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Genèse d’un comportement imitatif bayésien : une modélisation multifactorielle bayésien : une modélisation multifactorielle

Introduction de la deuxième partie

Section 2. Genèse d’un comportement imitatif bayésien : une modélisation multifactorielle bayésien : une modélisation multifactorielle

Introduction

Cette section cherche à synthétiser les approches informationnelles et réputationnelles, afin de mieux comprendre leurs implications respectives, dans les raisons des comportements imitatifs sur les marchés financiers. Nous proposons une extension du modèle présenté à la section précédente, afin d’y introduire l’aspect informationnel abordé notamment par Bikhchandani, Hirshleifer et Welch (1992) et Orléan (1989, 1990, 1992).

Le modèle de Scharfstein et Stein (1990) est minutieusement analysé dans le commentaire d’Ottaviani et Sorensen (2000), qui souligne les grandes convergences avec les cascades informationnelles de Bikhchandani, Hirshleifer et Welch (1992). La différence principale entre les deux modèles repose dans la notion de corrélation des signaux postulée par Scharfstein et Stein (1990), qui peut être relâchée partiellement (Graham [1999]) ou totalement (Ottaviani et Sorensen [2000])1.

La plupart des modèles théoriques supposent en effet une indépendance des signaux informatifs. Chamley (2004)2 rejette toute idée de corrélation, qu’il considère comme « non pertinente et compliquant le problème », et postule que le modèle de décision de chaque agent est parfaitement connu du principal. Cependant, si la corrélation n’est pas absolument nécessaire pour assurer un comportement imitatif, elle permet d’introduire un nouveau type de rémunération, récompensant l’agent qui a agi comme son prédécesseur. L’acteur doit donc choisir en prenant en compte (i) la justesse de sa décision en fonction des informations reçues et (ii) la préservation de sa réputation envers le principal.

Ainsi, de façon totalement rationnelle, l’agent B peut être amené à imiter un agent ou un groupe d’agents A le précédant soit (i) parce que l’information détenue par A est perçue

1

Toutes les références de ces deux paragraphes sont op. cit. 2

comme étant plus fiable que la sienne, (ii) parce qu’il a une confiance a priori plus importante dans les capacités de l’agent A qu’en ses propres capacités ou (iii) parce qu’il cherche à ne pas s’écarter de A, afin de préserver sa réputation.

L’apport principal de cette section est d’envisager le comportement mimétique dans une approche multifactorielle. Contrairement à de nombreux modèles qui, d’une hypothèse concernant la rationalité individuelle, en déduisent l’agrégation de comportements, nous cherchons, grâce à travers une formalisation simple analysant un choix dichotomique à partir d’un signal binaire, à réaliser une synthèse des facteurs principaux de l’imitation1, afin de comprendre leurs implications respectives. L’objet de cette recherche n’est donc pas d’étudier la propagation à grande échelle d’un comportement, mais, a contrario, de se focaliser sur un agent, afin d’étudier son processus de décision et d’analyser les facteurs qui peuvent l’amener à agir comme le groupe.

Après une présentation des objectifs et des hypothèses du modèle (2.1), l’impact de la fiabilité de l’information sera étudié (2.2), puis celui de la confiance a priori (2.3), avant d’aborder la notion de réputation (2.4), et plus explicitement la rémunération liée à la décision (2.5).

§ 2.1 Objectifs et hypothèses

2.1.1 Enjeux du modèle

Le but de la formalisation développée est ainsi de comprendre, grâce à une modélisation bayésienne, comment s’effectue le choix de signal pour l’agent B dans une situation de choix binaire, analogue à celle étudiée par Scharfstein et Stein. Nous cherchons à identifier les facteurs qui poussent ainsi les individus à négliger leur information personnelle pour se joindre au groupe.

Le choix d’information effectué par un agent B est étudié. Cet agent est dans une situation où il doit choisir entre suivre son information privée, de type fondamental, et une information concernant le comportement d’un autre acteur (A). Les situations optimales du point de vue de l’acteur adoptant un comportement bayésien seront alors étudiées.

1

La construction de la modélisation s’effectuera en trois étapes:

1. un choix bayésien informationnel selon la fiabilité 1 du signal reçu par chaque agent ; 2. un choix bayésien fondé à la fois sur la fiabilité du signal et sur la crédibilité que

l’agent accorde aux opérateurs ;

3. un choix basé, non sur une optimisation de l’utilisation de l’information pour une décision efficiente, mais dans le but pour l’agent de maximiser sa réputation envers les autres acteurs, d’après la notion de réputation introduite par Scharfstein et Stein.

Le modèle de Scharfstein et Stein est ainsi développé dans la lignée du commentaire d’Ottaviani et Sorensen (2000)2, en relâchant l’hypothèse de non-informativité3. Celle-ci n’est pas absolument nécessaire pour observer un comportement imitatif. En effet, cette hypothèse permet de garantir, invariablement, une imitation de la part de l’agent B, mais celui-ci peut tout à fait imiter pour des raisons informationnelles, non systématiques.

Afin de faire coexister dans le même modèle contraintes informationnelles et réputationnelles, une asymétrie de croyances est nécessaire entre l’agent B et le principal. Celle-ci peut être définie de la manière suivante : l’agent B choisit dans un environnement dont les signaux sont indépendants. Il sait cependant que le principal ignore cette indépendance, et ce dernier pense lui que les signaux sont corrélés. En effet, le principal estime l’agent B comme étant compétent s’il agit de la même manière que les autres. Celui-ci cherche donc à tromper le principal dont il connaît la fonction d’estimation, afin de paraître compétent.

2.1.2 Hypothèses théoriques

Afin d’introduire la notion de réputation, nous nous fondons sur les travaux de Scharfstein et Stein. Nous considérons deux états du monde, {R=P} ou {R=N}. {R=P} correspond à une rentabilité positive, et {R=N} correspond à une rentabilité négative de même valeur, l’utilité de l’agent en fonction de ces états de la nature étant symétrique4. L’état du monde R a une

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Graham (1999) parle de « précision » (les termes utilisés sont precision et accuracy) du signal, notion qui n’est pas parfaitement adéquate (voir par exemple la définition que donne Orléan (1990) de la précision stricto sensu). 2

Op. cit. 3

Il s’agit de l’hypothèse (1.2.1.3) développée dans la section précédente, consacrée au modèle de Scharfstein et Stein (1990).

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Cela revient à imposer au modèle de Scharfstein et Stein (1990) la contrainte xl + xh = 0 , qui est postulée dans le modèle de Bikhchandani, Hirshleifer et Welch (1992). Cette contrainte sera développée infra, en (2.5).

probabilité a priori de d’être positive, et (1- ) d’être négative. Afin de simplifier les

notations, et à la suite de Scharfstein et Stein (1990)1, on supposera = ½.

Deux agents A et B agissent séquentiellement, l’un après l’autre. Afin de prendre sa décision, l’agent B reçoit un signal privé qui peut prendre les valeurs dans {- ;+}. Un signal {+} est un signal d’achat, i.e. indique que la rentabilité est positive. A l’inverse, un signal {-} indique à l’agent qu’il doit vendre pour éviter une rentabilité négative. Ce signal provient de sa propre interprétation fondamentale du prix de l’action, et il sera appelé signal privé ou fondamental. On notera SA le signal reçu par l’agent A et SB le signal reçu par l’agent B. A priori, les agents ont autant de chances de recevoir un signal S positif ou négatif, i.e. :

P(SA=+) = P(SA=-)= P(SB=+) = P(SB=-)= ½

Les agents A et B doivent optimiser la gestion de leur portefeuille d’actions. Pour cela ils effectuent un choix binaire concernant l’action proposée : acheter s’ils estiment que la rentabilité future de l’action sera positive, et vendre cette action s’ils estiment que celle-ci sera négative. On postule ainsi que les agents détiennent déjà des actions dans leur portefeuille et que leur information doit les amener à agir, brisant le statut quo.

L’interprétation de ce signal est complexe dans la mesure où cohabitent sur le marché deux types d’agents. Le premier type correspond aux agents rationnels, informés, les « smart ». A cette catégorie s’oppose celle des agents « dumb » qui agissent de manière irrationnelle. L’agent B, tout comme l’agent A, ignore la catégorie dans laquelle il se trouve , « smart » ou « dumb », dont les probabilités a priori sont :

P(A=smart) = P(B=smart) = P(A=dumb )= P(B=dumb)= (1- )

S’il est dans la catégorie « smart », le signal fondamental reçu par l’agent B est informatif, ce qui signifie que le signal {SB =+} a une probabilité plus élevée de se produire dans l’état {R=P} que dans l’état {R=N}, et donne ainsi :

P(SB =+ / R=P, B=smart) = p = P(SB =-/R=N, B=smart) P(SB =+/R=N, B=smart) = 1- p= P(SB =-/R=P, B=smart)

1

Cette hypothèse n’est pas neutre du point de vue du modèle, comme le soulignent Avery et Chevalier (1999, p.328). En effet, un agent A sachant que est proche de zéro, a tout intérêt à vendre pour être perçu comme compétent, et à ne pas utiliser son propre signal. Avec = ½ , l’agent A n’a aucune incitation à ne pas s’en servir et à dévier d’une décision efficiente.

Avec p> ½

Au contraire, si l’agent B fait partie de la catégorie « dumb », ce qui arrive avec une probabilité (1- ), il reçoit des signaux totalement non informatifs sur les fondamentaux : il a la même probabilité de recevoir le signal {SB =+} que le signal {SB =-}1.

P(SB =+ /R=P, B=dumb) = P(SB =+ /R=N, B=dumb) = ½

L’agent B peut observer le comportement de l’agent A ayant agi avant lui, et qui a reçu le signal SA. Ainsi, l’agent A peut avoir choisi d’acheter, transmettant un signal positif {SA =+}

indiquant qu’il espère une rentabilité positive. Il peut aussi avoir choisi de vendre, ce comportement étant interprété par l’agent B comme un signal négatif {SA =-}. Ce signal

correspond donc pour l’agent B à l’information2 de l’agent A, à laquelle il affecte la fiabilité

q. S’il est « smart », ce signal est informatif avec une probabilité q : P(SA =+/R=P,A=smart)= q = P(SA =-/R=N, A=smart) P(SA =+/R=N,A=smart)= 1-q = P(SA =-/R=P, A=smart) Avec q> ½

En revanche, un agent A « dumb », tout comme B, ne reçoit que des signaux non informatifs, et il a une probabilité identique de recevoir un signal positif ou négatif, quel que soit l’état de la nature:

P(SA =+ /R=P, A=dumb) = P(SA =+ /R=N, A=dumb) = ½

Les signaux fondamentaux de l’agent A et de l’agent B sont considérés comme étant

indépendants pour l’agent B.

1

Cette catégorie peut être interprétée de deux manières : (1) l’agent reçoit un signal non pertinent, qui n’a pas de lien direct avec son investissement, pour prendre sa décision, (2) il reçoit un signal d’information pertinent mais il n’a pas les capacités de l’interpréter correctement et, in fine, la bonne information qu’il reçoit ne se traduit pas dans un signal qui l’informe de la bonne décision à prendre.

2

Et donc à l’action de A, car cet agent n’a aucune incitation à rejeter son information privée, son action révélant directement le signal qu’il a reçu.