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Chapitre 2 : Etat de l’art en sémantique lexicale

2.2. Approche formaliste

2.2.2. Les champs sémantiques de Miller & Johnson-Laird

Miller & Johnson-Laird (1976) se sont également intéressés aux champs sémantiques des verbes. Leur approche diffère fondamentalement de celle de Lehrer (1974), qui se base sur les relations sémantiques comme la synonymie, l’antonymie, l’inclusion des classes et la complémentarité ou l’incompatibilité afin de définir la signification d’un terme. Les mots sont donc différenciés par ces relations sémantiques et sont classifiés sous forme de hiérarchie. A l’inverse, Miller & Johnson-Laird (1976) postulent que les champs sémantiques expriment la manière dont les gens organisent habituellement leurs pensées : état, événement, action, cause ou bien encore intention.

Miller & Johnson-Laird (1976, 668) proposent quatre champs sémantiques verbaux : les verbes de mouvement, les verbes de possession, les verbes de vision et les verbes de communication. Miller & Johnson-Laird ont ainsi réduit leur organisation lexicale à quatre champs sémantiques, alors qu’il en existe encore bien d’autres qui pourraient définir les verbes. Sur ce point, les classes de verbes de Levin sont plus prolifiques. De plus, leur classification manque de rigueur, comme le champ sémantique des verbes de mouvement permet de l’illustrer.

Le champ sémantique des verbes de mouvement caractérise comment les gens et les choses changent leur place et leur orientation dans l’espace. Il est composé des catégories suivantes : les verbes de voyage (travel), qui impliquent un simple déplacement (monter, descendre, etc.), les verbes de mouvement déictiques (venir, aller, etc.), les verbes qui expriment la cause du mouvement (bouger, avancer, etc.), les verbes qui nécessitent un agent comme sujet du mouvement (conduire, marcher, etc.) et les verbes qui incorporent le caractère aspectuel du mouvement (commencer ou arrêter). Miller & Johnson-Laird (1976, 529-530) proposent encore les catégories suivantes : les verbes qui décrivent les mouvements du corps (éternuer, sourire, tousser, respirer, etc.), les verbes qui impliquent un changement d’état comme commencer et arrêter ou bien encore les verbes qui caractérisent une position (immobilité) comme rester ou tenir. Mais si Miller & Johnson-Laird citent ces catégories, ils ne les exposent pas explicitement, car ils les considèrent comme des cas limites du champ sémantique du mouvement. En effet, ce champ sémantique insiste sur le changement de lieu.

Or, ces verbes n’impliquent pas de déplacement.

La catégorie des verbes de voyage (travel) contient les verbes qui impliquent qu’un individu change de lieu, en voyageant à travers l’espace (Miller & Johnson-Laird 1976, 531). Ces

verbes n’incluent pas de causalité à l’inverse de bouger ou de changer, qui sont des verbes causatifs. Les verbes suivants illustrent la catégorie des verbes de voyage (Miller & Johnson-Laird 1976, 537) : monter, descendre, tomber, couler, avancer, progresser, émerger, sortir, pivoter, entrer, quitter, etc. Tous ces verbes de mouvement contiennent comme composante un adverbe directionnel (en haut, en bas, devant, à l’extérieur, autour, dedans, loin), que l’on peut aussi exprimer par une préposition (UP, DOWN, INTO, FROM, etc.)72.

La catégorie des verbes de mouvement déictiques renvoie aux verbes venir, aller, amener, envoyer et prendre (Miller & Johnson-Laird 1976, 539). Les verbes envoyer et prendre peuvent être substitués par CAUSE TO GO et le verbe amener par CAUSE TO COME. C’est pourquoi les verbes venir et aller illustrent cette catégorie. Ces verbes de mouvement dépendent de la personne et du lieu où l’événement se produit, i.e. ils contiennent une valeur déictique.

Les verbes qui expriment la cause du mouvement, tels que bouger, avancer, augmenter ou bien encore mettre, impliquent tous la composante CAUSE dans leur définition. En effet, l’action cause le mouvement : par exemple, faire l’action d’avancer cause le fait d’avancer. Le problème que l’on rencontre avec cette catégorie réfère au fait que Miller & Johnson-Laird intègrent également le verbe voyager dans ce champ lexical, alors que ce dernier appartient à la catégorie des verbes de voyage (travel). Par ailleurs, les verbes dits déictiques peuvent également être reliés à ce champ lexical : envoyer, prendre et amener sont notamment paraphrasés par CAUSE TO GO et CAUSE TO COME. Ainsi, l’action d’envoyer cause le fait d’aller d’un endroit à un autre, l’action de prendre cause le fait d’aller à un autre endroit et l’action d’amener cause le fait de venir à un lieu donné. Cette catégorie peut s’appliquer aux verbes des autres catégories, ce qui démontre les limites de ce champ sémantique.

La catégorie suivante exige un agent comme sujet, tels que les verbes conduire, marcher, nager ou bien encore courir. Si ces verbes d’activité nécessitent bien la présence d’un agent, ils possèdent toutefois des caractéristiques sémantiques bien différentes entre eux, qui mériteraient de les classifier dans des champs lexicaux distincts.

La dernière catégorie est celle des verbes de mouvement qui incorporent un opérateur aspectuel comme BEGIN, END ou CONTINUE (Miller & Johnson-Laird 1976, 554).

Cependant, cette catégorie recoupe la catégorie des verbes de changement d’état comme commencer et arrêter, qui impliquent aussi les opérateurs BEGIN et END.

72 Les prépositions sont notées en majuscule, car il s’agit de concepts appartenant à un métalangage.

Le problème de ce champ lexical est d’une part qu’il regroupe les mêmes verbes sous des catégories différentes et d’autre part qu’il ne distingue pas suffisamment les propriétés sémantiques des verbes. Les autres champs sémantiques rencontrent les mêmes difficultés. De plus, Miller & Johnson-Laird proposent des catégories, mais ils ne présentent pas de liste exhaustive de verbes sous chaque champ lexical.

Le champ sémantique des verbes de possession permet d’illustrer un autre défaut de cette approche, i.e. les catégories impliquent des concepts peu clairs. Les champs lexicaux sont les suivants : les verbes de possession inhérente comme posséder, les simples verbes de possession comme avoir, les verbes qui impliquent un transfert de possession comme perdre, donner ou prêter, les verbes qui expriment un échange et le concept d’argent comme acheter et vendre ou bien encore les verbes de paiement comme payer. La catégorie des simples verbes de possession est définie par le verbe avoir, qui contient les trois sens de la possession selon Miller & Johnson-Laird (1976, 565) : la possession inhérente, accidentelle et physique.

Elle se distingue de la catégorie de la possession inhérente, puisque celle-ci contient des verbes qui ont une signification plus restrictive (possession inhérente uniquement).

Cependant, ce critère me semble peu convaincant, car posséder peut également correspondre à cette définition de la possession à la fois inhérente, accidentelle et physique.

On peut noter que ces champs sémantiques ont également été relevés par Levin (1993) sous forme de classes de verbes. Cependant, celle-ci propose une analyse plus précise de ces verbes : si elle se base sur des catégories plus larges, notamment comme dans le cas des verbes de changement avec comme classes les verbes de création et de transformation (comprenant les sous-classes changer et construire, qui impliquent un agent qui crée ou transforme une entité), les verbes de changement de possession (ayant pour sous-classes donner et obtenir, qui soulignent le point de vue du donneur ou du receveur) et les verbes de changement d’état (contenant les sous-classes casser et plier, qui impliquent ou non un changement dans l’intégrité matérielle d’une entité), elle obtient toutefois au final des sous-classes plus précises tant sémantiquement que syntaxiquement. Miller & Johnson-Laird présentent le champ sémantique des verbes de possession (champ lexical moins large que celui du changement, qui comprend le changement de possession, mais aussi le changement d’état), mais ne définissent que les propriétés sémantiques de celui-ci et de manière un peu superficielle. Ces dernières sont en effet plus générales, puisqu’ils proposent le champ sémantique transfert de possession, qui contient à la fois les verbes donner et obtenir, étant donné que ce champ sémantique souligne le lien entre l’acquisition et la perte. Levin propose

des propriétés sémantiques plus fines, telles que les points de vue de celui qui donne et de celui qui reçoit, ce qui justifie l’existence de sous-classes de verbes différentes. De plus, l’analyse de Miller & Johnson-Laird se base sur des données purement sémantiques (quelles sont les relations entre les verbes, i.e. relations d’opposition, de contraste, etc.), alors que Levin prend également en compte les propriétés syntaxiques des verbes. Pour toutes ces raisons, l’approche sémantique de Levin est plus appropriée pour développer des réseaux sémantiques que celle de Miller & Johnson-Laird.

2.2.3. Les opérateurs sémantiques basiques de Miller &