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§ 1.1 Notion de mimétisme

1.2.2 Mimétisme direct et indirect

Pour pouvoir comprendre la reproduction d’un comportement, il est nécessaire de connaître ce que Devenow et Welch (1996)2 appellent le « mécanisme de coordination », et qui révèle l’action du modèle à suivre. On peut ainsi distinguer dans l’imitation sur les marchés financiers deux modèles3 : les autres agents ou groupes d’agents (1.2.2.1) ou l’évolution du prix (1.2.2.2).

1.2.2.1 La contagion interpersonnelle directe : l’imitation d’autres agents

L’agent peut connaître directement le comportement d’un acteur ou groupe d’acteurs en s’informant autour de lui, par le biais du bouche à oreille : la copie du comportement s’effectue de proche en proche grâce à la communication entre les acteurs. Cette communication interpersonnelle, à travers des conversations (Shiller [1995])4, est un vecteur particulièrement efficace de transmission d’informations.

1

HIRSCHLEIFER, D., TEOH, S., 2003, « Herd Behavior and Cascading in Capital Markets : a Review and Synthesis », European Financial Management, n°9, vol.1, pp.25-66

2

DEVENOW, A., WELCH, I., 1996, « Rational Herding in Financial Economics », European Economic Review, vol.40, pp.603-615, p.604

3

Ce terme est ici à prendre dans son sens d’objet de l’imitation. 4

SHILLER, R., 1995, « Conversation, Information and Herd Behavior », American Economic Review, vol.85, n°2, pp.181-185

Kirman (1993)1 modélise les comportements imitatifs directs sur les marchés financiers par analogie avec celui des fourmis en quête de nourriture. Pasteel et alii (1987)2 réalisent l’expérience suivante. Ils placent deux sources de nourriture à égale distance de la fourmilière et reconstituent constamment ces deux sources afin qu’elles restent rigoureusement identiques. Dans cette configuration, la moitié des fourmis devraient théoriquement s’approvisionner à une source et une autre moitié à la deuxième. Ce n’est pas ce qui advient : 80% d’entre elles se dirigent vers la même source, en imitant le comportement de leurs prédécesseurs. Cette imitation s’opère par le biais de sécrétions chimiques, les phéromones, et des contacts directs. Ainsi, de proche en proche, les comportements sont uniformisés grâce à l’imitation.

En Bourse, les agents transmettent des informations sur leur comportement. Les positions de Warren Buffett font par exemple l’objet de publicité dans la presse. De même, un opérateur peut parler de ses positions en Bourse, et ce d’autant plus qu’il a un portefeuille en forte croissance (Shiller et Pound [1986]3). Shiller (2001)4 démontre l’efficacité de ce bouche à oreille : 81.6% des investisseurs individuels interrogés disent avoir appris l’existence du krach de 1987 le jour même avant 17h, avant les journaux et les informations télévisées du soir. On peut souvent constater un phénomène de type épidémique dans la transmission de l’information, y compris celle sur les investissements d’autrui, à travers la conversationentre les individus.

1.2.2.2 Le mimétisme indirect : l’imitation du marché

Le modèle suivi par l’acteur peut aussi être la majorité des comportements sur le marché. En effet, la dynamique du prix dévoile une information de type mimétique : quand le prix augmente significativement, les acteurs constatent une « pression acheteuse », i.e. une grande partie des transactions donc a priori des intervenants5 se fait dans le sens de l’achat. L’agent

1

KIRMAN, A., 1993, « Ants, Rationality and Recruitment », Quarterly Journal of Economics, vol. 108, n°1, pp.137-156

2

PASTEELS, J.M., DENEBOURG, J.L., GOSS, S., 1987, « Self Organisation Mechanisms in Ant Societies: Trail Recruitment to Newly Discovered Food Sources », in PASTEELS, J.M.,DENEBOURG, J .L., From Individual to Collective Behavior in Social Insects, Basel, pp. 155-175

3

SHILLER, R., POUND, J., 1986, « Survey Evidence on the Diffusion of Interest and Information among Investors », Cowles Foundation for research in Economics, n°794, pp.1-25

4

SHILLER, R., 2001, Irrationnal Exuberance, Broadway Books, New York, 319p., p.153-154 5

Dans la mesure où tous les intervenants effectuent des transactions même taille, ce qui n’est évidemment pas toujours le cas. On postule néanmoins une grande atomicité du marché.

peut ainsi inférer, de l’évolution du prix, le comportement des acteurs de poids sur le marché. Il ne copie pas un comportement, mais sa conséquence, la dynamique du prix, qui le révèle.

La majorité s’exprime ainsi au travers de l’évolution des prix, dont le rôle informationnel a été souligné par Grossman et Stiglitz (1980)1. Ce mimétisme est appelé « positive feedback

trading » ou encore « momentum strategy » : il s’agit d’imiter le marché en achetant lorsque

celui-ci imprime une tendance à la hausse, et en vendant lorsque cette tendance est baissière.

Ce comportement, dénoncé comme suicidaire sur un marché parfaitement efficient, car les acteurs adoptant cette stratégie irrationnelle du point de vue de l’efficience seront naturellement chassés du marché par des performances moindres (Friedman [1953]2), est tout a fait plausible dans le cadre d’une efficience limitée par la présence de bruiteurs (Delong et alii [1990a]3). Le positive feedback trading fait l’objet d’une littérature abondante depuis ces derniers travaux.

La plus grande partie des études se focalise sur ce comportement, au point qu’il soit parfois considéré comme la seule forme d’imitation4. Cependant, on peut aussi se demander à quel point le jugement extrapolatif peut être relié à un comportement effectivement mimétique. L’individu qui extrapole les variations de prix a-t-il réellement conscience du rôle d’imitation du marché qu’il opère ? Dans l’expérience d’Andreassen et Kraus (1990)5, par exemple, le

positive feedback trading apparaît comme une simple technique de décision, déconnectée de

toute analyse sur les interventions des autres acteurs sur le marché.

Au-delà de cette typologie de l’imitation en fonction du mécanisme de transmission des comportements individuels sur le marché, la définition même du mimétisme est controversée. Le paragraphe suivant s’attache à la clarifier.

1

GROSSMAN, S., STIGLITZ, J., 1980, « On the Impossibility of Informationally Efficient Markets », American Economic Review, vol.70, pp.393-408

2

FRIEDMAN, M., 1953, « The Case for Flexible Exchange Rates », In Essay in Positive Economics, Chicago Press, Chicago

3

DELONG, J., SHLEIFER, A., SUMMERS, L., WALDMAN, R., 1990a, « Positive Feedback Investment Strategies and Destabilizing Rational Speculation », Journal of Finance, vol.45, n°2, pp.379-395

4

Voir à ce sujet la définition restrictive d’Avery et Zemsky (1998, p.725) ou encore Orléan (1989, p.48) qui considère que le prix est la variable d’interface nécessaire à l’imitation.

5

ANDREASSEN, P., KRAUS, S., 1990, « Judgemental Extrapolation and the Salience of Change », Journal of Forecasting, vol.9, pp.347-372. L’expérience est développée dans la troisième section de cette partie

§ 1.3 Une terminologie controversée

1.3.1 Mimétisme et grégarisme

De manière générale et à la suite de Moschetto (1998)1, il est nécessaire de distinguer le mimétisme déductif -encore appelé « réel », « vrai »- du mimétisme apparent -ou « fallacieux »- qui sont souvent amalgamés, en particulier dans la littérature empirique. Cette différenciation est cependant primordiale dans la compréhension du phénomène.

Le grégarisme est abondamment évoqué dans la littérature financière empirique anglo-saxonne2. On peut le définir comme une corrélation des comportements entre différents individus, qui forment ainsi un groupe. Artus (1995) 3 en donne la description :

« les intervenants des marchés prennent simultanément des décisions similaires ».

Celen et Kariv (2004)4 soulignent qu’il s’agit d’une convergence d’action : le comportement apparaît identique pour un groupe d’individus, et l’ensemble des personnes prennent la même décision. Les comportements sont similaires, sans hypothèse particulière sur la formation du groupe.

Il est cependant possible qu’un grand nombre d’opérateurs sur le marché effectue un choix identique de manière indépendante, tout simplement parce qu’ils disposent du même ensemble d’informations et des mêmes critères de décision. La corrélation des comportements peut ainsi être la simple conséquence d’un signal identique reçu avec un décalage, comme le modélisent Hirshleifer, Subrahmanyam et Titman (1994)5. Une information non anticipée et largement favorable à une entreprise comme un bénéfice important non prévu engendre un important mouvement à l’achat. On parle de mimétisme apparent : le fait que les comportements soient corrélés ne souligne cependant pas une copie des acteurs entre eux.

Le mimétisme réel se définit comme le sous-ensemble du grégarisme complémentaire au mimétisme apparent. En effet, un agent adopte un comportement mimétique si non seulement

1

MOSCHETTO, B.-L., 1998, Mimétisme et marchés financiers, Economica, Paris, 249p 2

A travers les termes de « herding » ou « herd behavior », qui désigne selon les auteurs grégarisme ou imitation. 3

Bien qu’il utilise le terme de « mimétisme », lui attribuant par là même un sens plus large que celui provenant de l’éthologie. ARTUS, P, 1995, Anomalies sur les marchés financiers, Economica, Paris, 106 p., p.43

4

CELEN, B., KARIV, S., 2004, « Distinguishing Informational Cascades from Herd Behavior in the Laboratory», American Economic Review, n°94, vol., pp.484-498

5

HIRSHLEIFER, D., SUBRAHMANYAM, A., TITMAN, S., 1994, « Security Analysis and Trading Patterns when Investors Receive Information Before Others », Journal of Finance, vol. 49, n°5, pp.1665-1698

ses actions sont corrélées avec celles du groupe, mais si, de plus, la décision est prise en fonction de celle du groupe, i.e. lorsqu’on peut observer un lien de causalité entre le comportement du groupe et celui de l’individu. Hirschleifer et Teoh (2003)1 définissent ainsi le mimétisme2 comme :

« toute similarité de comportement […] causée par des interactions entre individus »

Cette distinction peut sembler anodine. Elle est cependant d’une grande importance dans la compréhension des recherches sur le sujet. Le terme anglo-saxon « herding » englobe souvent les deux notions, et assimile deux concept distincts. Par la suite, la terminologie de mimétisme concernera le mimétisme réel, et lorsque la distinction entre apparent et réel n’est pas possible, le terme générique de grégarisme, décrivant de simples comportements corrélés, sera utilisé.