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La diffusion de l’intérêt parmi les investisseurs

§ 3.3 Les enquêtes sur le mimétisme

3.3.1 La diffusion de l’intérêt parmi les investisseurs

Shiller et Pound (1986)2 étudient l’importance du bouche à oreille parmi les investisseurs institutionnels, afin de tester un modèle de contagion inspiré des travaux de Kermack & Mc Kendrick (1927)3, et de Bartholomew (1982)4. Ils pensent en effet que l’intérêt sur les marchés financiers obéit à un mouvement de mode. Cet intérêt, pour telle ou telle action, se propage comme une maladie grâce au bouche à oreille entre les investisseurs, d’où une modélisation en termes de « contagion ».

1

SHILLER, R., 1990, « Speculative Prices and Popular Models», Journal of Economic Perspectives, vol.4, n°2, pp.55-65, p.55

2

SHILLER, R., POUND, J., 1986, « Survey Evidence on the Diffusion of Interest and Information among Investors », Cowles Foundation for Research in Economics, n°794, pp.1-25

3

KERMACK, W., Mc KENDRICK, A., 1927, « Contributions to the Mathematical Theory of Epidemics », Proceedings of the Royal Society, A115, pp.700-721

4

Les auteurs sélectionnent deux groupes de 10 actions :

1. un groupe de contrôle, choisi au hasard parmi les marchés NYSE, AMEX et OTC ; 2. un groupe expérimental, sélectionné parmi la liste des 25 actions connaissant la plus

forte progression l’année précédente, dans le Current Market Perspectives de juin 1985 et OTC Chart Manual de mai-juin 1985. De cette liste sont enlevées les actions dont l’entreprise a subi un événement exceptionnel (i.e. l’objet d’une fusion-acquisition) et les actions dont le prix a été précédemment plus élevé que le maximum de l’année étudiée.

Les investisseurs institutionnels ont été choisis pour chacune des 20 actions de manière aléatoire, parmi les organismes déclarant à la SEC détenir une de ces actions, soit fin mars, soit fin juin 1985. Les questionnaires ont été adressés aux décideurs, en charge de l’action concernée. Trois relances ont été mises en œuvre pour obtenir un taux de participation élevé, et minimiser le biais de non réponse. Sur les 216 questionnaires envoyés, 71 ont permis d'obtenir des réponses exploitables.

Les premières questions portent sur l’importance des communications interpersonnelles dans l’attention portée par l’investisseur à l’action concernée1.

Parmi les raisons suivantes, quelles sont celles qui vous ont amené à acheter des actions de l’entreprise__ 2?

a. Un investisseur professionnel ?

b. Une personne qui n’est pas un investisseur professionnel ? c. Un journal, un magazine, une émission télévisuelle ou de radio ?

d. Une lettre d’investissement ou une recommandation de maison de courtage ?

e. Mon intérêt initial est le résultat d’une recherche systématique d’une action ayant certaines caractéristiques.

Les réponses obtenues sont les suivantes (n=30 pour le groupe témoin et 40 pour le groupe expérimental3):

1

Shiller et Pound (1986), op. cit., pp.13-14 2

Les questionnaires sont adaptés et indiquent le nom de l’entreprise concernée. 3

Pourcentage de réponses positives Question: groupe témoin groupe expérimental A 53% 75% B 10% 30% C 0% 15% D 30% 52% E 67% 25%

Tableau 5. Informations utilisées par les investisseurs interrogés (Shiller et Pound [1986], p.13-14)

La communication entre pairs (question a) est particulièrement significative : dans les deux groupes, la majorité des sujets interrogés affirment que leur intérêt a été suggéré par des discussions avec d’autres investisseurs professionnels. A l’inverse, peu d’intérêt a été soulevé par des individus n’appartenant pas à la communauté d’investisseurs (b), et encore moins par les mass médias (c).

D’une manière générale, le groupe expérimental est largement plus influencé par des facteurs extérieurs, qu’il s’agisse des investisseurs professionnels, non professionnels, les médias ou les recommandations d’analystes. Le plus grand contraste entre les deux groupes s’effectue sur la dernière question, (e). Alors que les deux tiers du groupe témoin entreprennent des recherches systématiques avant leur décision d’achat d’actions, ce n’est pas le cas des trois quarts du groupe expérimental1. Les gérants se basent ainsi moins sur une recherche personnelle détaillée, et plus sur des informations extérieures, lorsque le cours du titre concerné a notablement augmenté.

Shiller et Pound cherchent à comprendre le mécanisme de bouche à oreille vecteur de l’intérêt entre investisseurs, en posant la question suivante :

Approximativement, à combien de personnes avez-vous personnellement parlé explicitement des actions de l’entreprise___ ?

1

Cela semble s’opposer à la conception rationnelle des anticipation de Muth (1961) qui postule que les acteurs utilisent toute l’information disponible pour prendre leur décision.

groupe témoin expérimental

n: 28 41 Réponse

moyenne 7.2 21.0 Erreur standard 1.4 6.5

Tableau 6. Diffusion de l’intérêt pour une action (Shiller et Pound [1986], p.19)

Les résultats, mis en relation avec le nombre de personnes réellement intéressées déclarées par le gérant, surprennent les auteurs par leur ampleur. La propagation de l’intérêt apparaît tellement importante qu’elle n’est absolument pas applicable dans le modèle de diffusion utilisé1. Le biais peut être lié à une mauvaise estimation de la part des personnes enquêtées et/ou à la validité d’application du modèle de diffusion considéré. S’il est possible que les acteurs surestiment l’importance de leur influence, il n’en reste pas moins que le comportement sous jacent de contagion entre les acteurs, bien réel, est mis en évidence2.

Cette contagion n’est pas identique ni pour toutes les actions, ni à toutes les périodes. Elle est fortement amplifiée dans le groupe expérimental, dans lequel l’accroissement du prix des actions a été très significatif l’année précédente. La forte croissance de la valorisation des actions incite leurs détenteurs à la fois à plus d’attention envers l’information apportée par leurs pairs, mais aussi à plus de diffusion de leur succès autour d’eux. Le krach de 1987 est particulièrement symptomatique de ce genre de situation.