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On appelle  espace des états  l'espace mathématique dans lequel chacun des points représente un des états possibles du système entier. L'espace des états ne coïn- cide pas avec l'espace physique ; c'est un espace beaucoup plus abstrait. Dans le cas d'une particule unique en mouvement libre dans un espace à trois dimensions, chacun de ses états possibles est déterminé par six coordonnées (trois pour les positions et trois pour les vitesses) ; son espace des états a donc six dimensions. Pour un système à n particules libres de contraintes, chaque état possible étant déterminé par 6n co- ordonnées, l'espace des états de ce système a 6n dimensions. Diérentes courbes ou trajectoires dans cet espace représentent des histoires possibles du système.

Les lois de la dynamique, exprimées par les équations newtoniennes, lagrangiennes ou hamiltoniennes, disent quelles courbes dans l'espace des états sont des histoires possibles. Elles imposent des contraintes dynamiques sur la trajectoire des systèmes, dont l'état est représenté dans un certain espace. La description du mouvement d'un système au moyen d'une équation suppose que son espace des états ait une certaine structure géométrique. Or, les diérentes formulations de la mécanique n'assignent pas la même structure géométrique à l'espace dans lequel les équations dynamiques décrivent l'évolution de l'état des systèmes. Comme je vais rapidement le montrer, chacune des formulations assigne à l'espace des états une structure plus générale que la précédente ; c'est la raison pour laquelle on peut parler de généralisations successives entre formulations. Ces généralisations ont une contrepartie pratique : elles s'accompagnent d'une plus grande liberté dans le choix des variables utilisées pour représenter le système et écrire les équations qui gouvernent sa dynamique.68

En mécanique newtonienne, l'état d'un système à chaque instant est caractérisé par deux ensembles de coordonnées indépendantes, celles des positions et des quanti- tés de mouvement (produit de la masse et de la vitesse) de chacune de ses particules. Pour un mouvement libre dans un espace à trois dimensions, l'état d'un système

67C'est un des thèmes centraux de l'ouvrage de Paul Humphreys (2004) ; on le retrouvera à

plusieurs reprises dans le présent travail.

En quel sens parler d'équivalence ? 75 composé de n particules est caractérisé par un total de 6n coordonnées.

L'évolution du système dans son espace des états est gouvernée par le principe fondamental de la dynamique, F = mddtp.69 Il s'agit d'une équation vectorielle, qui

est invariante par transformation galiléenne. La deuxième loi de Newton continue à valoir dans d'autres systèmes de coordonnées, mais sa forme change dans une transformation, par exemple, de coordonnées cartésiennes en coordonnées polaires. Les vecteurs sont des objets indépendants des coordonnées, mais leurs composantes changent avec le système de coordonnées.

La contrepartie pratique de l'utilisation de ce type de représentation est la néces- sité de spécier les composantes de chacune des forces appliquées au système dans les coordonnées qu'on aura choisies an d'écrire les équations vectorielles gouvernant la dynamique du système : les vecteurs sont des objets indépendants des coordonnées, mais leurs composantes changent avec le système de coordonnées ; pour résoudre un problème avec la loi de Newton, il faut connaître les composantes des forces dans le système choisi. Les équations newtoniennes du mouvement, en raison même de leur nature vectorielle, privilégient un certain type de coordonnées (North, 2009a, p. 22) ; utiliser la mécanique newtonienne implique d'admettre que le mouvement de tout système peut être décrit dans un espace vectoriel à l'aide de coordonnées cartésiennes. La structure géométrique de l'espace de représentation de la mécanique newtonienne est vectorielle.

En mécanique lagrangienne, l'état d'un système est aussi spécié par deux en- sembles de coordonnées : les positions (ou coordonnées70) généralisées et leurs déri-

vées par rapport au temps, les vitesses généralisées. Pour un système à n degrés de liberté, on aura 6n coordonnées indépendantes (les n coordonnées généralisées qui représentent le système dans l'espace de conguration71 et leurs dérivées par rap-

port au temps). Chaque état possible du système est donc représenté par un point dans un espace à 6n dimensions, qui dénit une paire position généralisée-vitesse généralisée pour l'ensemble du système. Cet espace comprend donc un ensemble de congurations possibles et un espace dans lequel sont représentées leurs dérivées par rapport au temps. Il s'agit du faisceau tangent de l'espace de conguration : l'espace

69On peut donner une  super-version  de l'équation newtonienne du mouvement, regroupant

toutes les équations pour les diérentes particules dans un espace tri-dimensionnel, qui gouverne l'évolution du point représentant l'état du système entier dans l'espace à 6n dimensions.

70Voir note 30.

71Il faut veiller à ne pas confondre l'espace de conguration et l'espace des états : l'espace de

conguration, en mécanique lagrangienne, a autant de dimensions que le système a de degrés de liberté ; il permet de représenter la conguration du système à l'aide des positions généralisées. Autrement dit, il correspond à l'espace euclidien à trois dimensions dans lequel la position d'un système est représentée dans le cadre newtonien.

76 Chap. 2. Formulations : principes et pratique de conguration à 3n dimensions joint à l'espace tangent à 3n dimensions à chaque point (la gure 6 représente le faisceau tangent d'un cercle unidimensionnel).

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Fig. 6  Le faisceau tangent d'une variété (espace topologique abstrait)  en l'occurrence, un cercle  est l'ensemble de ses espaces tangents (représentés dans la gure du haut) assemblés de manière homogène et sans chevauchement (gure du bas).

L'évolution d'un système dans son espace des états est ici gouvernée par une équa- tion scalaire et non vectorielle. La forme de cette équation n'est pas modiée par un changement de coordonnées, car le lagrangien L, qui est un scalaire, de la dimension d'une énergie, est indépendant du système de coordonnées choisi. En conséquence, l'espace des états d'un système reste le même, quelles que soient les coordonnées choisies.72

La contrepartie pratique de l'utilisation de ce type de représentation mathéma- tique est la liberté dans le choix des variables utilisées pour dénir le lagrangien, ce qui permet de décrire simplement l'état d'un système contraint, pour lequel la description à l'aide d'équations vectorielles représentant les forces est pratiquement impossible. Étudier la structure géométrique de l'espace des états de la formula- tion lagrangienne nécessiterait d'avoir recours aux outils de la géométrie moderne, et cela dépasserait les limites de ce travail (et mes compétences). Signalons seulement que la mécanique lagrangienne assigne à l'espace des états une structure métrique. La structure de la mécanique lagrangienne est un espace riemanien, muni d'une métrique

72Prenons l'exemple simple d'une particule en mouvement le long d'une ligne droite. Son espace des

états est un espace à deux dimensions : le faisceau tangent d'une ligne ou d'un cercle unidimensionnel. Le cercle de la gure 6 représente les positions généralisées q. Les lignes (bres) représentent les vitesses généralisées. Chaque point représente un état possible. Diérentes courbes dans cet espace représentent des histoires possibles. Il y a plusieurs trajectoires possibles passant par un point pour une valeur q donnée. Une fois la valeur ˙q spéciée elle aussi, une trajectoire unique est déterminée. On voit que l'espace des états pour une particule en mouvement unidimensionnel sera le même, que q soit une coordonnée linéaire ou angulaire. Revenons à l'exemple du pendule simple : la seule coordonnée que l'on ait besoin de spécier est θ, avec ˙θ comme vitesse généralisée. L'espace des états est de nouveau celui de la gure 6, avec le cercle représentant θ et les bres représentant ˙θ.

En quel sens parler d'équivalence ? 77 riemanienne73; utiliser la mécanique lagrangienne, c'est admettre que le mouvement

de tout système peut être décrit dans un tel espace.

Enn, en mécanique hamiltonienne, le nombre de variables par degré de liberté d'un système double, mais ces variables sont indépendantes. Rappelons en eet que les deux ensembles de variables nécessaires à décrire l'état d'un système dans la for- mulation lagrangienne ne sont pas indépendantes : les vitesses généralisées sont les dérivées des positions généralisées par rapport au temps. L'espace des états de la mécanique hamiltonienne est appelé  espace des phases . C'est le faisceau cotan- gent74 de l'espace de conguration (voir gure 7). C'est, ici aussi, un espace à 6n

dimensions. Chaque point y représente une paire position généralisée-moment géné- ralisé pour tout le système. Ici encore, la dynamique du système est gouvernée par une fonction scalaire. L'espace des états  ou espace des phases  de la mécanique hamiltonienne, contrairement à l'espace des états lagrangien, n'a pas de structure métrique : il a une structure symplectique.75

Fig. 7 L'espace des phases du pendule simple est le faisceau cotangent de l'espace de congura- tion.

Les diérences des structures géométriques assignées à l'espace des états des sys- tèmes par chacune des formulations n'impliquent et ne peuvent impliquer aucune diérence empirique : une fois les contraintes dynamiques imposées par les équa-

73Cela apparaît quand on considère les quantités invariantes des équations lagrangiennes sous un

certain ensemble de transformations (North, 2009b). La transformation d'un ensemble d'équations lagrangiennes en un autre préserve une structure locale, sous la forme d'une forme diérentielle quadratique des ˙qi; il s'agit du carré d'un élément de courbe d'un espace riemanien (voir Buttereld,

2004, 2006 et Lanczos, 1970, pp. 17-24).

74Le faiceau cotangent d'un espace topologique est l'ensemble de ses espaces cotangents. 75Une structure symplectique détermine un élément de volume, et non une mesure de distance.

La quantité invariante sous transformation canonique des équations hamiltoniennes est une forme symplectique (voir North, 2009b, p. 18 ; Buttereld, 2006 ; Arnold, 1978).

78 Chap. 2. Formulations : principes et pratique tions, les trajectoires possibles sont équivalentes dans les diérentes formulations. Cependant, la structure des espaces sous-jacents aux diérentes formulations impose des contraintes diérentes sur les mouvements géométriquement possibles, c'est-à-dire possibles avant que les contraintes dynamiques soient imposées.

Ces considérations montrent que, quand bien même les formulations de la mé- canique sont logiquement équivalentes au sens, mentionné précédemment, où leur équivalence empirique est démontrable a priori (indépendamment de l'expérience), il y a un sens où elles ne sont pas mathématiquement équivalentes : elles n'assignent pas la même structure géométrique aux espaces dans lesquelles elles décrivent le mouvement des systèmes. Chacun de ces espaces a une structure plus générale ou abstraite : pour reprendre les termes de Jill North (2009b), l'espace hamiltonien a moins de structure que l'espace lagrangien, lequel en a moins, à son tour, que l'espace newtonien.76En eet, une structure symplectique dénit un élément de volume, mais

pas de distance ; une structure métrique dénit des distances, mais pas de direction ; une structure vectorielle dénit des directions. Je n'explorerai pas plus avant les dié- rences de structure entre formulations de la mécanique. Ce rapide examen me permet cependant de tirer plusieurs conclusions, par lesquelles je termine ce chapitre.

4.4 Les équations de la mécanique comme outils de représentation