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Les constructions inergatives en français ont démontré plusieurs points permettant de dissocier les structures inaccusatives des structures inergatives, i.e. le type d’événement, le choix de l’auxiliaire, la possibilité ou l’impossibilité d’utiliser le participe passé en tant qu’adjectif et une structure sémantique lexicale différente de la causalité. Il convient de regarder si ces remarques s’appliquent également à l’allemand.

Concernant le premier critère, le type d’événement, l’allemand ne diverge pas du français. Les verbes inaccusatifs tendent à être des verbes de changement d’état, alors que les verbes inergatifs renvoient à des activités. Les exemples suivants illustrent ce point :

verbes inaccusatifs : zerplatzen, hinfallen, kommen, erscheinen, verschwunden, aufblasen, etc.

verbes inergatifs : schreien, husten, fliegen, lachen, laufen, schwimmen, etc.

En ce qui concerne le second critère, le choix de l’auxiliaire, l’hypothèse de Cornilescu se heurte aux mêmes difficultés que celles rencontrées dans le cas du français. Si son analyse marque des tendances, elle est toutefois sujette à des variations :

1. verbes inaccusatifs :

244) Hans hat den Luftballon zerplatzen lassen.  Der Luftballon ist zerplatzt.

245) Der Wind hat die Brücke einstürzen lassen.  Die Brücke ist eingestürzt.

246) Hans hat Marie hinfallen lassen.  Marie ist hingefallen.

247) Hans hat Marie kommen lassen.  Marie ist gekommen.

248) Die Kritik hat Marie in einem schlechten Licht erscheinen lassen.  Marie ist in einem schlechten Licht erschienen.

249) Die Wolken haben die Sonne verschwinden lassen.  Die Sonne ist verschwunden.

250) Der Wind hat die Segel aufgeblasen.  Die Segel haben sich aufgeblasen.

Tous ces prédicats, excepté celui du dernier exemple, utilisent l’auxiliaire sein, comme l’hypothèse le prédisait.

2. verbes inergatifs :

251) Hans hat Marie schreien lassen.  Marie hat geschrieen.

252) Hans hat Marie husten lassen.  Marie hat gehustet.

253) Hans hat Marie lachen lassen.  Marie hat gelacht.

254) Hans hat das Flugzeug fliegen lassen.  Das Flugzeug ist geflogen.

255) Hans hat das Pferd laufen lassen.  Das Pferd ist gelaufen.

256) Hans hat seinen Hund schwimmen lassen.  Sein Hund ist geschwommen.

Les verbes de mouvement (fliegen, laufen, schwimmen) utilisent en allemand l’auxiliaire sein (être) et non haben (avoir), c’est pourquoi l’hypothèse de Cornilescu échoue pour les prédicats inergatifs.

Il semblerait donc que le choix de l’auxiliaire n’est pas aussi clairement défini en fonction du type de verbe que Cornilescu l’a fait remarquer, puisque dans certains cas, tant en allemand qu’en français, les verbes croisent l’auxiliaire attendu.

Le troisième critère renvoie à la possibilité d’utiliser le participe passé en tant qu’adjectif avec un substantif lorsque l’on a un prédicat inaccusatif et à l’impossibilité d’un tel emploi avec un prédicat inergatif.

3. verbes inaccusatifs :

257) Der zerplatzte Luftballon ist auf der Strasse.

258) Die eingestürzte Brücke ist auf der Strasse.

259) Die hingefallene Frau hat sich wieder aufgerichtet.

260) Die angekommene Frau ist weggegangen15.

261) Die verschwundene Sonne hat die Atmosphäre abgekühlt.

262) Die aufgeblasenen Segel sind weiss.

A part le verbe kommen, qui exige la présence d’un préfixe modifiant sa signification, les autres verbes acceptent le participe passé sous forme d’adjectif. En revanche, les verbes inergatifs ne le permettent pas :

263) *Die geschrieene Stimme ist spitz.

264) *Die gehustete Stimme ist rauh.

265) *Die gelachte Frau ist hingefallen.

266) *Das geflogene Flugzeug ist gross16. 267) *Das gelaufene Pferd ist weiss17. 268) *Der geschwommene Hund ist weiss18.

Pour que les phrases ci-dessus soient grammaticales, il faut utiliser le participe présent:

269) Die schreiende Stimme ist spitz.

270) Die hustende Stimme ist rauh.

271) Die lachende Frau ist hingefallen.

272) Das fliegende Flugzeug ist gross.

15 On peut noter que le verbe kommen nécessite l’ajout du préfixe an- pour que le syntagme die angekommene Frau soit grammatical. Le verbe ankommen (arriver) modifie la signification du verbe kommen (venir). En français, les deux formulations sont acceptées.

16 On peut noter le fait que si cette formulation est incorrecte, l’adjonction du préfixe ab- rend la phrase grammaticale : das abgeflogene Flugzeug (l’avion qui a décolé). En français, la formulation l’avion décolé reste agrammaticale.

17 On peut noter que l’ajout du préfixe an- rend la phrase grammaticale : das angelaufene Pferd ist weiss. Le verbe anlaufen (se mettre en marche) modifie légèrement la signification du verbe laufen (courir). En français, les deux formulations sont inacceptables.

18 On peut noter que la présence du préfixe heran- rend la phrase grammaticale : der herangeschwommene Hund ist weiss. La signification du verbe heranschwimmen (s’approcher de quelque chose ou de quelqu’un) diffère de la signification du verbe schwimmen (nager). La propriété de nager n’est plus exprimée dans ce cas de figure : il s’agit de deux verbes différents formés par préfixation sur la base de la même racine. Le français ne tolère aucune des deux formulations.

273) Das laufende Pferd ist weiss.

274) Der schwimmende Hund ist weiss.

En français, cette utilisation est plus aléatoire. Si les phrases (275) à (277) semblent acceptables, les exemples (278) à (280) ne le sont pas :

275) La voix criante est aiguë.

276) La voix toussante est rauque.

277) La femme riante est tombée.

278) *L’avion volant est grand.

279) *Le cheval courant est blanc.

280) *Le chien nageant est blanc.

Le participe présent peut toujours être utilisé en allemand sous forme adjectivale, alors que le français est plus restrictif. On peut donc relever que les verbes de mouvement tels que fliegen, laufen et schwimmen en allemand et respectivement voler, courir et nager en français, possèdent des propriétés différentes des autres prédicats, puisqu’ils n’acceptent pas le participe présent en français19 et peuvent tolérer le participe passé lorsqu’ils sont modifiés par un préfixe en allemand. Le verbe inaccusatif kommen subit une même transformation, ce qui souligne le traitement particulier de ce type de verbe.

Enfin, en ce qui concerne le dernier critère, une structure sémantique différente, l’allemand ne diffère pas du français : la causalité réside dans le lexique dans le cas du prédicat inaccusatif et dans une opération syntaxique dans le cas du prédicat inergatif.

Si l’on reprend les exemples proposés pour l’analyse du français, exemples donnés en anglais pour des raisons de constructions différentes en français qui a recours aux constructions causatives faire faire quelque chose, on peut constater que les mêmes parallèles sont possibles20. Tout d’abord, les phrases inaccusative (281) et inergative (282) ne partagent pas les mêmes rôles thématiques :

19 Les verbes tels que crier, tousser ou rire sont des verbes inergatifs et acceptent le participe présent. En revanche, les verbes voler, courir ou nager sont des verbes de processus et n’acceptent pas le participe présent.

Ces différentes possibilités d’expression dépendent ainsi des propriétés lexicales des verbes.

20 On peut noter que l’anglais, le français et l’allemand utilisent trois stratégies différentes dans le cas de l’exemple donné, i.e. the rider raced the horse past the barn, le cavalier a fait courir le cheval au-delà de la grange et der Reiter ist mit dem Perd in die Scheune geritten. Dans le premier cas, l’anglais permet de générer des structures similaires, i.e. il peut utiliser transitivement des verbes qui ont habituellement un usage intransitif (the rider raced the horse ou *le cavalier a trotté le cheval). L’allemand a par contre la possibilité de répéter un événement à travers l’agent, i.e. il y a une concordance événementielle entre la description de l’événement et l’agent (der Reiter ist mit dem Pferd geritten (*le cavalier a cavalé avec le cheval), der Schwimmer ist geschwommen (*le nageur a nagé), der Fahrer ist mit dem Auto gefahren (*le conducteur a conduit la voiture),

281) Der Reiter ist mit dem Pferd in die Scheune geritten.

agent agent

282) Der Koch brachte die Butter in der Pfenne zum Schmelzen.

agent thème

La structure inergative nécessite la présence d’un agent actif et non d’un thème. De même, la présence de cet agent actif ne se retrouve pas dans la représentation sémantique du verbe (reiten(x,y) CAUSE DO reiten(y)), alors que le thème est exprimé sémantiquement (zum Schmelzen bringen(x,y) CAUSE BECOME zum Schmelzen(y)). Le verbe reiten (courir) associé à la primitive DO rend la variable y passive, alors que y renvoie au Pferd (cheval). Le cheval perd son caractère agentif, ce qui tend à souligner que cet aspect relève de la syntaxe et non de la sémantique, sinon il devrait être exprimé en tant qu’agent dans la décomposition

La variable x caractérise l’agent causeur de reiten1 (faire de l’équitation). Le substantif Pferd est l’objet du verbe reiten1, mais aussi l’agent causeur du verbe reiten2. La structure reiten2

etc.). Enfin, le français a recours à une structure figée de type faire + infinitif, i.e. le verbe événementiel ne peut pas être déplacé (faire courir).

Comrie (1989, 167-171) propose une généralisation des structures causatives possibles à travers trois grands types de constructions, soit analytique, morphologique et lexical. La construction analytique décrit deux prédicats séparés, l’un exprimant la cause, l’autre l’effet (I caused John to go ou je vais faire que Jean y aille).

Ce type de construction est rare. La construction morphologique caractérise un prédicat non causatif auquel on ajoute une affixation et qui donne lieu à un prédicat causatif. Par exemple, le turque possède les verbes öl (mourir) et öl-dür (tuer), mais encore öl-dür-t (cause la mort). Ce procédé est très productif. La construction lexicale renvoie à des paires supplétives comme tuer et mourir.

A côté de ces trois types, on peut relever deux cas intermédiaires : la construction faire + infinitif est à la limite entre une construction analytique et morphologique, alors que la faculté d’utiliser un verbe intransitif de manière transitive est un mélange de construction morphologique et lexicale. Selon Comrie, la structure faire + infinitif est analytique puisqu’elle utilise deux prédicats, mais ceux-ci sont soumis à des contraintes fortes (le sujet de l’infinitif est omis) ce qui la différencie d’une analytique « pure » ; de plus, il serait possible de réduire les deux prédicats en un seul prédicat et en ce sens la construction serait morphologique (I caused John to leave -> I had John leave). En ce qui concerne la faculté de pouvoir utiliser indifféremment un verbe à la forme transitive et intransitive, puisqu’il n’ y a pas de changement morphologique, on serait dans une construction lexicale, mais en même temps il est possible de former une phrase causative à partir d’un prédicat non causatif, ce qui renvoie à une construction morphologique.

Ainsi, les stratégies utilisées par l’anglais et le français sont classifiées dans la typologie de Comrie : l’anglais est à la limite entre les types morphologique et lexical et le français peut être considéré comme étant analytique et morphologique. Par contre, la faculté de l’allemand de pouvoir répéter un événement, ne faisant pas partie des procédés exprimant de la causalité, n’a pas été abordée.

(Pferd) est ainsi enchâssée par la structure causale. C’est pourquoi, Pferd est un objet agentif syntaxiquement. Par contre, sémantiquement, Pferd perd son caractère agentif, car c’est l’agent causeur du verbe reiten1 qui impose l’action :

CAUSE(x, DO reiten2 (y)) → reiten1 (x,y)

La particule DO implique bien que c’est x qui fait courir y. Dans ce cas, y subit l’action de courir, même si c’est toujours lui qui produit l’action en question. La représentation sémantique du verbe décrit y comme un patient et non comme un agent, ce qui démontre bien que le caractère agentif de y est purement syntaxique. La causalité réside ainsi bien dans une opération syntaxique dans le cas des verbes inergatifs.

Ainsi, les verbes inergatifs en allemand sont sensibles aux mêmes propriétés que les verbes français, tout comme les verbes ergatifs. Les constructions inaccusatives sont certes moins riches que celles du français, mais la seule construction qui diverge fondamentalement est celle qui implique les verbes support (construction causative), qui se réduit à un unique prédicat (lassen).

Les différentes constructions causatives développées ci-dessus sont scindées en deux parties : celles qui utilisent un verbe support qui renverrait à l’idée d’une insertion externe de causalité et celles qui contiennent la causalité dans leur signification. Les structures inaccusatives, inergatives et ergatives sont ainsi directement liées au lexique, puisque ces dernières s’utilisent avec un certain type de prédicats, comme les verbes de changement d’état ou les verbes de mouvement.