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La perception de l’imitation et comportement des gérants

§ 3.3 Les enquêtes sur le mimétisme

3.3.3 La perception de l’imitation et comportement des gérants

Sur la marché allemand, Lütje et Menkhoff (2003)1 envoient des questionnaires2 à des gérants afin d’apprécier leur perception du mimétisme réel, sur les marchés actions et obligations. Leur principal apport est de souligner à quel point le mimétisme est répandu selon les

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LÜTJE, T., MENKHOFF, L., 2003, "Risk Management, Rational Herding and Institutional Investors: A Macro View", University of Hannover, Discussion paper n°285

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117 réponses sont obtenues, et le taux de réponse est difficile à estimer dans la mesure où certains questionnaires par mail ont été transmis par certains gérants à leurs collègues.

gérants : 94% d’entre eux pensent en effet qu’on peut l’observer parmi leurs pairs. Ils trouvent que les gérants sont de plus en plus attentifs à l’imitation avec le temps. En effet, ceux qui disposent d’une expérience importante, et ont une position hiérarchique plus élevée, y sont plus sensibles. D’autre part, la perception de l’imitation apparaît inversement corrélée à l’importance accordée aux fondamentaux, et corrélée à l’utilisation de l’analyse technique.

La grande limite de ces travaux est de se contenter de simples perceptions. Constater de l’imitation1 ne signifie pas que les gérants concernés s’incluent dans les imitateurs. Il apparaît alors vain d’établir des corrélations fiables. Lütje (2005)2 va plus loin en demandant d’estimer sur une échelle à six niveaux l’affirmation suivante :

« je suis généralement la tendance »

Environ la moitié des 263 gérants admettent la suivre. Cette moitié se révèle plus sensible au fait que l’imitation puisse bénéficier à leur carrière, son horizon d’investissement est en général plus court et elle présente plus d’aversion au risque. L’auteur voit dans ces réponses une confirmation de l’influence des considérations de carrière sur les comportements des gérants.

Régression Probit en fonction de la question "je suis généralement la tendance"

Coefficient

Beta Valeur de p

Erreur Standard

L'imitation bénéficie à la carrière 0.156 (0.040) 0.076 Importance de l'information fondamentale -0.274 (0.001) 0.085 Importance de l'analyse technique 0.262 (0.000) 0.060 Estimation personnelle d'aversion au risque 0.291 (0.000) 0.083

Tableau 7. Principaux facteurs corrélés au mimétisme (Lütje [2005], p.29)

Lütje distingue les gérants qui essaient d’être « bons » et ceux qui cherchent à être « meilleurs ». Il sous entend que les premiers imitent alors que les seconds cherchent au contraire à se démarquer. Les non-imitateurs, en ce sens, se révèlent plus intéressés par les fondamentaux, de manière analogue aux résultats de l’étude de Lütje et Menkhoff, et non par les comportements des autres agents, qui ne peuvent leur permettre de se démarquer en terme

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L’imitation, si elle est clairement identifiée du grégarisme par les auteurs, reste vague. S’agit-il d’influence des gérants entre eux dans leur structure ? De copie des tendances du marché ? Il est probable que des répondants aient répondu à des formes d’imitations très distinctes.

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LÜTJE, T., 2005, "To Be Good or To Be Better: Asset Managers’ Attitudes Towards Herding", Deutsche Asset Management & University of Hannover, Germany

de performances : comment en effet être meilleur que les autres en ne se basant que directement sur eux1 ?

L’aspect déclaratif du questionnaire peut certes faire l’objet de controverses. De plus, le talon d’Achille de l’analyse repose dans la mesure du mimétisme lui-même, qui n’est estimé que par une question, et pourrait être l’objet de dissimulation de la part des gérants2. Cette recherche se révèle néanmoins d’un intérêt considérable. Il s’agit du premier lien empirique systématique entre un comportement mimétique avoué, et différents facteurs explicatifs, testés empiriquement. Les résultats semblent cohérents avec les apports théoriques, principalement avec l’approche réputationnelle, mais nécessitent des recherches confirmatoires.

Conclusion

Cette section sur les travaux empiriques fait état de nombreuses recherches, et d’approches très variées, des méthodes statistiques au questionnement des acteurs. Paradoxalement, ce foisonnement ne fournit que peu de preuves d’un réel comportement imitatif sur les marchés.

Les approches statistiques sont contradictoires, certaines concluant à l’absence, d’autres à la présence de groupes d’acteurs agissant de la même manière. Les travaux les plus significatifs semblent concerner le mimétisme des analystes financiers, les comportements individuels étant clairement indentifiables pour le chercheur, ce qui n’est pas le cas de ceux des gérants de portefeuille. Cependant, en l’absence de la maîtrise de l’information sous-jacente, il est impossible de distinguer imitation et réaction commune à un même ensemble d’informations.

Si les avancées de la méthode expérimentale mettent en évidence des cascades informationnelles, les environnements considérés sont encore largement abstraits et difficilement transposables aux contraintes réelles du fonctionnement des marchés financiers.

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Cette remarque exclut de facto l’approche autoréférentielle pour laquelle on peut imiter un modèle tout en précédant d’autres acteurs qui auront un impact sur le prix. Le gérant peut ainsi être meilleur que les autres en se basant sur les précurseurs et en anticipant une partie du suivisme, indépendamment des fondamentaux.

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Dans cette recherche dont les questionnaires sont anonymes, un nombre important d’entre eux avoue cependant ouvertement suivre la tendance.

L’approche de Shiller (1987)1 nous apparaît comme la plus probante, dans la mesure où des acteurs du marché ont reconnu délaisser toutes les informations fondamentales pour se polariser sur le marché, expression du groupe. Cette étude réalisée pendant le krach de 1987 est néanmoins difficilement généralisable. L’exploration de Lütje (2005)2 mérite d’être soulignée car elle est la première testant empiriquement des hypothèses avec les données d’un questionnaire, et devrait faire l’objet d’approfondissements ultérieurs.

Ainsi, si les phénomènes mimétiques sont largement invoqués pour expliquer d’apparentes anomalies du marché, peu d’études empiriques peuvent se prévaloir d’en apporter la justification indéniable. Comme le note Welch (1999)3, la plupart des théories sur le mimétisme s’appuient sur des croyances dans le phénomène ou des anecdotes. Les réelles preuves empiriques sont particulièrement rares. Nombre d’éléments sont fournis par les diverses approches, mais aucun à part les récents travaux de Lütje (2005)4, ne peuvent se prévaloir d’être objectivement convainquants dans le puzzle de la mise en évidence du mimétisme sur les marchés financiers.

1 Op. cit. 2 Op. cit. 3 Op. cit., p.369-370 4 Op. cit.