• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE IV TEL CONTEXTE, TELS APPRENANTS, TELLES

7. Repenser l’enseignement du français

Pour remédier à cette image quelque peu défavorable de l’enseignement-apprentissage du français au sud du Liban, les enseignants essayent d’intégrer la langue française dans la vie de l’apprenant. Ils soulignent qu’il est possible de dépasser l’espace cloisonné de la classe en évoquant des sujets qui intéressent les apprenants sans pour autant dévaloriser la nature et la finalité des cours.

E.4 – 36. (NF1

) : / j’essaye d’être créative dans la mesure du possible / je pars toujours des thèmes proposés dans le manuel pour lancer des débats et des discussions par exemple sur le thème de la femme / on parle de la femme dans la société libanaise de la violence de la guerre /c’est sur ce thème que les productions abondent / même si les textes choisis dans ces manuels n’incitent pas beaucoup à parler les élèves ramènent plein de choses sur leurs expériences / même dans leurs productions écrites il y a des traces de leur vie personnelle /

Les manuels de français actuellement en usage dans les classes au Liban proposent généralement des textes et des documents qui mettent l’accent sur des thèmes concrets et qui touchent la vie et les intérêts des apprenants en tant qu’acteurs sociaux (thème de la violence, l’émotion, la fuite du temps, les sciences, la fiction, le patrimoine, etc.) En effet, à travers la diversité et la richesse des thèmes,

0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 Faire un séjour dans un pays francophone Écouter des chansons en français Écouter des émissions en français Lire en français (romans, BD) Regarder des films en français Échanger en français à l’intérieur de la classe Échanger en français en dehors de l’école

Afin d'améliorer leurs compétences linguistiques, culturelles et communicatives, les apprenants proposent de :

les apprenants pourraient découvrir, expérimenter, se cultiver, se construire, et bien évidemment apprendre la langue. Cependant, les enseignants soulèvent le problème de l’ambiguïté des consignes et des activités proposées dans les manuels utilisés. Les consignes d’utilisation qui accompagnent ces thèmes sont généralement orientées vers le contenu linguistique et non vers ce qui permettrait de développer une véritable interaction communicative entre les partenaires de la classe. D’autant plus que le choix des documents, au-delà de la polémique authentique/fabriqué comme dans les manuels FLE, se révèle souvent dépassé et déstabilisant et pour les apprenants et pour les enseignants. L’un des enseignants témoigne :

E.10 – 42 (HF1

) : / 10 ans après l’exploitation des manuels de français / il est temps de les changer / on est en 2008 et il faut continuer à enseigner aux petits libanais des textes apportant des idées dépassées à l’exemple d’un texte intitulé « comment faire pour affronter l’année 2000 et le nouveau millénaire » / il n’y a rien dans les livres qui rattache cette génération à la réalité vécue dans le pays /

Il faut signaler qu’il y a un écart entre ce que les enseignants considèrent utile de faire et ce qu’ils font réellement en classe. Pour tenter de remédier à leurs difficultés quotidiennes, ils prennent des initiatives qui sont généralement d’ordre personnel, mais « ces recettes ne sont pas magiques » d’après l’un des enseignants à Nabatieh. Plusieurs comportements ont été établis par les enseignants qui, selon eux, pourraient stimuler les élèves et créer un climat d’interaction en classe :

 Se montrer patient et bienveillant,

 Créer un climat détendu dans la classe en adoptant un ton chaleureux,

 Valoriser les compétences et entretenir des rapports amicaux avec les élèves,

 Encourager l’implication des élèves à travers les discussions et l’échange des idées personnelles en instaurant dans la classe un climat de communication comme l’explique C. Arnaud « […] où le « je » personne, et non le « je » apprenant, qui s’exprime. [l’enseignant] cherche à ce que les apprenants expriment « réellement » leurs idées et leurs sentiments, émettent leurs doutes, expliquent l’usage qu’ils ont fait de la langue en dehors du cours, etc. évitant ainsi que l’impératif de l’apprentissage imprègne et structure en

permanence la substance du discours. »129 Ainsi au-delà de la relation enseignant-enseigné, l’enseignant n’est pas indifférent aux caractéristiques personnelles des apprenants,

 Intéresser le public à la culture francophone et française (carte de la francophonie, organisme francophone, auteurs francophones, raconter l’histoire de la francophonie au Machrek par exemple, apporter des informations supplémentaires sur les habitudes culturelles dans les pays francophones, etc.),

 Stimuler la spontanéité : l’enseignant n’hésite pas à exprimer ses idées et ses sentiments personnels pour encourager les élèves à intervenir de leur propre initiative,

 Varier les supports en utilisant des matériels motivants (certains enseignants) (audiovisuel, roman, bandes dessinées, etc.).

Quand l’élève réussit à s’impliquer (ou pas) dans le cours, ses réactions se traduisent de la façon suivante :

 Spontanéité : l’élève prend l’initiative d’exprimer ses idées, il pose des questions, il demande des explications, il manifeste son contentement ou bien son mécontentement des activités réalisées,

 Insécurité/sécurité : en fonction des activités réalisées, l’apprenant se montre hésitant et tendu (voix basse, débit lent) ou au contraire, il s’adresse aux autres, il montre de l’intérêt à travailler volontiers en groupe.

Les enseignants soulignent que les apprenants ayant des préférences pour un enseignement « traditionnel » centré sur les activités écrites, la grammaire et les corrections ont du mal à s’impliquer et à trouver leur place dans les activités nécessitant une certaine dynamique, une prise d’initiative et une vrai implication dans la vie de classe. D’après les enseignants, ces apprenants se retranchent derrière ces activités pour dissimuler leur insécurité, leur peur et leur anxiété. Il est fréquent également de trouver dans les classes des élèves appréciant particulièrement un enseignement dynamique et varié. Cependant, ils sont

129

Arnaud C., 2006, « Attentes, perceptions, jugements et comportements des apprenants et des enseignants en classe de langue étrangère », in CAUCE, Revista International de Filologia y su Didactiva, N°29, www.institucional.us.es/revistas/revistas/.../2Arnaud.pdf, page consultée le 17/02/09, p. 28.

confrontés à un professeur passif et à un enseignement pas assez attrayant. Quelle que soit la nature des activités proposées M.-C. Lauga-Hamid note que « dans la classe, l’apprenant est cadenassé par les contraintes du rôle dont il est investi. Il se doit de produire du langage, de montrer qu’il sait parler, qu’il a acquis des connaissances langagières et qu’il les teste dans son activité discursive. Il lui incombe de se soumettre aux règles du rituel pédagogique sous peine de ˝sanctions˝. »130

Les enseignants enquêtés pointent du doigt, encore une fois, le contenu « médiocre » des formations suivies. Dans ce domaine, elles mettent très peu l’accent sur les stratégies ludiques et sur les moyens qui pourraient aider les enseignants à surmonter ces obstacles dans le quotidien. L’enseignant stimule l’interaction par tous les moyens disponibles, il encourage mais, il ne réussit toujours pas à vaincre la réticence de certains à participer. Les enseignants estiment que les réactions personnelles, les petits exposés, les débats et les jeux de rôle sont des activités stressantes pour un grand nombre de personnes, même dans leur langue maternelle. Elles le seront davantage en langue française. Ainsi, la peur ressentie par les apprenants devant la langue française est tout à fait légitime.

Il s’est avéré à travers les entretiens, qu’une partie de mes interlocuteurs, arrivant à un âge précis (45-60) ans, perd tout espoir de changer la réalité et de faire évoluer les représentations figées chez certains apprenants sur la difficulté de la langue française. Ils ont affaire à un public démuni de toute motivation notamment dans les classes terminales. La plupart des élèves dans ces classes, n’a pas l’intention d’effectuer le moindre effort pour apprendre cette langue. Ces élèves se contentent d’avoir une note qui effleure à peine la moyenne générale. Un enseignant à Bent Jbeil explique :

E.5 – 52. (BH1

) : / au fait on essaye d’attirer l’attention des élèves avec tous les moyens disponibles / dans les petites classes on peut distribuer des bonbons mais dans les classes terminales comment faire < !? > les bonbons ne sont plus efficaces pour les 16-17 ans /

130 Lauga-Hamid M.-C., 1990, « L’implication du sujet dans son apprentissage », in Dabène L. & alii, Variations et rituels en classe de langue, Paris, Hatier, p. 56.

Ces enseignants baissent les bras devant la démotivation des apprenants. Cette démotivation est paradoxalement jugée « légitime ». En l’absence de moyens et de possibilités permettant aux apprenants de vivre cette langue et de la pratiquer, il serait déraisonnable de demander à ces élèves de faire quelque chose lorsque l’on sait à l’avance qu’ils ne le peuvent pas. Pour certains enseignants, dans les classes de français au sud du Liban « il faut exiger de chacun ce que chacun peut donner ». De ce fait, ils se contentent d’enseigner le français à l’écrit, d’enseigner la littérature bref la « culture cultivée ». Le même enseignant à Bent Jbeil constate que :

E.5 – 54. (BH1

) : / ce qui nous attache à la langue française en tant que Libanais c’est la culture que comporte cette langue / mais a t on vraiment besoin de français pour trouver un travail au Liban < ?> la réponse est négative / si les étudiants ne veulent pas de l’oral alors il ne sert à rien de les obliger à parler / je parviens à ce constat après 30 ans d’expérience dans l’enseignement / c’est l’anglais qui prendra la place de français dans les années à venir /

« Si les étudiants ne veulent pas de l’oral alors il ne sert à rien de les obliger à parler », à quel point ce postulat est valable ? Peut-on/doit-on enseigner le français au Liban seulement en tant que code pour l’écrit ? Peut-on procéder à une séparation des activités linguistiques et communicatives pendant les cours ?

La question sur le rôle de la langue française dans la société libanaise revient dans les débats à chaque fois qu’on pose la question sur les choix pédagogiques les plus efficaces et les mieux adaptés au contexte libanais. Dans cette perspective, Katia Haddad développe un ensemble de réflexions sur l’utilité du français dans la société libanaise : « encore une fois, la question est de savoir si les Libanais doivent apprendre une langue française qui leur permette de communiquer entre eux ou avec leur environnement, comme c’est le cas dans les pays d’Afrique francophone. La réponse est évidemment négative, puisque l’arabe dans ses deux formes, dialectale et littéraire, remplit parfaitement cet office. Doivent-ils apprendre la langue qui leur permettra de s’expatrier sans trop de difficultés d’insertion dans le pays d’accueil ? La question a été posée lors des années de cendre que furent les années de guerre, mais c’était alors un objectif ponctuel qui ne saurait constituer un but à moyen terme. Doivent-ils connaître la langue des transactions commerciales et des

ordinateurs ? L’anglo-américain remplit aujourd’hui, mieux cette fonction que le français. »131

Chaque enseignant et chaque chercheur croient sans doute pouvoir apporter à ces questions une réponse adéquate et appropriée : le français appris au Liban sert-il comme langue de communication entre les Libanais ? Comme langue d’expatriation pour faciliter l’intégration à l’étranger ? Ou bien comme langue du travail et de l’informatique ? À mon avis, ces interrogations restent ouvertes à toute sorte d’interprétation. Personne n’est en mesure de trancher sur le rôle que joue actuellement la langue française dans la société libanaise et sur celui qu’elle pourrait jouer dans l’avenir. Même si pour la majorité des Libanais, cette langue représente la « langue de culture et d’ouverture », il ne faut pas oublier que « chaque individu, [comme le dit D. Coste], apprend une langue différemment, pour des raisons et avec des motivations, pour des buts et avec des intérêts différents. » Il faut mentionner également que les sociétés sont en perpétuel changement ainsi, l’avenir et le rôle des langues au Liban notamment le français est difficilement prédictible.

Par conséquent, l’apprentissage du français ne devrait pas se limiter à l’écrit comme l’envisage ces enseignants. Même s’ils sont découragés suite au manque d’intérêt porté par leur public, c’est à eux de chercher les moyens afin de créer un climat dynamique et encourageant pour accrocher l’attention de leur public qui tôt au tard aurait besoin de cette langue.

Mes interlocuteurs ne partagent pas tous une vision simpliste des finalités de l’apprentissage des langues. La grande majorité d’entre eux est convaincue de l’importance de l’apprentissage des langues notamment de la langue française dans le contexte libanais. D’après ces enseignants, cette langue devrait participer à la construction de la personnalité et à l’enrichissement intellectuel de l’apprenant. Elle doit être un instrument de découverte de la diversité culturelle et linguistique du monde francophone auquel nous appartenons.

131

Hadad K., 1994, « Problèmes du français langue seconde au Liban », in AbouS. & Haddad K. (Dirs.), Une francophonie différentielle, Paris, L’Harmattan, Université Saint–Joseph, p. 430.