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Les constructions inaccusatives incluent la causalité dans leur signification et sont formées à l’aide de verbes de changement d’état, tout comme les constructions ergatives. Elles se différencient de ces dernières par leur forme intransitive : le patient subissant le procès prend la place du sujet et l’agent n’est pas mentionné. Les structures inaccusatives se dissocient des structures purement intransitives, dans le sens où elles exigent la présence du patient en tant que sujet, alors que les formes intransitives tolèrent l’absence du patient/thème. La première phrase est une structure inaccusative et la seconde une structure intransitive :

144) La branche a cassé.

145) Max a mangé.

La branche est bien le patient, i.e. elle subit le processus, alors que Max est l’agent. Dans l’énoncé Max a mangé, le thème est absent. La structure inaccusative nécessite la présence du patient et implicite l’agent, alors que la structure intransitive ne réalise pas linguistiquement le patient/thème (Moeschler 2003, 15). On peut donner la représentation suivante pour la phrase ci-dessous :

146) La fenêtre casse : CAUSE(x, ETRE CASSÉE(la fenêtre)).

La représentation met en évidence l’absence de l’agent (noté x) : l’agent est implicité. Il en est de même pour les exemples suivants :

147) Les feuilles jaunissent : CAUSE(x, ETRE JAUNES(les feuilles)) 148) Marie rougit : CAUSE(x, ETRE ROUGE(Marie))

On peut insérer un agent à l’aide de la construction causative faire :

149) L’automne a fait jaunir les feuilles : CAUSE(l’automne, ETRE JAUNES(les feuilles))

150) Paul a fait rougir Marie : CAUSE(Paul, ETRE ROUGE(Marie))

En revanche, on peut donner la représentation suivante de Max a mangé : CAUSE(Max, ETRE MANGÉ(x)). Le thème est noté par la variable x. Il en est de même pour les exemples ci-dessous :

151) Max a frappé : CAUSE(Max, ETRE FRAPPÉ(x)) 152) Max a tiré : CAUSE(Max, ETRE TIRÉ(x))

Les verbes frapper et tirer ne sont pas des verbes de changement d’état, mais ils expriment également la causalité. Ils divergent par rapport à un verbe comme manger ou casser, qui tous deux peuvent également être utilisés sous une forme transitive (structure ergative) ou intransitive, car ils ne donnent pas lieu à un état résultant compris dans la représentation sémantique. Le prédicat manger implique ETRE MANGÉ, de même que casser implique le résultat ETRE CASSÉ, alors que le prédicat frapper peut soit impliquer le résultat ETRE FRAPPÉ (153), soit ne pas l’impliquer (154) :

153) Max a frappé Paul : CAUSE(Max, ETRE FRAPPÉ(Paul))

154) Max a frappé Paul, mais il a esquivé le coup : CAUSE(Max, ETRE FRAPPÉ(Paul)) et CAUSE(Max, ¬ETRE TOUCHÉ(Paul))

Le prédicat tirer peut lui aussi soit impliquer l’état résultant (155), soit ne pas l’impliquer (156) :

155) Max a tiré sur Jean : CAUSE(Max, ETRE TIRÉ(Jean))

156) Max a tiré sur Jean, mais il l’a raté : CAUSE(Max, ETRE TIRÉ(Jean)) et CAUSE(Max, ¬ETRE TOUCHÉ(Jean))

L’état résultant ETRE TIRÉ est bien réalisé, mais pas l’état résultant ETRE TOUCHÉ. Le premier état résultant correspond à une implication sémantique, car il est non annulable (si on l’annule, une contradiction apparaît). En revanche, le second état résultant correspond à une implicature conversationnelle généralisée, car il faut l’inférer du verbe tirer, qui sous-entend un but à atteindre. L’état résultant ETRE TIRÉ est appliqué par défaut, alors que l’état résultant ETRE TOUCHÉ doit être explicité et peut être annulé sans exprimer de contradiction.

Les verbes frapper et tirer se comportent comme le verbe pousser, qui exprime une causalité faible, puisque la relation causale peut être défaite.

Si la structure inaccusative se distingue de la forme intransitive, on peut noter que la forme transitive du verbe contient la forme intransitive. Par exemple, casser la fenêtre correspond à la fenêtre casse, qui est une structure inaccusative. La forme passive introduit un adjectif,

comme la fenêtre est cassée. On peut donner une représentation de la phrase Marie casse la fenêtre : CAUSE(Marie, DEVENIR (la fenêtre est cassée)). On voit bien le lien entre la causalité et l’aspect passif du prédicat casser. Il en est de même pour les verbes fermer (cause devenir fermé), jaunir (cause devenir jaune), rougir (cause devenir rouge) et tuer (cause devenir mort). L’aspect passif pointe un état dépeint par l’adjectif. La primitive DEVENIR relie un événement et un état : elle démontre le processus.

Par ailleurs, Moeschler (2003, 16) fait remarquer qu’un autre type de construction renvoie à une structure inaccusative : les constructions pronominales, dites neutres (Ruwet 1972) et utilisées avec un sujet non agentif (patient). Les exemples suivants illustrent cette structure :

157) La branche s’est cassée : CAUSE(x, ETRE CASSÉE(la branche)) 158) Le brouillard s’est dissipé : CAUSE(x, ETRE DISSIPÉ(le brouillard)) 159) La foule s’est dispersée : CAUSE(x, ETRE DISPERSÉE(la foule)) 160) Les soldats se sont réunis : CAUSE(x, ETRE RÉUNIS(les soldats)) 161) La glace s’est brisée : CAUSE(x, ETRE BRISÉE(la glace))

Ces structures peuvent toutes être transformées en construction transitive : 162) La tempête a cassé la branche.

163) Le vent a dissipé le brouillard.

164) Les policiers ont dispersé la foule.

165) Le chef a réuni les soldats.

166) Le garçon a brisé la glace.

Dans les structures pronominales neutres, l’agent n’est pas mentionné, bien qu’il fasse partie de la structure causale, alors que les constructions transitives expriment l’agent.

Moeschler (2003, 26) fait également remarquer que ce type de construction est proche syntaxiquement des constructions réfléchies (167) et moyennes (168) :

167) Jean se lave : CAUSE(Jean, ETRE LAVÉ(Jean))

168) Les pâtes se mangent avec du parmesan : CAUSE(x, ETRE MANGÉES(les pâtes)) Dans le cas d’une structure réfléchie, l’agent et le patient renvoient à la même personne : on a donc un expérienceur plutôt qu’un patient ou un thème. Dans le cas d’une construction moyenne, l’agent n’est pas défini, il réfère à un pronom indéfini (on mange des pâtes avec du parmesan) et le thème (les pâtes) subit le processus. On pourrait proposer la différence suivante :

Structure réfléchie : Jean s’est lavé.  Jean s’est lavé lui-même. / Jean s’est lavé tout seul.

Structure neutre : La branche s’est cassée.  *La branche s’est cassée elle-même. / La branche s’est cassée toute seule.

Structure moyenne : Les pâtes se mangent avec du parmesan.  *Les pâtes se mangent elles-mêmes. / *Les pâtes se mangent toutes seules.

La phrase Jean s’est lavé accepte la forme réléchie, où l’agent est le patient, alors que l’énoncé les pâtes se mangent avec du parmesan nécessite la présence d’un agent extérieur.

La phrase la branche s’est cassée n’accepte pas la forme réfléchie, mais n’a pas besoin d’agent extérieur : la proposition la branche s’est cassée toute seule est en effet tout à fait appropriée.

Ruwet (1972) s’intéresse tout particulièrement aux structures neutres et moyennes. Il propose de les distinguer d’une part sur la base de leur construction et d’autre part sur la base de critères tels que les adverbes.

Deux interprétations ont été développées par Ruwet (1972, 90) quant à la formation de ces deux structures. Les constructions neutres sont traitées à l’aide de règles de redondance lexicale, alors que les constructions moyennes sont dérivées transformationnellement des constructions transitives. La formation lexicale impose d’introduire dans la base du lexique les constructions transitive et pronominale ; les verbes pronominaux sont sous-catégorisés dans le lexique en termes de trait [+réfléchi] :

Dissiper(x,y) : NP Ŕ verbe Ŕ NP - complément

Dissiper (x,y) +[réfléchi] + [CAUSE] : NP - se Ŕ verbe Ŕ complément

Les structures transitive et neutre diffèrent, puisque la structure neutre met en position de sujet le NP objet de la phrase transitive. Les deux structures sont inscrites dans le lexique, mais chacune individuellement et non pas comme étant dérivée l’une de l’autre. Le trait [CAUSE]

rend compte de la différence sémantique entre un verbe neutre et un verbe transitif. Ruwet (1972, 130) propose d’inscrire certains traits comme un trait de sous-catégorisation stricte [+(se)], afin de distinguer les verbes pronominaux (170) de ceux qui ne le sont pas (169) :

169) La branche se casse.  La branche casse.

170) La branche se brise.  *La branche brise.

Le verbe casser est introduit dans le lexique avec le trait [+(se)], alors que briser est noté [+se]. Le verbe dissiper reçoit la description suivante : [dissiper], [+(se)], [+CAUSE], [NP], [complément].

La dérivation transformationnelle implique en revanche que les constructions transitives sont directement engendrées dans la base du lexique et les constructions pronominales dérivées par transformation où le NP objet devient un NP sujet avec l’insertion du pronom réfléchi se :

171) Ernestine a lavé le veston en 10 minutes.

Le veston se lave en 10 minutes.

172) Nous avons mangé le caviar avec de la vodka.

Le caviar se mange avec de la vodka.

Outre cette distinction dérivationelle, Ruwet (1972) a relevé quelques critères pointant sur les différences entre les deux structures :

1. Les constructions moyennes ont un sens passif, i.e. elles sont perçues comme impliquant la présence d’un agent non exprimé, alors que les constructions neutres n’impliquent pas d’agent (Ruwet 1972, 94) :

173) Le veston se lave en 10 minutes. L’agent qui lave le veston est sous-entendu.

174) Les soldats se sont réunis. Les soldats correspondent à l’expérienceur, aussi l’agent n’est pas sous-entendu.

Le complément sous-entendu doit avoir le rôle d’agent (Ruwet 1972, 98) : 175) *Des ministres, ça se comporte.

176) *Le gouvernement comporte 17 ministres11.

Dans (175), des ministres ne peut être un agent. Dans (176), le gouvernement est interprété comme un thème, aussi la phrase est agrammaticale.

L’acceptabilité de l’expression adverbiale d’une seule main souligne le rôle tacite de l’agent, alors qu’une structure neutre ne tolère pas cet adverbe (Ruwet 1972, 119) :

177) Une branche, ça se casse d’une seule main.

178) *La branche s’est cassée d’une seule main.

Toutefois, les constructions neutres qui possèdent un NP animé tolèrent les adverbes temporels, alors que celles qui ont un NP inanimé ne les acceptent pas :

179) La foule s’est dispersée volontairement.

180) *Le brouillard s’est dissipé volontairement.

11 Pour que la phrase soit grammaticale, il faudrait dire : le gouvernement est formé de 17 ministres.

Cet aspect tend à souligner qu’un NP animé est interprété en tant qu’agent, qui peut être relié à un adverbe intentionnel, alors qu’un NP inanimé est interprété en tant que thème.

L’expression adverbiale d’une seule main en tant qu’adverbe intentionnel permet de mettre en évidence que les constructions moyennes impliquent obligatoirement un agent sous-entendu :

181) Ce veston se lave d’une seule main.

Le terme veston est un NP inanimé, mais la phrase est grammaticale. Cependant, un adverbe intentionnel impliquant le vouloir de l’agent tel que volontairement ou délibérément ne peut pas être appliqué dans cet exemple :

182) Ce veston se lave volontairement.

Les constructions moyennes acceptent donc des adverbes qui font référence à un agent, mais qui n’impliquent pas la volonté de ce dernier, alors que les constructions neutres ne tolèrent ni les uns ni les autres.

2. Les constructions moyennes peuvent exprimer un événement particulier ou répétitif (générique) (Ruwet 1972, 96) :

183) Ce veston se lave en 10 minutes.

184) Les patrons, ça se séquestre.

Les exemples tels que le caviar se mange avec de la vodka ou une branche, ça se casse montrent bien l’aspect générique propre aux constructions moyennes. Par contre, les constructions neutres renvoient uniquement à des événements particuliers.

3. Les constructions moyennes n’acceptent pas les expressions temporelles numériques ponctuelles (Ruwet 1972, 95) :

185) *Ces lunettes se nettoient à 8h15.

Par contre, elles acceptent les adverbes temporels vagues (186) ou duratifs (187) : 186) Ces lunettes se nettoient rapidement.

187) Ces lunettes se nettoient en 10 minutes.

Les constructions neutres tolèrent les deux types d’expressions : 188) Cette branche s’est cassée hier à 8h15.

189) Cette branche s’est cassée rapidement.

190) Cette branche s’est cassée en 10 minutes.

Ruwet n’explique pas la non-acceptabilité des expressions temporelles numériques ponctuelles, ni l’acceptabilité des autres adverbes. On peut faire l’hypothèse que les constructions moyennes ne tolèrent pas l’insertion de complément temporel numérique ponctuel à cause de la classe aspectuelle du verbe. On peut citer les exemples suivants :

191) *Le veston se lave à 8h15. (activité)

192) *Le caviar se mange avec de la vodka à 8h15. (activité) 193) *Les patrons, ça se séquestre à 8h15. (accomplissement) 194) *Les vitres, ça se brise à 23h30. (achèvement)

Si l’activité et l’accomplissement sont des processus étendus dans le temps, l’achèvement ne correspond pas à cette définition, i.e. il renvoie à un événement ponctuel. On devrait donc obtenir une phrase acceptable pour l’achèvement.

Cependant, la formulation de la phrase la rendant générique, une heure précise s’appliquant à un événement générique pourrait rendre la phrase inacceptable. Ce serait alors soit le type d’éventualité soit le type de phrase qui rendrait l’insertion d’un tel adverbe impossible.

En revanche, les constructions neutres impliquant soit des événements ponctuels soit des événements achevés, et de ce fait, l’insertion d’un adverbe temporel numérique ponctuel est autorisé :

195) Le brouillard s’est dissipé à 8h15. (événement achevé) 196) La foule s’est dispersée à 8h15. (événement achevé) 197) La vitre s’est brisée à 8h15. (achèvement)

On peut noter que les constructions neutres sont au passé. On peut toutefois les convertir au présent :

198) Le brouillard se dissipe à 8h15.

199) La foule se disperse à 8h15.

200) *La vitre se brise à 8h15.

A l’inverse des résultats escomptés, les deux événements achevés acceptent l’expression temporelle à 8h15. Ils revêtent une forme plus générale, qui renvoie à un événement répétitif. Ils ne correspondent pas à des événements génériques, mais à des événements itératifs, qui tolèrent un adverbe temporel numérique ponctuel en tant que

borne finale de l’événement. L’adverbe marque la fin du processus. Les deux verbes se dissiper et se disperser renvoient à des accomplissements. Le dernier exemple (se briser) n’accepte pas l’adverbe, car il s’agit d’un achèvement qui ne peut pas être relié à un événement itératif.

On peut donc en conclure que ce qui bloque l’acceptabilité de l’adverbe temporel numérique ponctuel dans les structures moyennes, c’est le type de classe aspectuelle (activité) et le type de phrase (générique) et dans les structures neutres, c’est la conjonction de la classe aspectuelle (achèvement) avec un événement itératif.

Les structures neutres et moyennes se distinguent l’une de l’autre, de même qu’elles se dissocient des constructions réfléchies. Elles se rapprochent de la construction inaccusative en ce qui concerne la production de causalité :

201) La fenêtre casse.

202) La fenêtre s’est cassée.

203) Les fenêtres, ça se casse.

204) Jean s’est cassé le bras.

L’exemple (201) est une phrase inaccusative qui ne mentionne pas l’agent : un instrument ou un agent peut causer l’action casser. On peut même supposer que la fenêtre casse par elle-même. L’énoncé (202) renvoie à une construction neutre, qui se rapproche de la phrase inaccusative : la fenêtre peut avoir cassé d’elle-même ou alors on peut supposer qu’un agent ou un instrument en est la cause. La phrase (203) est une structure moyenne qui en revanche sous-entend la présence d’un agent. On ne peut pas imaginer que la fenêtre s’est cassée d’elle-même. L’exemple (204) est une structure réfléchie qui implique l’agent. On peut donc relever que ce qui distingue ces constructions au niveau de la causalité, c’est le rôle de l’agent.