• Aucun résultat trouvé

Chapitre 2 : Etat de l’art en sémantique lexicale

2.1. Approche fonctionnaliste

2.1.1. Les espaces mentaux de Fauconnier

Fauconnier (1984, 15) propose une théorie de l’organisation du langage, qui se base sur des rapports établis entre des objets de nature différente, qui permettent de référer à un objet par le biais d’un autre. Pour ce faire, il introduit les notions de fonction pragmatique et de principe d’identification. La fonction pragmatique permet précisément de créer une référence à un objet par le biais d’un autre. Le principe d’identification permet d’identifier l’objet auquel on réfère. Selon Fauconnier (1984, 16), si l’on a deux objets a et b, qui sont liés par la fonction pragmatique (F), une description de a peut identifier son correspondant b (F(a) = b). En d’autres termes, le principe d’identification permet à la description du déclencheur (a) d’identifier la cible (b). Le but de Fauconnier (1984, 10) est d’utiliser le langage pour décrire des aspects généraux des constructions mentales. « (…) La théorie des espaces mentaux

57 On peut souligner le fait qu’un trait inhérent a la propriété d’être annulable s’il est soumis à des conditions particulières. En effet, le contexte peut modifier un trait inhérent.

consiste à considérer le langage et son usage comme la construction mentale et abstraite d’espaces et d’éléments, de rôles et de relations entre espaces » (Moeschler & Reboul 1994, 158). Fauconnier cherche ainsi à construire des espaces et des relations entre ces espaces.

Ceux-ci sont construits à partir des indications fournies par les expressions linguistiques (Fauconnier 1984, 32). Fauconnier (1984, 29) ne s’intéresse pas à la relation entre les mots et le monde, mais bien à la relation entre les mots et les constructions mentales du locuteur et de l’interlocuteur. La phrase représente la situation d’un événement ou d’un état dans un espace de base, qui incarne la réalité présente, i.e. un monde mutuel connu par les interlocuteurs.

Certaines expressions linguistiques sont des introducteurs, i.e. elles incluent dans leur signification l’établissement d’un nouvel espace différent de l’espace de base, mais lié à ce dernier (Fauconnier 1984, 32). Les mots construisent ainsi des espaces, dans lesquels la situation ne sera vraie que dans cet espace.

Les espaces mentaux sont donc représentés par des ensembles structurés d’éléments, comme par exemple les groupes nominaux, et par des relations entre ces éléments. Il est possible de modifier ces ensembles en ajoutant de nouveaux éléments et ainsi d’établir de nouvelles relations entre ces éléments (Fauconnier 1984, 32). Fauconnier (1984, 33) remarque qu’un espace est toujours introduit à l’intérieur d’un autre espace, dit espace-parent. Les espaces sont ordonnés par la relation d’inclusion, mais diffèrent par leurs éléments (Fauconnier 1984, 32).

Fauconnier (1984, 63) distingue également les concepts de rôle et de valeur. Il les considère comme un cas de référence différée déclencheur-cible, puisque le lien entre un rôle et sa valeur est une fonction pragmatique. Le rôle est défini en termes de description linguistique caractérisant une catégorie, alors que la valeur correspond à l’entité qui est décrite par la catégorie. Par exemple, le Président des USA correspond à un rôle et celui-ci peut prendre différentes valeurs, telles que Bill Clinton ou Georges W. Bush (Fauconnier 1984, 62). La valeur dans un espace peut être décrite par un rôle dans un autre espace, bien que ce même rôle est invalide dans le premier espace. L’exemple suivant illustre ce cas (Fauconnier 1984, 47) :

568) En 1929, la dame aux cheveux blancs était blonde.

La valeur dans le premier espace indiqué par en 1929 correspond à la fille blonde ; cette valeur est décrite par un rôle (la dame aux cheveux blancs) lié à l’espace de base (espace actuel).

La théorie des espaces mentaux illustre ainsi comment une phrase évoque des espaces représentant le statut de nos connaissances relativement à la réalité, comment les langues créent un lien entre les différents espaces en référant à un individu et comment les connaissances d’un individu se déplacent d’un espace à un autre.

Cependant, cette théorie rencontre un certain nombre de difficultés liées aux concepts de rôle et de valeur. Tout d’abord, le fait que le choix lors d’une pronominalisation peut se porter soit sur la valeur soit sur le rôle pour une même phrase montre un manque d’explication à propos de cette relation. Les exemples suivants illustrent ce problème (Moeschler & Reboul 1994, 173) :

569) Le Premier ministre est allé inaugurer la nouvelle centrale nucléaire mise en service par EDF. Elle a prononcé un discours à la gloire de la technologie française.

570) Le Premier ministre est allé inaugurer la nouvelle centrale nucléaire mise en service par EDF. Il a prononcé un discours à la gloire de la technologie française.

L’exemple (569) insiste sur la valeur de la fonction de Premier ministre, alors que l’énoncé (570) souligne le rôle de la fonction. Les deux pronominalisations sont possibles, aussi la relation entre le rôle et sa valeur nécessiterait un développement supplémentaire.

Un autre exemple met en évidence la difficulté liée à ces deux concepts de rôle et de valeur, qui sont propres au principe d’identification entre les espaces (Moeschler & Reboul 1994, 174) :

571) Balestrini est sur le troisième rayonnage à partir du bas.

Dans ce cas, il est impossible d’identifier le rôle ou la valeur de Balestrini, si l’on ignore le fait que Balestrini est un écrivain italien.

Le même problème se retrouve lorsqu’il faut choisir entre la cible et le déclencheur (Moeschler & Reboul 1994, 173) :

572) George Sand est sur le troisième rayon à partir du bas.

Dans cet exemple, George Sand renvoie obligatoirement au livre (à la cible) et non à l’individu (au déclencheur). Le choix s’effectue automatiquement, mais grâce à des facteurs pragmatiques et contextuels qui ne sont pas décrits.

Fauconnier introduit ainsi le principe d’identification entre les espaces, notamment entre un déclencheur et sa cible ou bien encore entre le rôle et sa valeur. Si ce principe n’est pas contesté, son utilisation pose pourtant des problèmes. Ceux-ci soulignent le manque de

clarification à propos de la relation entre rôle et valeur, et mettent ainsi en lumière les limites de la théorie de Fauconnier.