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Ottaviani et Sorensen (2000)1 mentionnent que dans le modèle de cascade informationnelle, deux types d’informations seulement sont prises en compte : l’information privée, et celle concernant les décisions d’investissement des individus précédents. Cependant, une autre raison extérieure peut avoir un impact important : la réputation de l’acteur concerné.

Le mimétisme peut être lié, non uniquement aux revenus générés par les conséquences directes de la décision sur le marché, mais aux influences personnelles, extérieures, affectant cependant aussi l’agent. En effet, certains investisseurs, en particulier les professionnels sur les marchés financiers, ont une double incitation à imiter leurs confrères, à la fois pour préserver leur réputation, et parce que la rémunération personnelle n’est pas absolue mais relative aux performances des autres agents et sur le marché.

2.2.1 La préservation de la réputation

« La sagesse universelle enseigne qu’il vaut mieux pour sa réputation échouer avec les conventions que réussir contre elles ».

Keynes (1942)2 suggère ainsi que des gestionnaires professionnels peuvent imiter les jugements de leurs pairs, afin de garder la face vis-à-vis de leurs employeurs et de leurs clients3. Scharfstein et Stein (1990)4 proposent une modélisation du comportement de deux agents, A et B, devant faire un choix d’investissement de manière séquentielle. Les auteurs distinguent deux types de gestionnaires5 :

- ceux qui reçoivent de « vrais » signaux d’information sur la valeur de l’investissement ;

1

OTTAVIANI, M., SORENSEN, P., 2000, « Herd Behavior and Investment : Comment », American Economic Review, vol.90, pp.695-704, p.697

2

KEYNES, J.M., 1942, Théorie générale de l’emploi et de la monnaie, Payot, Paris, 407p., p.147 3

cette approche de la réputation est différente de celle retenue par Prendergast et Stole (1996). Pour ces derniers, un gérant changeant d’avis fréquemment étant perçu comme peu sûr de lui-même. Le gérant cherche donc à préserver sa réputation non en imitant les autres, mais ses propres actions passées, afin de justifier ses compétences par la constance d’un comportement volontairement conservateur.

4

SCHARFSTEIN, D., STEIN, J., 1990, « Herd Behavior and Investment », American Economic Review, vol. 80, n°3, pp.465-479. Il ne s’agit ici que d’une présentation générale de cette recherche. L’aspect formel de la modélisation sera développée ultérieurement, lors de la deuxième partie.

5

Ces deux catégories sont appelées respectivement « smart » et « dumb ». On notera que ces agents ne sont pas au courant de leur propre situation, ce qui est analogue à l’incertitude de composition décrite auparavant par Avery et Zemsky (1998).

- ceux qui ne reçoivent que des signaux bruités, n’informant en aucune manière sur la réalisation des événements1.

Les gestionnaires appartiennent donc à l’une des deux catégorie précédentes : celle des informés, ou celle des non informés. Quand ceux-ci ont pris leur décision d’investissement, ils sont jugés par le marché de deux manières : (1) en fonction de la profitabilité de l’investissement réalisé, et (2) en fonction de la similarité ou non de leur comportement relativement aux autres gestionnaires.

Leur rémunération est déterminée en fonction de l’estimation de leurs capacités par les observateurs.

La valeur de l’investissement est en partie largement imprévisible et un agent bien informé et totalement rationnel a priori peut parfaitement prendre une décision qui, ex post, se révèlera non rentable. Une décision non rentable n’est, pour les auteurs, pas aussi mauvaise pour la réputation quand d’autres commettent la même erreur, celle-ci étant en quelque sorte légitimée car partagée par différents gestionnaires.

Ainsi, les gestionnaires seront plus facilement évalués grâce au deuxième critère : un investisseur qui a le même comportement qu’un autre suggère ainsi qu’il a reçu le même signal, et qu’il a plus de chance de faire un bon choix. Dans la mesure où le gestionnaire est incertain quant à la qualité de son signal2, il peut donc être intéressant pour lui de l’ignorer et d’adopter le comportement du premier gestionnaire pour deux raisons intimement liées :

- parce que l’estimation de ses compétences par le marché est importante pour sa réputation ;

- parce que ses revenus futurs dépendent de cette estimation relativement aux autres gestionnaires3.

1

Dans leur cas, la fiabilité du signal p est égale à ½, ce qui équivaut à un choix au hasard. 2

Les signaux sont considérés comme étant corrélés chez les gestionnaires informés, ce qui renforce la propension à l’imitation.

3

Maug et Naik (1996) et Adminiti et Pfeiderer (1997) étudient les conséquences de la rémunération relative à celle de ses pairs, respectivement sur un et plusieurs actifs risqués, qui engendrent un comportement mimétique. Ces derniers concluent que ce mode de rémunération n’est pas compatible avec un partage optimal des risques sur le marché.

Les auteurs1 concluent que la réputation peut avoir un effet significatif dans le choix du signal pour l’agent :

« avec des préoccupations de réputation, le gérant […] B prête une trop grande importance sur ce qu’a fait […] A, et trop peu à son signal privé ».

Négligeant son information privée afin de préserver sa réputation, l’agent B adopte ainsi un comportement mimétique dans le but d’apparaître compétent aux yeux de ceux qui le jugent.

2.2.2 Les prévisions d’analystes financiers

Le choix d’information du modèle de Trueman (1994)2 se fait selon un processus similaire : l’analyste cherche à maximiser non pas la justesse de sa prévision mais plutôt l’estimation de ses compétences par sa clientèle. Le postulat de départ est identique : l’important est d’abord de satisfaire sa clientèle, la performance de l’analyste étant relative, et l’ensemble des analystes pouvant se tromper malgré la rationalité de leur raisonnement. Il propose ainsi une adaptation du modèle générique des gestionnaires d’entreprises proposé précédemment à la prise de décision des analystes financiers.

Pour un analyste adoptant un raisonnement bayésien, il peut être optimal d’annoncer une prévision contraire à son signal. En effet, un analyste peu sûr de la fiabilité de son signal a tout intérêt à préserver sa réputation envers sa clientèle. Ainsi, alors qu’on peut penser que les prévisions d’analystes s’affinent avec le temps, ceux-ci recevant plus d’informations, Trueman montre qu’il est possible que les informations reçues ne soient pas incorporées de manière efficiente dans les prix, pour des raisons de réputation. De plus, l’ordre de ces prévisions joue un rôle important dans l’agrégation de l’information : les premières informations serviront de référence et auront par conséquent plus de poids sur les suivantes.

Ces modèles fondés sur la réputation sont ainsi intéressants dans la mesure où ils suggèrent une hypothèse alternative à la recherche d’information comme raison rationnelle expliquant le mimétisme sur les marchés, à travers la réputation et l’intérêt relatif du gestionnaire. S’écarter des évaluations des autres gestionnaires, qui constituent une norme, peut donc révéler un manque de compétence aux yeux de l’employeur et des clients. Si le postulat d’une offre parfaitement élastique biaise le modèle -aucun mécanisme de prix régulateur n’est considéré-,

1

Scharfstein et Stein (1990), op. cit., p.468 2

TRUEMAN, B., 1990, “Reputation and Performance among Security Analysts”, Journal of Finance, vol.47, pp.1181-36

Scharftein et Stein (1990)1 maintiennent qu’un tel comportement peut jouer un rôle significatif sur les marchés financiers.

2.2.3 Une réputation intégrée dans un choix informationnel ?

Chamley (2004)2 tente d’écarter toute différence entre mimétisme informationnel et réputationnel. Son argumentation réfute le fait que les signaux d’information puissent être corrélés entre gestionnaires compétents, et qu’il y ait une quelconque asymétrie d’information entre les agents et l’estimateur. En effet, si l’estimateur connaît l’ensemble des contraintes du gestionnaire, ce dernier n’est pas forcément enclin à imiter -afin tromper le principal sur ses compétences, ce qu’il ne peut donc faire- mais agit simplement en fonction de la fiabilité des informations reçues. C’est selon nous réduire l’esprit du modèle proposé. L’apport de Scharfstein et Stein est au contraire de différencier deux contraintes bien différentes pour le gérant, à savoir (i) son optimisation informationnelle classique et (ii) la contrainte, de préserver sa réputation face à une estimation de ses capacités relative aux autres acteurs précédents3.

L’analyse des convergences entre ces deux contraintes est réalisée par Ottaviani et Sorensen (2000)4. Les auteurs soulignent que la contrainte de réputation ne permet pas d’envisager une approche multi-agents. L’étude de ce modèle est donc réduit à l’analyse de deux acteurs consécutifs et n’apporte pas un enchaînement des comportements, possible dans le cas de la cascade informationnelle. L’autre désavantage de cette approche n’est pas moindre : elle n’est pas pleinement compatible avec une rationalité optimisatrice, dégagée des contraintes d’agence, qui sert de fondement à l’hypothèse d’efficience. Il n’en reste pas moins que cette voie alternative n’a pas été pleinement explorée et mérite d’être développée.

Mimétisme informationnel et normatifs découlent directement des expériences de psychologie sociale, notamment de Deutsch et Gerard (1955)5. Un troisième facteur explicatif apparaît lui plus lié à la nature même du marché. En effet, le prix étant la conséquence des choix des

1 Op. cit., p.477 2 Op. cit. 3

Ce point sera approfondi et discuté lors du développement du modèle de Scharfstein et Stein (1990), voir infra. 4

OTTAVIANI, M., SORENSEN, P., 2000, « Herd Behavior and Investment : Comment », American Economic Review, vol.90, pp.695-704

5 Op. cit.

acteurs, il s’impose aux agents qui ne peuvent s’en écarter qu’en endossant un risque non négligeable de liquidité.