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§ 3.1 Les tests statistiques

3.1.1 Grégarisme et comportement commun

3.1.1.1 La mesure LSV1

Lakonishok, Shleifer et Vishny (1992)2 proposent une mesure du grégarisme, définie comme la tendance moyenne d’un groupe de gestionnaires à acheter ou vendre certaines actions en même temps. Cette tendance est comparée à ce qui serait prévisible si les mêmes gestionnaires agissaient de façon indépendante.

1

En référence au nom des auteurs, cette mesure est généralement dénommée sous cette forme. Voir e.g. Bikhchandani et Sharma (2001).

2

LAKONISHOK, J., SHLEIFER, A., VISHNY, R., 1992, “The Impact of Institutional Trading on Stock Prices”, Journal of Financial Economics, vol.32, pp.23-43

La mesure de grégarisme de H(i,t), se définit de la manière suivante : ) ( ) ( ) , ( ) , (it p it p t AFi H = − −

B(i,t) est le nombre d’investisseurs qui achètent l’action i au trimestre t, et, de manière

symétrique, S(i,t) correspond au nombre de ceux qui vendent. On note alors

) , ( ) , ( ) , ( ) , ( t i S t i B t i B t i p +

= la proportion d’investisseurs qui achète par rapport à l’ensemble des investisseurs négociant sur le marché l’action i.

La variablep(t)correspond à la moyenne des p(i,t) sur l’ensemble des actions de toutes les sociétés négociées lors du trimestre. Les auteurs cherchent à étudier si la proportion d’investisseurs à l’achat sur l’action i -p(i,t)- est significativement différente de la proportion d’investisseurs en moyenne à l’achat, toutes actions confondues -p(t)-. Par exemple, si la proportion d'acheteurs sur une action i, p(i,t), est de 53% alors que la proportion moyenne p(t) est de 51%, un plus grand nombre d’investisseurs semblent acheter de l’action i par rapport à la moyenne de l’ensemble des actions, indiquant ainsi une forme de grégarisme sur ce titre. Pour un trimestre donné, le nombre d’acheteurs et de vendeurs n’est en effet pas forcément égal, Lakonishok, Shleifer et Vishny notant qu’en moyenne pour l’échantillon 51.5% des transactions sont des achats1.

Il se pose néanmoins un problème pour les trimestres pendant lesquels peu de participants ont négocié des titres. Dans ce cas, il est tout à fait possible statistiquement que p(i,t) s’écarte de

p(t), la proportion moyenne, sans pour autant que cela soit du à des comportements grégaires.

Afin de corriger ce biais, un facteur d’ajustement est intégré dans la formule. Ce facteur correspond à AF(i)=E

(

p(i,t)−p(t)

)

. Dans ce facteur d’ajustement, B(i,t) suit une loi

binomiale de paramètre p(t). En effet, la probabilité qu’un investisseur achète une action i en l’absence de grégarisme est de p(t). Ce facteur d’ajustement correspond donc à l’hypothèse nulle : s’il n’y a pas de grégarisme, on peut s’attendre statistiquement à un écart de

(

p(i,t) p(t)

)

E − , lié au faible nombre de participants.

1

Pour un petit nombre d’opérateurs, il est probable que p(i,t) soit différent de p(t), donc que

(

p(i,t) p(t)

)

E − soit positif. Dans ce cas, le facteur d’ajustement joue son rôle en tenant compte du biais lié au petit nombre de transactions sur certaines actions et certains trimestres. En revanche, lorsque le nombre d’investisseurs augmente, p(i,t) tend vers p(t) et ce facteur d’ajustement tend vers 0.

La mesure LSV peut ainsi être interprétée de la manière suivante : si l’écart entre la différence de proportion constatée et le facteur d’ajustement, H(i,t), est significativement différent de 0, les auteurs interprètent cette valeur comme le signe d’un comportement grégaire.

3.1.1.2 Les résultats empiriques

Cette mesure a été effectuée par les auteurs sur un échantillon de 341 gestionnaires, en charge de 769 fonds d’actions américains. Ces fonds, totalisant 124 milliards de dollars1, sont composés en majeure partie de plans de pension d’entreprises, pour l’Etat et les municipalités. Les données du panel couvrent la période de 1985 à 1989, indiquant le nombre d’actions détenues par chaque fonds à l’échéance de chaque trimestre.

Le tableau suivant synthétise les principaux résultats obtenus :

Ensemble des cas Plus de 10 gérants actifs Plus de 20 gérants actifs Moyenne 2.7% 2% 2.1% Erreur Standard2 0.001 0.001 0.001 Médiane 0.1% 0.1% 0.2%

Tableau 2. Valeurs de H(i,t) pour l’ensemble des actions et des trimestres de 1985 à 1989 (Lakonishok, Shleifer et Vishny [1992], p.30)

Ainsi, dans l’ensemble, moins de 3% des opérateurs ont des comportements significativement identiques sur le même trimestre. Ce résultat ne paraît pas important, dans la mesure où, sur la totalité du marché, il ne peut pas y avoir de grégarisme, chaque action vendue étant aussi achetée. Ainsi, les gérants paraissent avoir en général des styles de gestion très diversifiés.

1

Soit 18% des sommes gérées par les fonds de pension américains sur la période. 2

L’erreur standard ou erreur type (en anglais « standard error ») correspond à l'écart-type des moyennes lues sur échantillon, i.e. l’écart type divisé par la racine carrée de la population de l’échantillon : σ/ n.

Le grégarisme est aussi étudié en fonction des performances passées, des secteurs d’activité et parmi des groupes de gestionnaires selon la taille de leur portefeuille. L’échantillon ne permet pas de mettre clairement en valeur un comportement grégaire des gestionnaires de ces fonds. En revanche, Lakonishok, Shleifer et Vishny constatent que leur indice est relativement plus important sur les actions des petites entreprises. Ils avancent l’explication suivante : les petites entreprises faisant l’objet de moins d’informations publiques, les gestionnaires prêtent alors plus attention aux actions des autres gestionnaires dans leur décision.

L’étude de Grinblatt, Titman et Wermers (1995)1 réplique ces travaux sur les données trimestrielles de 274 fonds communs de placements sur une période plus longue : de fin 1974 à fin 1984. La valeur moyenne de H(i,t) sur leur échantillon est de 2.5 -donc très proche de celle trouvée par LSV avec les fonds de pension (2.7). En d’autres termes, cela signifie que si 100 fonds négocient sur un trimestre, 2.5 fonds supplémentaires négocient du même côté du marché, de plus qu’il n’est attendu sous l’hypothèse nulle, dans laquelle les actions sont choisies indépendamment par les gestionnaires. Ce niveau de grégarisme apparaît peu significatif d’un point de vue économique.

Selon les auteurs, le comportement grégaire peut être masqué pour deux raisons principales. La première est que l’échantillon étudié est trop large, contenant à la fois un grand nombre d’acheteurs et de vendeurs, restreignant ainsi l’efficacité de la mesure. Différencier les fonds selon leur stratégie d’investissement ne permet pourtant pas d’améliorer celle-ci, bien au contraire. La deuxième limite de cette mesure met en avant l’agrégation de données hétérogènes, notamment des données ne faisant l’objet que de très peu de transactions. Si on limite les données en étudiant seulement celles dans lesquelles plus de 10 transactions ont été effectuées, la mesure de H(i,t) passe alors à 5.5.

Wermers (1999)2 étend cette étude sur l’ensemble de la période 1975 à 1994, en utilisant les données d’actions négociées par au moins 5 fonds différents par trimestre. Le niveau de H(i,t) obtenu est légèrement supérieur -à 3.4-, et encore plus important si on le mesure par

1

GRINBLATT, M., TITMAN, S., WERMERS, R., 1995, « Momentum Investment Strategies, Portfolio Performance, and Herding : a Study of Mutual Fund Investor », American Economic Review, vol. 85, pp.1088-1105

2

WERMERS, R., 1999, « Mutual Fund Herding and the Impact on Stock Prices », Journal of Finance, vol. 54, n°2, pp.581-622

semestre : 5.1. Wermers confirme que les niveaux de comportements grégaires apparaissent plus importants pour les petites capitalisations.

D’autre part, il souligne que les fonds communs de placement à profil de croissance ont une plus grande tendance à un comportement grégaire. Cette remarque illustre toute la difficulté d’interpréter le comportement grégaire : il peut tout simplement s’agir de décisions identiques, découlant elles-mêmes de stratégies d’investissement identiques.

Etudiant le marché du Royaume-Uni, Wylie (2005)1 obtient des mesures comparables de grégarisme et souligne que ces dernières augmentent pour les actions les plus échangées et les plus extrêmes capitalisations. De plus -et contrairement aux résultats obtenus sur le marché américain- pour les deux cents plus grandes capitalisations boursières, il constate des regroupements d’acteurs à l’achat après des périodes de rendement faibles de ces titres, et à la vente après des rendements largement positifs, confortant l’hypothèse d’une stratégie contrariante sur ces actions.

3.1.1.3 Limites de la mesure de grégarisme

Bikhchandani et Sharma (2001, p.297)2 critiquent la mesure proposée par Lakonishok, Shleifer et Vishny pour deux raisons principales. Tout d’abord, elle prend en compte le nombre d’investisseurs de part et d’autre du marché et non pas le montant d’actions qu’ils achètent ou vendent. Ainsi, il est possible que le nombre d’acheteurs et de vendeurs soit à peu près identique alors que les acheteurs demandent un grand montant d’actions, les vendeurs n’en proposant qu’un très petit. Dans ce cas, le grégarisme existant n’est pas mis en évidence par la mesure. D’autre part, cette mesure ne permet pas de distinguer temporellement si ce sont les mêmes fonds qui agissent de la même manière d’une période sur l’autre -renforçant ainsi leur stratégie-, ou non.

Devant la première insuffisance, Wermers (1999)3 propose une mesure qui pondère les décisions prises par les montants négociés. Cependant, un autre biais est alors introduit : en comparant les poids des portefeuilles, on peut croire à une augmentation de poids d’une

1

WYLIE, S., 2005, "Fund Manager Herding: a Test of the Accuracy of Empirical Results Using UK Data", Journal of Business, vol.78, n°1, pp.381-403

2

BIKHCHANDANI, S., SHARMA, S., 2001, « Herd Behavior in Financial Markets », IMF Staff Papers, vol.47, pp.279-310

3 Op. cit.

valeur suite à un achat alors qu’il s’agit d’une simple augmentation de son cours. En effet, si une action voit son cours augmenter, son poids augmente mécaniquement dans le portefeuille, même sans achat de la part du gérant. Tous les fonds ayant cette action sont alors perçus comme s’imitant, alors qu’aucune décision d’achat n’a été prise.