais il ne le doit pas obligatoirement, comme le montrent les exemples (6), (8) et (10) (Kayne 1977, 197) :

5) Il a laissé partir son amie.

6) Il a laissé son amie partir.

7) Elle a laissé entrer le petit garçon.

8) Elle a laissé le petit garçon entrer.

9) Marie laisse jouer seule sa fille.

10) Marie laisse sa fille jouer seule.

On peut toutefois relever des cas, où la structure syntaxique est modifiée lorsque le verbe est suivi (11) ou non (12) par un infinitif :

11) Max laisse les enfants regarder la télévision.

12) Max laisse regarder la télévision aux enfants.

Cette modification est liée au fait qu’en présence d’un objet direct le sujet prend la forme d’un complément prépositionnel introduit par la préposition à. Ce phénomène se retrouve également avec le verbe support faire :

13) Elle a fait visiter la ferme à ses parents.

14) Tu vas faire perdre son poste à ton copain.

15) Elle a fait signer la déclaration à son mari.

Dans ce travail, nous adopterons la théorie de Kayne (1977), mais il existe d’autres approches, notamment celle développée par Guasti (1993), qui considère ces verbes causatifs en tant que marqueurs de causalité. Kayne (1977, 198) postule que le verbe faire, de même que le verbe laisser, est suivi d’un complément phrastique :

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16) Elle a fait [son amie partir S].

Elle a laissé [son amie partir S].

En revanche, l’analyse de Guasti (1993, 4) différencie deux types de verbes causatifs, i.e.

ceux qui sont purement analytiques (purely analytical causatives) et ceux qui sont morphologiques (morphological causatives). Les causatives purement analytiques introduisent un verbe causatif tel que faire ou laisser et le verbe complément :

17) Marie fait résoudre le problème à Jean.

Le verbe support faire en (17) est interprété comme un auxiliaire causatif ou un marqueur de causalité et le verbe résoudre renvoie au verbe complément. Le verbe faire n’introduit pas de phrase, puisqu’il correspond à un auxiliaire. Dans le cas des causatives morphologiques (Guasti 1993, 4-5), la racine du verbe qui exprime un événement est combinée à un morphème (affixe causatif) pour former un verbe causatif complexe. L’exemple suivant est donné en Chichewa, une langue Bantu :

18) Mtsikana a -na -u -gw -ets -a mtsuko.

Fille AGRS -PAST-AGRO-tomber-CAUS-ASP carafe La fille fait tomber la carafe.

La racine du verbe est donnée par gw (tomber) qui est combinée avec le morphème causatif ets : gwets (faire tomber) forme un unique verbe qui est affixé par l’accord exigé par le sujet (AGRS), par l’accord exigé par l’objet (AGRO), par le temps au passé (PAST) et par l’aspect (ASP). La racine du verbe gw et le complément causatif noté sous CP sont insérés sous la même tête verbale, mais ils correspondent à deux verbes séparés. Ce processus est représenté comme suit (Guasti 1993, 12-13) :

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IP

NP I’

mtsikana (fille)

I0 VP

a-na

V’

V0 CP

V-1 V-1 C’

gw (tomber) ets (faire)

C0 IP

NP I’

mtsuko (carafe)

I0 VP

V0

Syntaxiquement, l’affixe causatif et le verbe gw (tomber) sont deux verbes individuels, chacun ayant ses propres arguments. Le substantif mtsuko (carafe) se comporte en tant qu’objet du prédicat complexe formé par le morphème causatif et le verbe, mais il est relié thématiquement au verbe gw qui lui assigne son rôle thématique. Cette relation ne pourrait pas avoir lieu si l’affixe causatif et le verbe étaient introduits en tant qu’unique verbe sous la même tête verbale. Le substantif mtsikana (fille) correspond au sujet du verbe complexe et incarne celui qui cause l’action (causer) et le substantif mtsuko (carafe) renvoie à l’objet du verbe et réfère à celui qui subit l’action (causee) (Guasti 1993, 5).

L’exemple (18) est traduit en français par la phrase la fille fait tomber la carafe. Il est possible d’interpréter cet énoncé comme un cas de causative purement analytique : le verbe tomber exprime l’effet de la causalité, alors que faire exprime la causalité3. Cependant, d’un point de vue syntaxique, faire tomber se comporte comme un unique verbe complexe : d’une part, la

3 On peut relever qu’il est possible d’insérer un adverbe pour modifier soit l’infinitif comme dans Marie fait réparer souvent la voiture à Jean, soit le verbe causatif comme dans Marie fait souvent réparer la voiture à Jean.

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carafe est l’objet du verbe complexe de telle sorte qu’elle peut être exprimée par un clitique comme en (19) et d’autre part, l’objet ne peut pas précéder le verbe tomber comme en (20), mais il doit avoir une position post-verbale (21) :

19) La fille la fait tomber.

20) * La fille fait la carafe tomber.

21) La fille fait tomber la carafe.

Dans la conception d’une causative purement analytique, l’auxiliaire causatif est distinct du verbe complément, alors que dans une causative morphologique, l’auxiliaire (le morphème causatif) et le verbe complément forment un tout, un unique verbe complexe, composé de deux verbes séparés incorporés sous la même tête verbale. Guasti (1993, 6) traite les phrases similaires à la fille fait tomber la carafe comme des cas de causatives purement analytiques, où le verbe faire correspond à un auxiliaire causatif.

Selon le point de vue de Guasti, les verbes faire et laisser n’introduisent pas de complément phrastique, mais ils sont soit des marqueurs de causalité sous formes d’auxiliaires, soit des morphèmes causatifs combinés à un autre verbe. Ce type d’analyse a un impact important sur la sémantique, dans le sens où certains verbes ont besoin d’un auxiliaire pour exprimer la causalité, alors que d’autres insèrent directement la causalité dans leur forme linguistique.

La théorie de Kayne s’oppose à cette vision en interprétant les verbes faire et laisser comme verbe support qui introduisent un complément phrastique. Ces verbes support introduisent un agent (elle a fait ou elle a laissé) et le sujet devient un patient :

Son amie est partie.  Elle a fait/laissé son amie partir.

On peut relever une transformation, qui concerne l’ordre entre le sujet enchâssé et le verbe : Elle Ŕ a fait Ŕ son amie Ŕ partir  Elle Ŕ a fait Ŕ partir Ŕ son amie

Le verbe et le sujet s’inversent, mais le sujet ne subit pas de changement. En effet, lorsque le verbe enchâssé est intransitif (22) ou régit un complément prépositionnel (24), aucun élément n’est inséré, comme les exemples (23) et (25) le confirment (Kayne 1977, 197-198) :

22) Il a fait partir son amie.

23) *Il a fait partir à son amie.

24) Elle fera entrer son enfant dans sa chambre.

25) *Elle fera entrer à son enfant dans sa chambre.

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Le verbe partir est un verbe intransitif, qui accepte la présence d’un agent (il) et d’un patient (son amie), lorsqu’il est introduit par un verbe support. Lorsque le verbe support enchâsse un complément prépositionnel, aucune autre modification n’est introduite. La préposition à n’est insérée que lorsque le verbe support enchâsse un syntagme nominal non prépositionnel :

Elle a fait Ŕ [ses parents NP] Ŕ [visiter V] Ŕ [la ferme NP]  Elle a fait Ŕ [visiter V] Ŕ [la ferme

NP] Ŕ [à ses parents PP]

Dans le cas de ces deux verbes support, les deux transformations (inversion entre le sujet enchâssé et le verbe d’une part et insertion de à d’autre part) s’appliquent. Cependant, certains syntagmes nominaux ne peuvent pas être introduits par la préposition à :

Cela Ŕ fera Ŕ son fils Ŕ devenir Ŕ un bon professeur  Cela fera devenir son fils un bon professeur et non *Cela fera devenir un bon professeur à son fils.

Selon Kayne (1977, 201), cette exception s’explique par le fait que le syntagme nominal un bon professeur est traité en tant que syntagme adjectival : cela fera devenir son fils intelligent.

En effet, le verbe devenir introduit toujours un complément adjectival comme en (26) ou (27) :

26) Jean devient grand.

27) Jean devient un grand homme.

Dans l’exemple (27), le complément correspond à un syntagme adjectival dans le sens où il s’accorde avec le sujet4, ce que ne fait pas un objet direct. Cet aspect permet de distinguer le verbe devenir des autres prédicats et explique l’impossibilité d’insérer la préposition à dans des phrases exploitant ce terme.

Kayne souligne également le fait que le verbe devenir ne peut pas être soumis au passif : 28) Son fils deviendra ton ami. *Ton ami sera devenu par son fils.

Si Kayne soulève à juste titre ces phénomènes syntaxiques, il ne relie pas cette impossibilité d’introduire la préposition à aux propriétés causales du verbe devenir. Les exemples ci- dessous comprennent des verbes comme visiter, partir, entrer, signer ou perdre, qui tous acceptent l’insertion de la préposition à. Tous ces prédicats relient un agent à un lieu ou à un thème :

29) Jean visite Paris. (lieu)

4 La phrase *Jean deviendra une grande femme est agrammaticale, à moins de l’interpréter comme décrivant un transexuel.

(22)

30) Jean part à Paris. (lieu)

31) Jean entre dans la chambre. (lieu) 32) Jean signe le document. (thème) 33) Jean a perdu son chien. (thème)

En revanche, en (26) et (27), devenir relie un expérienceur (Jean) à un thème. Le verbe devenir insiste sur l’état résultant qui met en valeur une propriété (grandir). L’impossibilité d’être soumis au passif renforce le trait de l’expérienceur : le sujet est en train de vivre l’expérience et il subit une modification. Ce lien causal entre l’action de l’expérienceur (son fils) et l’état résultant en tant que propriété (un bon professeur) renforce l’impossibilité d’insérer la préposition à dans cela fera devenir son fils un bon professeur. Le prédicat grandir fonctionne de la même manière que devenir : il relie un expérienceur à un état résultant qui met en évidence une propriété que l’expérienceur possède. Cependant, le fait que grandir soit un verbe intransitif bloque de toute façon le processus d’insertion de la préposition à : cela a fait grandir l’arbre. Les propriétés causales du verbe devenir permettent de souligner cette impossiblité d’insérer la préposition à, mais ce sont bien les propriétés syntaxiques qui bloquent le processus.

Par ailleurs, si les verbes faire et laisser déclenchent une structure syntaxique bien particulière, i.e. une structure phrastique enchâssée, d’autres verbes sont également capables de provoquer ce type de changements, tels que voir, entendre, regarder et écouter (Kayne 1977, 200) :

34) Elle a vu partir Jean.

35) J’ai entendu dire cela à un de tes amis.

36) Il regardait travailler Jean-Jacques.

37) Elle écoutait chanter son frère.

Tous ces verbes peuvent se combiner avec une multitude de prédicats, tout comme les verbes faire et laisser. Le verbe support faire peut même être productif dans le cas d’expressions idiomatiques, telles que elle fera entendre raison à Jean et il a fait lâcher prise à son chien (Kayne 1977, 202). Selon Kayne, ces idiomes (faire entendre raison et faire lâcher prise) fonctionnent comme des syntagmes nominaux (où l’on relie le verbe opérateur et ce qui suit (V + N)), malgré le fait qu’ils soient privés de déterminant.

Cependant, du point de vue sémantique, seuls les verbes support faire et laisser introduisent la causalité. Le verbe faire a un sens causal fort, alors que le verbe laisser a un sens causal faible (Moeschler 2003, 14). Le verbe faire souligne le rôle de l’agent (x fait faire quelque chose à

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quelqu’un), alors que laisser souligne la non-action de l’agent (x laisse faire quelque chose à quelqu’un). Dans un cas, l’agent est actif (38), dans l’autre il est passif (39) :

38) Jean fait manger la soupe aux enfants.

CAUSE(Jean, MANGER(les enfants, la soupe)) 39) Jean laisse les enfants regarder la télévision

PERMETTRE(Jean, REGARDER(les enfants, la télévision))

Le verbe faire est relié au prédicat CAUSE, alors que le verbe laisser renvoie au prédicat PERMETTRE. Le fait de permettre quelque chose implique bien un état résultant causal (c’est parce que x a permis y que y s’est produit), mais le lien causal est faible : l’agent n’agit pas réellement, il ne s’oppose simplement pas à l’action. En revanche, le verbe faire impliquant le prédicat CAUSE insiste sur le rôle de l’agent : l’agent provoque l’action.

Par ailleurs, une autre différence réside entre les deux verbes : l’obligation et la permission n’impliquent pas le même état résultant. En effet, ce n’est pas parce que l’on permet quelque chose que cette chose va forcément se produire. Dans l’exemple cité, l’état résultant peut s’appliquer : permettre de regarder(les enfants, la télévision) CAUSE AVOIR REGARDÉ(les enfants, la télévision). Cependant, l’état résultant peut aussi ne pas être réalisé : par exemple, si l’on admet le fait qu’il y ait une coupure de courant et que dès lors la télévision ne fonctionne plus, les enfants ne pourront pas regarder la télévision. Or, le prédicat CAUSE implique obligatoirement l’état résultant et crée un lien causal fort entre les deux éventualités : faire manger(les enfants, la soupe) CAUSE AVOIR MANGÉ(les enfants, la soupe). On ne peut pas accepter que l’état résultant ne soit pas réalisé. C’est pourquoi, lorsque l’état résultant est forcément impliqué, on parle de causalité forte.

Par ailleurs, Kayne (1977, 221) a relevé deux structures distinctes pour les verbes support laisser et faire :

1. NPŔ faire Ŕ S / NP Ŕ laisser Ŕ S

2. *NP Ŕ faire Ŕ NPŔ S / NP Ŕ laisser Ŕ NP Ŕ S

La phrase suivante permet d’illustrer la première structure : le tremblement de terre a fait tout perdre à Jean. Cette phrase est construite à l’aide de quatre règles :

Dérivation :

1. Faire + Infinitif : [le tremblement de terre NP] Ŕ a fait Ŕ [Jean perdre tout S] 2. Inversion sujet-verbe : le tremblement de terre Ŕ a fait Ŕ perdre Ŕ Jean Ŕ tout 3. Insertion-A : le tremblement de terre Ŕ a fait Ŕ perdre Ŕ à Jean Ŕ tout

4. Déplacement Tout : le tremblement de terre Ŕ a fait Ŕ tout Ŕ perdre Ŕ à Jean

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La phrase suivante permet d’illustrer la seconde structure : je voudrais laisser Marie tout manger5. Cette phrase ne permet pas d’appliquer les quatre règles citées :

Dérivation :

1. Laisser + Infinitif : [je voudrais VP] Ŕ laisser Ŕ [Marie NP] Ŕ [elle manger tout S]

2. Inversion sujet-verbe non applicable : *je voudrais Ŕ laisser Ŕ Marie Ŕ manger Ŕ elle Ŕ tout

 je voudrais Ŕ laisser Ŕ Marie Ŕ elle Ŕ manger Ŕ tout

3. Insertion-A non applicable : *je voudrais Ŕ laisser Ŕ Marie Ŕ à elle Ŕ manger Ŕ tout  je voudrais Ŕ laisser Ŕ Marie Ŕ elle Ŕ manger Ŕ tout

4. Déplacement Tout : je voudrais Ŕ laisser Ŕ Marie Ŕ (elle) Ŕ tout Ŕ manger Le pronom elle doit être effacé.

Dans la première structure, les règles d’inversion sujet-verbe et insertion-A sont obligatoires, alors que dans la seconde structure, elles ne peuvent pas s’appliquer. Cette deuxième structure permet d’expliquer l’absence de la préposition à lorsque l’on n’est pas en présence d’un verbe intransitif ou d’un complément prépositionnel.

Kayne (1977, 222) a fait remarquer que les deux structures réagissent différemment à la négation ; la structure NP – faire – S ne tolère pas la négation dans la phrase enchâssée :

40) *Le tremblement de terre a fait ne pas tout perdre à Jean.

En revanche, la négation paraît acceptable dans la structure NP – laisser – NP – S : 41) Je voudrais laisser Marie ne pas tout manger.

Cette distinction n’est pas superficielle, mais au contraire fondamentale, car les deux structures produisent des effets sémantiques divergents :

NP Ŕ laisser Ŕ S : je voudrais laisser manger Marie.

NP Ŕ laisser Ŕ NP Ŕ S : je voudrais laisser Marie manger.

La première structure modifie le sens de l’énoncé : je voudrais laisser manger Marie peut signifier soit que le locuteur veut que Marie soit mangée, soit que le locuteur veut que Marie mange. La seconde structure ne permet pas cette double lecture. Si la structure syntaxique est différente, c’est parce qu’elle produit des effets sémantiques différents.

Kayne (1977, 225) remarque par ailleurs que le verbe support faire peut être utilisé sous une autre forme, i.e. la construction faire par, comme dans l’exemple elle fera manger cette pomme par Jean. La préposition par suggère que la construction est en rapport avec la forme

5 On peut noter que le verbe faire n’accepte pas cette structure.

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passive : cette pomme sera mangée par Jean. Kayne (1977, 225-226) a relevé quelques similitudes entre la forme passive et la structure faire par : les expressions idiomatiques comme (42) et (43) n’acceptent pas ces deux formes, de même que les phrases qui portent sur une partie du corps en tant que possession inaliénable du sujet (45) et (46) :

42) *La croûte a été cassée par la famille.

43) *Il a fait casser la croûte par la famille.

44) Il a fait casser la croûte à sa famille.

45) *La main sera levée par Jean.

46) *Il fera lever la main par Jean.

47) Il fera lever la main à Jean.

Le passif et la construction faire par se comportent de la même manière et contrastent avec la structure faire à, illustrée par (44) et (47). Ces données sont corroborées par le fait que les verbes qui acceptent le passif avec la forme de peuvent être employés avec la construction faire de (Kayne 1977, 227) :

48) Marie est haïe de tout le monde.

49) Il a fait haïr Marie de tout le monde.

Par ailleurs, la construction faire par contraste avec la structure faire à notamment dans l’exemple elle fera manger cette pomme à Jean / elle fera manger cette pomme par Jean.

L’insertion de la préposition à renforce l’effet de l’agent (elle) sur le patient (Jean), alors que la préposition par souligne l’action de Jean. Kayne (1977, 228) parle de relation directe dans le premier cas et de relation indirecte dans le second.

Cependant, Kayne (1977, 235) remarque que ces similitudes sont le résultat d’une incompatibilité entre le syntagme par et certains termes de co-occurrence entre les expressions idiomatiques et non pas une relation directe avec la forme passive. En effet, le rapprochement entre les deux types de construction a été basé sur l’effacement de l’auxiliaire être et du participe passé (noté être +é), comme l’illustre l’exemple suivant :

50) Marie fera boire cette eau par son chien.

Dérivation :

1. Faire + Infinitif : Marie Ŕ fera Ŕ son chien Ŕ boire Ŕ cette eau

2. Forme passive : Marie Ŕ fera Ŕ cette eau Ŕ être +é Ŕ boire Ŕ par son chien 3. Effacement de être +é : Marie Ŕ fera Ŕ cette eau Ŕ boire Ŕ par son chien 4. Inversion sujet-verbe : Marie Ŕ fera Ŕ boire Ŕ cette eau Ŕ par son chien

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Cette règle de l’auxiliaire associé au participe passé n’est pas motivée : en général, l’effacement porte sur l’infinitif et non le participe passé, ce qui est l’inverse ici. Kayne (1977, 235) en a donc conclut que le passif ne joue aucun rôle dans la construction de faire par et que ce qui est commun au passif est lié à la présence de la préposition par.

Les variations de constructions avec le verbe support faire permettent de produire des nuances de sens dans l’expression de la causalité. Si le verbe faire exprime la causalité forte par rapport au verbe laisser, celle-ci est renforcée par la préposition à et diminuée par les prépositions par et de. Le verbe laisser comprend également cette variation :

51) Marie a laissé boire l’eau à son chien.

52) Marie a laissé boire l’eau par son chien.

La préposition par renforce l’action du chien, alors que la préposition à souligne l’autorisation. En d’autres termes, l’effet causal est également renforcé par la préposition à.

La préposition de produit les mêmes effets causaux que la préposition par : 53) Il a laissé haïr Marie de tout le monde.

54) Il a laissé haïr Marie par tout le monde.

Les deux verbes support laisser et faire se rejoignent dans leur variation, puisque l’effet causal est renforcé par la préposition à dans les deux cas.

Un autre verbe peut être considéré comme un verbe support, i.e. le verbe empêcher (Reboul 2003, 44). On peut alors diviser ces verbes en trois classes : la cause, la permission et l’empêchement. Les exemples suivants illustrent ce dernier cas :

55) Elle empêchera Jean de manger la pomme.

56) Elle empêchera son chien de boire cette eau.

57) Le tremblement de terre a empêché Jean de tout perdre.

La première constatation concerne la présence de la préposition de. Le verbe empêcher exige cette préposition dans la phrase enchâssée. De plus, l’inversion sujet-verbe est impossible :

58) *Elle empêchera de manger Jean la pomme.

59) *Elle empêchera de boire son chien cette eau.

60) *Le tremblement de terre a empêché de tout perdre Jean.

Le verbe empêcher, à l’inverse du verbe de support laisser, ne peut donc pas faire varier sa structure : seule la construction empêcher – NP Ŕ V est possible. En effet, si le verbe laisser peut produire les phrases (61) et (62), le verbe empêcher ne peut produire que la phrase (63) :

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61) Elle a laissé son amie partir.  laisser Ŕ NP Ŕ V 62) Elle a laissé partir son amie.  laisser Ŕ V Ŕ NP

63) Elle a empêché son amie de partir.  empêcher Ŕ NP Ŕ de V 64) *Elle a empêché de partir son amie.  empêcher Ŕ de V Ŕ NP

Le verbe support faire se réduit également à une unique structure, qui est celle de faire – V – NP, comme les exemples suivants l’illustrent :

65) Jean a fait partir son amie.

66) *Jean a fait son amie partir.

La seconde constatation réfère à la préposition à, qui peut être insérée, mais qui n’est pas obligatoire, comme les exemples ci-dessous le montrent :

67) Elle empêchera Jean de manger la pomme.

68) Elle empêchera à Jean de manger la pomme6. 69) Elle empêchera son chien de boire cette eau.

70) Elle empêchera à son chien de boire cette eau.

71) Le tremblement de terre a empêché Jean de tout perdre.

72) Le tremblement de terre a empêché à Jean de tout perdre.

La préposition à ne renforce pas l’idée du résultat, mais ne l’infirme pas davantage. A l’inverse des verbes support laisser et faire, qui produisent des effets causaux différents en présence de la préposition à, le verbe empêcher ne modifie pas sa sémantique. La préposition à insiste sur le patient, en soulignant son rôle passif, mais ne concerne pas l’état résultant. Le fait que la préposition à n’influe pas sémantiquement le verbe empêcher permet d’expliquer le caractère facultatif de cette préposition. En effet, dans le cas des verbes laisser et faire, la préposition à est obligatoirement absente lorsque le verbe support enchâsse un syntagme nominal prépositionnel (73) à (76) ou un verbe intransitif (77) à (80) :

73) *Jean a fait entrer à son amie dans la chambre.

74) *Jean a laissé entrer à son amie dans la chambre.

75) Jean a empêché à son amie d’entrer dans la chambre.

76) Jean a empêché son amie d’entrer dans la chambre.

6 La forme oblique n’est pas acceptée par tous les locuteurs. Il semblerait donc qu’il s’agisse d’une forme archaïque. On peut notamment souligner le fait que le pronom lui est accepté dans tous ces exemples, alors que le pronom le n’est pas accepté dans le dernier cas :

(1) Elle lui/l’empêchera de manger la pomme.

(2) Elle lui/l’empêchera de boire cette eau.

(3) Le tremblement de terre lui/*l’empêchera de tout perdre.

(28)

77) *Jean a fait partir à son amie.

78) *Jean a laissé partir à son amie.

79) Jean a empêché à son amie de partir.

80) Jean a empêché son amie de partir.

De même, les verbes support faire et laisser ne tolèrent pas la préposition à lorsque le verbe devenir est enchâssé comme dans (82) et (84), alors que le verbe empêcher l’accepte, comme les exemples (85) et (86) le montrent :

81) Cela fera devenir son fils un bon professeur.

82) *Cela fera devenir à son fils un bon professeur 83) Il laissera son fils devenir un bon professeur.

84) *Il laissera à son fils devenir un bon professeur.

85) Cela empêchera son fils de devenir un bon professeur.

86) Cela empêchera à son fils de devenir un bon professeur.

Kayne (1977) a expliqué cette impossibilité par le fait que le syntagme nominal un bon professeur est interprété en tant que syntagme adjectival. Il ne peut pas être interprété comme un objet direct (syntagme nominal), puisqu’il s’accorde avec le sujet. Or, la préposition à ne peut pas être employée dans ce cas par les verbes faire et laisser :

87) *Jean a laissé à sa fille être agressive.

88) *Jean a fait être à sa fille agressive.

En revanche, le verbe empêcher accepte cette structure : 89) Jean a empêché à sa fille d’être agressive.

J’ai par ailleurs proposé de renforcer l’explication de cette difficulté à insérer la préposition à en présence du prédicat devenir de par sa nature sémantique. Le prédicat devenir met en évidence le rôle de l’expérienceur (ci-dessus, la fille) et la propriété qui est mise en jeu (ci- dessus, l’agressivité), ce qui met en évidence le fait que ce verbe est traité comme ayant besoin d’un complément adjectival. Cet aspect permet de souligner la nécessité de concevoir le complément de devenir comme un syntagme adjectival tout en sachant que ce fait est provoqué de par la nature syntaxique du verbe. La propriété renvoyant à l’état résultant peut ainsi être considérée comme un adjectif (dans l’exemple de devenir un bon professeur, on obtient la phrase devenir compétent). Le verbe empêcher n’ayant aucune difficulté avec le traitement d’un adjectif tolère aisément l’insertion de la préposition à avec le verbe devenir.

Ce cas de figure tend à montrer que la forme oblique est une ancienne norme, dont la structure transitive a découlé.

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