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Représentation des individus et typologie

§ 2.4 Gérants face au risque idiosyncrasique

Section 3. Essai de typologie des comportements des gérants gérants

3.1.5 Représentation des individus et typologie

L’intérêt de l’ACP est de pouvoir représenter les individus dans l’espace créé par ces variables. La figure ci-dessous situe les différents gérants2 dans l’espace issu des composantes principales.

Les variables actives employées concernent le style du gérant et les informations utilisées. Celles-ci permettent une classification des gérants selon ces critères d’investissement. En outre, d’autres variables d’interprétation sont intégrées dans la figure. Il s’agit de variables passives, dans la mesure où elles ne sont pas utilisées pour situer les individus mais facilitent l’interprétation -en italique sur le graphique-. Il s’agit des variables âge, expérience, du

montant total géré, des valeurs émises aux raisons explicatives de l’imitation, ainsi que de la catégorie de gérant3.

Les observations sont projetées sur les axes principaux et correspondent aux points numérotés. L’interprétation de ces observations peut se réaliser en fonction des directions indiquées par les variables actives de style et d’information. On peut ainsi distinguer quatre profils différents sur ce graphique, qui ont été dénommés de la manière suivante4 :

1

Se dit d'un opérateur clôturant ses positions dans la journée même, spéculant ainsi sur l’évolution à très court terme du prix des titres.

2

Le gérant 11, qui n’a pas souhaité exprimer de données chiffrées sur son style et ses informations, ne figure pas sur ce schéma.

3

Ces variables sont superposées sur le plan formé par les composantes principales lorsqu’elles sont numériques. S’il s’agit de variables qualitatives, c’est le barycentre des observations qui est projeté.

4

Une analyse typologique sur les scores factoriels donne 4 groupes, dont un formé de 8 gérants. Si certains gérants ont un style et une recherche d’information moins marqués, ce n’est pas le cas des gérants 9 et 12 (value), 8 et 10 (fondamentalistes pragmatiques) et 6 et 13 (graphiques). Nous sommes parfaitement conscient de

1) Les gérants « value » (Gérants 9 et 12)1 sont caractérisés par une forte recherche d’information personnelle, et peu intéressés par les diverses informations qu’ils n’ont pas trouvées et analysées eux-mêmes. Un gérant purement « value » apparaît très isolé sur la

gauche du graphique. Le style « value » s’oppose naturellement assez nettement au chartisme

ou à un style passif.

2) Les gérants « fondamentalistes pragmatiques » (Gérants 5, 8 et 10) ont une approche

générale de type fondamentaliste et utilisent en priorité, comme les gérants value, leur propre

information privée, et fondamentale. Ils peuvent cependant, selon les circonstances, agir en contradiction avec leurs principes et pensent qu’il faut parfois savoir s’adapter en fonction des opportunités, et de l’évolution du marché afin de réaliser des performances relatives acceptables.

3) Les gérants « sociaux » (Gérants 1, 2, 14 et 15) se disent fondamentalistes. Ils se soucient

cependant particulièrement à la fois du jugement -par leur clientèle- et du comportement des autres acteurs, soit directement -en discutant avec d’autres gérants, ou en étant attentifs aux actions de Bolloré ou d’autres grands investisseurs- soit indirectement à travers l’importance de l’évolution du cours de l’action.

4) Les gérants « graphiques » (Gérants 3, 6, 7 et 13) se basent principalement sur l’évolution

du marché et revendiquent un style à dominante chartiste. L’évolution du cours des actions et du marché en général est importante dans leurs décisions.

Au-delà d’une simple typologie abstraite, l’analyse des discours des gérants permet de mieux cerner ces profils et d’identifier les croyances des acteurs. Les paragraphes suivants cherchent à mettre en avant les spécificités de chaque profil ainsi que de déceler les attitudes de ces profils face à un comportement imitatif.

l’aspect arbitraire, sur un petit nombre d’individus, de la typologie présentée. Elle nous apparaît cependant comme la plus interprétable et cohérente d’après les discours recueillis.

1

Cette catégorie ne comprend que deux gérants. Cependant, ceux-ci ressentent bien leur marginalité par rapport à l’ensemble des autres gérants, et on peut penser que leur proportion sur le marché est nettement moins importante que celle des autres catégories formées.

183 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 12 13 14 15 style_fond style_quanti style_chart style_day_trader style_passif info_evolution_action info_eco info_autres_acteurs info_brokers info_autres_investisseurs info_personnelle age expérience montant_total raison_intuition raison_info raison_autoréf raison_réputation -0,8 -0,6 -0,4 -0,2 0 0,2 0,4 0,6 0,8 1 -1 -0,8 -0,6 -0,4 -0,2 0 0,2 0,4 0,6 0,8 1 Axe horizontal F1 37,9% A x e v e rt ic a l F 2 1 6 ,0 1 % les "graphiques" les "sociaux" les "fondamentalistes pragmatiques " les "value"

§ 3.2 Les gérants « value »

1 3.2.1 Caractéristiques

3.2.1.1 Un processus d’évaluation personnel

Les gérants value se sentent relativement isolés par rapport aux autres. Leur caractéristique

première est liée à un processus d’évaluation personnel particulièrement rigoureux et approfondi. En effet, ces gérants rejettent en bloc toute information qui n’est pas issue de leur propre recherche et de leur propre analyse2.

Les approches quantitatives, tout comme le chartisme, sont considérées comme aberrantes, alors que la recherche de la bonne compréhension du fonctionnement des entreprises étudiées est primordial. Dans ce cadre, la détermination d’une valeur « intrinsèque » qui est la base même de l’analyse value passe par des recherches dans des bases de données et surtout des

rencontres fréquentes et approfondies avec les dirigeants des entreprises. La quête personnelle d’information s’effectue principalement sur le fonctionnement de l’entreprise, ses rouages. Le Gérant 9 se dit ainsi proche de la théorie marxiste de la valeur fondamentale, et cherche à calculer une valeur industrielle, intrinsèque de l’entreprise : « je ne paie pas du rêve ! ».

Ces deux gérants apparaissent très convaincus de leur processus d’évaluation et de leur approche fondamentale de la valeur des actifs. C’est, selon eux, l’approche rationnelle qu’il convient d’adopter et de garder de manière inflexible sur le marché :

« Je pense qu’il faut savoir être rationnel et même quand ça monte beaucoup, il faut savoir garder la tête froide » (Gérant 12)

3.2.1.2 Une psychologie particulière ?

Les gérants value avouent être assez indépendants par rapport aux comportements des autres

acteurs et du marché. Non seulement ils paraissent peu influençables, mais ils affirment ouvertement pouvoir s’opposer au marché et ne pas sentir de réelle contrainte :

« Je n’ai pas stressé. Pour moi, c’était trop cher et je n’aime pas acheter ce que je trouve cher. Certes, je gagnais moins, j’ai engendré une surperformance moins importante que ce que j’aurais fait avec, mais

1

Il convient de rappeler que ce passage repose sur deux observations, et que des recherches ultérieures pourraient permettre d’affiner ou d’infirmer cette interprétation. Cependant, le profil value, marginal -dans cet échantillon comme dans la population- semble particulièrement caractéristique.

2

« Je pense que la gestion n’est pas un métier facile où tout est mâché, l’information arrive déjà traitée… Pour moi, tu dois aller rechercher l’information, et faire tes propres conclusions, pas celles des autres ! » (Gérant 12)

non, ça ne m’a pas empêché de dormir. Pareil, lorsque j’avais 5-6% de cash dans mon portefeuille alors que le marché progressait fortement, ça ne m’a pas empêché de dormir du tout parce que pour moi -je peux avoir tort et j’ai eu tort pendant de nombreux mois- mais à un moment donné il fallait qu’il y ait une consolidation. Ça ne me dérange pas d’être contre le marché. » (Gérant 12)

Le gérant 9 admet se sentir assez à l’écart des pratiques habituelles des autres gérants de la place. A deux reprises lors de l’entretien, il se qualifie lui-même et son équipe comme étant « bizarre ». Il confie que les personnes employées dans cette société de gestion sont en partie recherchées pour leur profil psychologique original, anticonformiste, qui découle du style de gestion value très affirmé de la structure1.

3.2.1.3 Le gérant value et le temps

Les gérants value dénoncent et déplorent la tyrannie du court terme qui sévit selon eux dans

l’ensemble de la profession. Ainsi, les autres gérants manquent en général de recul, notamment historique, et sont trop réactifs par rapport aux informations fréquemment émises. « Une entreprise, lorsqu’elle entreprend des restructurations, ça met du temps. Et ça ne se fait pas uniquement comme voudraient le voir les boursiers, c'est-à-dire avec +10% ou –10%. On est absolument contre les résultats trimestriels. Une entreprise qui sort un résultat trimestriel mauvais, ça ne peut pas dire que c’est une mauvaise entreprise. Pourquoi est-ce qu’elle baisserait de 15% ou 20% dans une séance ? Ça nous semble totalement débile. » (Gérant 9)

La contrainte d’horizon d’investissement est aussi incriminée. Dans la mesure où les gérants sont fréquemment évalués, ils se doivent de réagir rapidement, ce que dénonce le gérant 12 :

« Pour moi, un gérant actions doit avoir un horizon d’au moins deux ans voire 3-4 ans. C’est à partir de là qu’on peut prendre de bonnes décisions sur du moyen terme. Et à l’heure actuelle, il y a beaucoup d’investisseurs et d’intervenants qui ont une vision à court terme. C’est à trois mois. Ça dépend des publications trimestrielles. […] l’histoire fondamentale de la société n’a pas forcément changé. Pour moi, les données à court terme ont trop d’importance. »

Les gérants value affichent ainsi un détachement assez net de l’urgence continuelle dans

laquelle baignent un grand nombre d’entre eux, et témoignent dans leurs discours d’un recul très sensible par rapport à l’agitation permanente du marché.

1

« C’est très important parce que par exemple aller rechercher des valeurs décotées, ça veut dire aller regarder des valeurs quand personne ne les regarde et ça veut dire que le marché peut ne pas nous donner raison pendant x mois. Et pour tenir le choc dans ces conditions là, il faut avoir une psychologie un peu particulière. C’est ce qui nous caractérise le plus. » (Gérant 9)