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Les cascades informationnelles en laboratoire

§ 3.2 Les études expérimentales

3.2.2 Les cascades informationnelles en laboratoire

3.2.2.1 L’expérimentation de la cascade informationnelle

Anderson et Holt (1998)1 expérimentent la notion de cascade informationnelle théorisée par Bikhchandani, Hirshleifer et Welch (1992)2. Les sujets testés doivent se prononcer sur la réalisation d’un événement, A ou B, qui ont la même probabilité a priori de se réaliser.

Les événements sont modélisés par une urne, contenant des balles a et b. L’urne A contient 2 balles a et une balle b alors que l’urne B contient une balle a, et deux balles b. Lorsqu’un événement est tiré au hasard, l’urne correspondante est utilisée : si l’événement est A, l’urne A est utilisée.

Afin de faire leur choix, les sujets disposent chacun d’un signal individuel les informant sur cet événement, qui correspond au choix de l’urne, A ou B, et qu’ils ne connaissent pas. Le signal est constitué par une boule tirée dans ladite urne. Il est informatif : dans l’urne A, une majorité de signaux indiquent l’événement puisque 2 boules sur 3 sont des boules a. La probabilité a posteriori de tirer une boule a si on sait que l'urne A est utilisée est de 2/3. Mais dans une urne A, l’agent a aussi une probabilité de 1/3 de tirer un mauvais signal, une boule b. Le comportement des autres acteurs peut donc l’aider à prendre une décision judicieuse.

Chaque individu reçoit un signal, qui correspond à la nature de la boule tirée (a ou b) et prend une décision sur la nature de l’urne : il doit dire s’il pense que l’urne dans laquelle a été tiré le signal est A ou B. Cette décision -mais pas la boule tirée- est connue des autres participants. Les personnes arrivant après le premier individu disposent de deux informations : leur signal personnel, le tirage dans l’urne, et le comportement des acteurs précédents. Ainsi, un individu qui passe en deuxième position et voit que le premier a choisi l’urne A en déduit qu’il a pioché une balle a, ce qui lui fournit une information supplémentaire.

Les 72 sujets sont répartis en groupe de 6 sujets, prenant des décisions sur 15 périodes. Au début de chaque période, un des sujets choisi de façon aléatoire, lance le dé pour déterminer l’urne, A ou B, utilisée lors de la période. Les sujets, qui ne savent pas quelle urne a été

1

ANDERSON, L., HOLT, C., 1997, « Information Cascades in the Laboratory », American Economic Review, vol. 87, n°5, pp.847-862

2

Op. cit. Un point d’opposition toutefois : lorsque le sujet reçoit deux signaux informatifs de même valeur, il favorise le signal privé alors que Bikhchandani, Hirshleifer et Welch (1992) postulent un choix aléatoire.

choisie, interviennent alors dans un ordre aléatoire, et on leur montre à chacun une balle de l’urne qui est replacée à l’intérieur.

Avec ce signal, le premier sujet choisit l’urne qui correspond à son signal, A ou B1. La décision est ensuite annoncée et notée par les autres sujets, qui interviennent séquentiellement2, et doivent se prononcer sur l’urne avec le signal privé et les choix des acteurs antérieurs. L’expérience continue ensuite jusqu’à ce que tous les sujets aient pris une décision. Quand la décision est correcte, l’individu est rétribué. A la fin, le moniteur annonce l’urne utilisée et les gains sont enregistrés.

La cascade informationnelle est possible lorsque le poids des signaux inférés provenant des comportements précédents pousse l’individu à agir indépendamment de son propre signal. Ainsi, par exemple, si l’agent agit en troisième position, que son signal (b, indiquant l’urne B) est contraire au comportement des deux acteurs précédents (qui ont choisi l’urne A), il a tout intérêt à suivre, car le comportement des deux autres acteurs contient plus d’informations3 que son propre signal. Une cascade s’est formée dans 41 des 56 périodes dans lesquelles, d’après un calcul bayésien, le poids de l’information des acteurs précédents est plus important que le signal privé,soit dans 73% des cas.

Si ce test de la cascade informationnelle montre bien qu’un raisonnementde typebayésien est en général utilisé par les individus dans cet environnement, le protocole reste là encore éloigné d’une application aux marché financiers. Cipriani et Guarino (2005) proposent une application plus proche de l’environnement boursier en incorporant un système de prix ajustable ainsi qu’en ajoutant la possibilité pour les sujets de s’abstenir.

3.2.2.2 Prix et cascades informationnelles

Cipriani et Guarino (2005)4 proposent une économie simplifiée inspirée de Glosten et Milgrom (1985)5 dans laquelle un actif peut prendre une valeur V, 0 ou 100. L’actif prend la

1

Pour le premier sujet, il y a en effet 2 chances sur 3 que ce signal corresponde à l’urne. 2

L’ordre de passage est aléatoire. 3

Les acteurs agissent sur la base de deux informations différentes alors que l’agent n’en a qu’une, à moins que le deuxième acteur n’ait abandonné sa propre information.

4

CIPRIANI, M., GUARINO, A., 2005, « Herd Behavior in a Laboratory Financial Market », American Economic Review, vol.95, n°5, pp.1427-1443

5 Op. cit.

valeur 100 avec une probabilité p et 0 avec une probabilité (1-p). A chaque échéance, un sujet choisi au hasard peut acheter, vendre, ou ne pas négocier d’actif.

La valeur de V est inconnue mais les sujets reçoivent un signal privé sur celle-ci qui a une probabilité q> ½ d’être vrai. De manière analogue à Andreassen et Holt (1998), le signal est obtenu par tirage, avec remise, dans une urne composée ici de 70 jetons donnant la vraie valeur de l’actif sur les 100 (soit q=0.7). Par exemple, si la valeur de l’actif est de 0, 70 des jetons de l’urne indiqueront 0 et 30 jetons indiqueront une valeur de 100. Ainsi, la probabilité de tirer un jeton indiquant 0 sachant que cette valeur V est égale à 0 est de q=0.7.

D’autre part, p est fixé à ½ pour l’expérimentation : le lancer d’une pièce déterminera la valeur de l’actif.

208 étudiants ont ainsi participé à 16 sessions, composées de 10 tests chacune. Durant chaque test, l’ordre de passage des sujets est aléatoire. Trois modalités sont ainsi testées :

1. Lorsque le prix est fixé et qu’un déséquilibre intervient entre information personnelle et observation des décisions des autres, les agents choisissent d’abandonner leur signal dans 52% des cas, alors que 26% n’agissent pas et 22% le suivent1.

2. L’environnement est ensuite modifié pour que le prix s’ajuste en fonction des décisions prises2, selon le modèle de Avery et Zemsky (1998)3. Dans ce cas, 12% des agents abandonnent leur signal privé, 42% n’interviennent pas et 46% suivent leur information personnelle.

3. Dans un troisième cas de figure, les agents n’ont pas accès aux décisions des acteurs précédents, mais ne connaissent que le prix auquel ils peuvent effectuer leur transaction. Le taux d’abandon d’information personnelle augmente alors à 24%.

Le mécanisme des prix, agrégeant les informations avec efficience, réduit donc considérablement la propension à abandonner son information personnelle, ce qui confirme empiriquement les travaux théoriques d’Avery et Zemsky4. Cette expérimentation met en évidence que la plupart des agents confrontés à des signaux divergents suivent leur

1

On peut confronter ce résultat à celui obtenu par Anderson et Holt (1998, op. cit.) en enlevant les agent qui ne prennent pas de décision pour trouver un résultat comparable : 52%/(52%+22%)=70% soit proche de 73%. 2

Pour correspondre à l’espérance de valeur sachant l’ensemble des décisions passées, E(VHt). 3

Op. cit. 4

Les travaux de Drehmann, Oechssler, et Roider (2005) montrent sur un grand nombre de sujets participant à une expérimentation sur Internet qu’un système de prix diminue largement les comportements imitatifs.

information privée ou s’abstiennent. Elle montre aussi que l’opacité du marché joue en faveur du mimétisme, dans le troisième cas, qui est plus proche de l’environnement boursier.