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Anticipation autoréférentielle et risque de liquidité

§ 2.3 Le mimétisme autoréférentiel

2.3.4 Anticipation autoréférentielle et risque de liquidité

Orléan (1989)2 lie à l’origine l’imitation au risque concurrentiel. En effet, les opérateurs sur le marché doivent composer avec un risque qui n’a rien à voir avec celui des fondamentaux, mais est relatif au prix du marché. En effet, si l’agent doit, pour une raison inconnue, solder sa position, il peut se trouver face à un risque de liquidité. Si on note pa l’anticipation qui a amené l’agent à faire son choix, et pm le prix du marché, l’agent subira une perte proportionnelle à (pa-pm)². Un agent ayant une grande aversion au risque cherchera donc à ne pas trop s’éloigner de pm, le prix du marché, résultat de l’opinion moyenne de l’ensemble des intervenants.

Le fait que le prix soit constitué par les opérateurs ne nécessite alors pas une cascade d’anticipations croisées, mais suscite plus prosaïquement un écart relatif faible par rapport au prix du marché. Ce risque concurrentiel, ou de liquidité, se retrouve aussi dans la littérature anglo-saxonne à travers les recherches de Delong et alii (1990b)3 sous le terme de « noise trader risk ». Il s’agit du risque que les agents rationnels prennent à parier contre un marché dominé par les bruiteurs. A nouveau, s’écarter du prix du marché oblige l’investisseur qui s’y résout à subir une perte, tant que le marché n’a pas retrouvé le prix correspondant à la valeur fondamentale.

1

Orléan (2005), op. cit., p.37-38 2

Op. cit. 3

Quelle que soit l’approche, fondamentale ou autoréférentielle, un agent qui s’écarte du prix du marché doit endosser un risque important : le risque de liquidité. Il apparaît que ce type d’approche est pleinement compatible avec l’approche précédente, d’ordre normatif : le prix fixe la norme et toute déviation expose à une sanction. La sanction « autoréférentielle » ne concerne pas directement la réputation du gérant, mais plutôt ses performances relatives. Il semble donc bien qu’autoréférentialité et normativité soient conceptuellement proches1, dès lors qu’on considère le mimétisme comme l’imitation du comportement d’un modèle, le marché à travers le prix, et non comme l’anticipation infinie des croyances circulaires des agents, ou encore de la convention future qui pourra émerger.

Conclusion

Le psychologue Gustave Lebon (2002)2 compare la foule à un troupeau et insiste sur son irrationalité : « une chaîne de raisonnements rigoureux serait totalement incompréhensibles pour les foules ». Comme le souligne Orléan (1989)3, le comportement mimétique a longtemps été associé à la « psychologie des foules archaïques », et, de ce point de vue, considéré comme irrationnel.

L’irrationalité boursière est un sujet dont les médias sont friands mais qui repose sur des raisonnements abusivement prompts. Le fait que les marchés financiers aient des périodes « pathologiques » de bulles, de krachs et de volatilité excessive n’implique pas nécessairement une réaction extravagante de la part de ses intervenants. A l’instar de Keynes (1942)4, « ne nous hâtons pas de conclure que toute chose dépend de fluctuations psychologiques irraisonnées ».

D’une manière générale, nous jugeons à la suite d’Orléan que le mimétisme est un comportement rationnel à l’échelle de l’individu dans la mesure où ce comportement peut être expliqué par différentes raisons, même s’il peut causer des situations irrationnelles par

1

Pour Orléan (2001, p.22), « autoréférentialité et normativité sont les deux faces d’un même processus ». 2

LE BON, G., 2002 [1895], Psychologie des foules, PUF, Paris, 144p., 7ème réédition, p.34 3

Op. cit., p.47 4

phénomène d’agrégation1. Cette revue a considéré le comportement mimétique comme un processus rationnel, objet de recherche légitime dans la compréhension du fonctionnement de la microstructure des marchés.

La typologie de Lütje et Menkhoff (2003)2 distinguant information, réputation et conformisme n’apparaît pas suffisante face aux développements d’Orléan (2001)3. La figure suivante permet, selon nous, de synthétiser les différentes approches :

Mimétisme apparent

Informationnel

fondamentaliste conventionnalisteInformationnel Informationnel Conformiste Réputationnel Concurrentiel Normatif Mimétisme réel Grégarisme

Figure 3. Typologie des causes de l’imitation

Le mimétisme réel peut s’expliquer principalement de deux manières: prendre une décision mieux informée, ou ne pas se faire sanctionner du fait qu’on dévie de la norme.

Le mimétisme informationnel peut lui-même être subdivisé en deux. Le mimétisme informationnel fondamentaliste est généralement considéré comme la seule forme, et est appelé simplement « mimétisme informationnel ». Il s’agit, en copiant, d’améliorer son information individuelle sur les fondamentaux. En revanche, si l’acteur n’adhère pas à une approche fondamentale mais conventionnaliste, copier un modèle peut aussi permettre de prendre une décision mieux informée, dans la mesure où le comportement du modèle le renseigne sur les comportements suivistes des autres acteurs, qu’il tente de précéder. Dans les

1

Le sociologue français Raymond Boudon (1979, p.23) parle de « résultat non intentionnel d’actions intentionnelles ».

2

LÜTJE, T., MENKHOFF, L., 2003, "Risk Management, Rational Herding and Institutional Investors: A Macro View", University of Hannover, Discussion paper n°285

3 Op. cit.

deux cas, la décision informée par le comportement d’autrui cherche à maximiser le gain de l’investisseur.

Le mimétisme normatif, pourrait, lui, être scindé en deux. Il s’agit de mimétisme réputationnel lorsque l’agent craint pour sa réputation, dans la mesure où consensus est synonyme de compétence. Le mimétisme concurrentiel1 concerne sa peur de ne pas pouvoir liquider sa position en temps voulu. Dans ces deux cas, l’agent cherche plutôt à minimiser le risque d’être isolé, et celui de perdre de l’argent. Ce risque apparaît lié au conformisme intrinsèque de l’individu, qui se trouve sur la défensive, et doit agir en fonction de contraintes liées à la peur de la sanction, que son comportement déviant pourrait favoriser.

On retrouve dans cette typologie les deux variables financières fondamentales de la gestion de portefeuille développées par Markovitz (1952)2 : l’espérance de gain et le risque. Ce dernier n’étant pas un risque absolu, mais relatif aux autres acteurs, appelé risque idiosyncrasique. Cette analogie souligne que le mimétisme fait partie intégrante d’un homo oeconomicus rationnel qui cherche à optimiser ses décisions.

La typologie présentée est naturellement discutable et Orléan (1989)3 montre notamment à quel point mimétisme informatif conventionnaliste et concurrentiel sont intimement liés dans un mimétisme autoréférentiel. D’autre part, s’écarter de la majorité est dangereux pour les performances d’un agent qui doit clôturer sa position, et a aussi pour conséquence d’entacher la réputation et les compétences de l’acteur aux yeux des clients. Une distinction précise des différentes causes, qui interagissent entre elles, n’est donc pas chose aisée.

Les modèles de rationalisation du comportement mimétique entrevus restent d’une manière générale très théoriques, illustrés par des anecdotes. Ils ne font finalement que légitimer un comportement dont on présume l’existence, sans pour autant faire l’objet d’applications directes sur le marché. Si le mimétisme peut être rationnel, dans quelle mesure a-t-il un impact sur le marché ? A-t-on réellement des preuves de son influence ? L’objet de la section suivante est de proposer une revue des études empiriques menées concernant le mimétisme et le marché boursier.

1

Le terme est emprunté à Orléan (1989) 2

MARKOWITZ, H., 1952, “Portfolio Selection”, Journal of Finance, vol.7, n°1, pp.77-91 3