• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE IV TEL CONTEXTE, TELS APPRENANTS, TELLES

5. Quelle place pour la motivation en classe de français

5.4. Apprenants au « degré zéro de motivation »

La quatrième catégorie, la plus stigmatisée par les enseignants, représente les apprenants au « degré zéro de motivation ». Ces élèves ne montrent aucun intérêt ni pour la langue ni pour la culture françaises. Leurs difficultés sont à la fois d’ordre linguistique (grammaire, syntaxe) et psychologique (l’âge). Ils sont très dépendants de l’enseignant et ils n’aiment pas travailler en groupes tout simplement parce qu’ils ne voient pas l’intérêt. Ils sont en insécurité à l’oral. Ce public est paradoxalement très présent dans les filières littéraires notamment chez les jeunes garçons. D’après mes observations, le nombre d’étudiants dans les filières littéraires est très réduit par rapport à celui dans les filières scientifiques. Les lycées qui proposent cette spécialité sont de moins en moins rares. Les étudiants se dirigent vers les « Sciences générales », « Sciences de la vie » ou les « Sciences économiques », spécialités très valorisées dans la société et qui sont censées faciliter l’accès au marché du travail dans l’avenir. Pour la majorité des Libanais, les sections littéraires sont moins importantes et dévalorisantes notamment pour les garçons. Il faut mentionner que les représentations que se font les apprenants de

leur orientation sont une source importante de leur dé/motivation. D’après cette enseignante à Marjayoun :

E.8 – 32. (MF2

) : / au Liban les filières littéraires ne sont pas très appréciées / elles sont proposées pour dépanner les élèves qui sont moins braves en sciences / ça n’a rien à voir avec leur préférence leurs compétences littéraires ou bien avec leur vocation / c’est une orientation subie et non pas choisie / Les critères que les enseignants retiennent dans l’élaboration de cette typologie s’appuient sur le degré de motivation et de l’intérêt portés par leur public aux différentes activités réalisées pendant les cours. Un grand nombre d’enseignants considère non seulement l’âge et le sexe des élèves mais aussi leur orientation scientifique ou littéraire comme facteurs influents sur leur motivation/démotivation et sur leur implication en général. L’anxiété langagière est plus présente parmi les jeunes garçons à Hasbaya alors qu’à Marjayoun c’est l’inverse. Cet aspect est remarquablement repéré dans les classes terminales comme l’explique ces enseignants :

E.10 – 34. (HF1

): / très souvent en terminale on a affaire à des jeunes garçons qui refusent catégoriquement de parler en français / les filles sont moins difficiles que les garçons / à cet âge le garçon est beaucoup plus sensible à son image / il évite à tout prix les moqueries de ses amis et les remarques de l’enseignant /

E.7 – 22. (MF1

) : / dans les classes à Marjayoun j’ai très souvent affaire à des jeunes filles hésitantes intimidées surtout devant des mots comme « amour » / pourtant il y a plus de filles que de garçons dans les classes /

Un autre enseignant remarque également la timidité des filles dans un des lycées de Nabatieh, mais il précise que cette peur et cette appréhension de prendre la parole relèvent aussi d’un manque d’habitude, il explique :

E.2 – 12. (NH2

) : / cette habitude communicative n’existe pas vraiment dans les classes / on ne peut pas la créer du jour au lendemain / si l’élève n’avait pas l’habitude de prendre la parole dans les petites classes il ne va jamais le faire au secondaire / j’avais des lycéennes qui refusaient catégoriquement de parler en français / elles avaient peur / j’avais compris que c’était la première fois pour elles où on leur demandait de s’exprimer en français en plus devant toute la classe elles avaient peur /

Généralement, les élèves dans les classes terminales ont entre (16-18) ans. Les enseignants remontent les sources de ces problèmes psychologiques à l’âge notamment à cette phase d’adolescence qui, comme l’expliquent V. Castellotti et M. De Carlo, « […] est une période particulièrement critique, elle représente le passage entre l’enfance et l’âge adulte. La personnalité de l’individu commence à s’esquisser, son identité sexuelle à se former, les aspects rappelant l’enfance sont rejetés. Cette insécurité ne peut que nuire à l’apprentissage d’une langue étrangère où, dans le jeu spontané et artificiel, il est nécessaire de se mettre en scène et de s’exposer. »123

La personnalité, l’attitude et la réaction de l’enseignant jouent ainsi un rôle important dans la classe. Nombreux sont les élèves qui ont aimé le français avec tel ou tel enseignant, puis ont décroché avec un autre. Il est évident, que pour combattre la timidité des élèves, les enseignants se montrent compréhensifs et rassurants en expliquant à leur public que ce sentiment est naturel et, qu’il est tout à fait normal de faire des erreurs en abordant une langue étrangère. L’élève aura confiance en ses ressources, il apprend à connaître ses droits et à assumer ses responsabilités par conséquent, il prend conscience que sa réussite dépend tout d’abord de lui-même, de sa motivation et de sa persévérance. Il ne faut pas oublier que chaque élève a ses propres intérêts, goûts, modes de vie. Il serait passionnant que la langue étrangère participe à son développement social et culturel. Comme l’explique Louis Porcher : « pour mettre en place un enseignement centré sur l’apprenant, il faut proposer à celui-ci des activités et des thèmes qui l’intéressent, c’est-à-dire qui correspondent à ses goûts, et, donc, à sa situation, à son expérience, à son environnement et à ses espérances […]. »124

En effet, en français, l’on peut apprendre autre chose que la mélancolie chez Baudelaire et la fuite du temps chez Chateaubriand, parce que « la vie sociale qui nous entoure ne laisse pas indifférents nos apprenants. Il est utile de les motiver à nommer en français quelques faits entendus dans les médias, par exemple. On peut souhaiter qu’ils s’expriment brièvement sur les événements qui se passent autour

123

Castellotti V. & De Carlo M., 1996, « Les enseignants face aux difficultés des élèves », in Le Français dans le Monde, Numéro spécial, La didactique au quotidien, Juillet, p. 34.

124

Porcher L., 1987, « Manières de classe », Paris, Alliance Française, p. 11, cité dans Anderson P., 1993, « La question de l’affect dans la relation apprenant-enseignant », in Travaux de Didactique du FLE, N°31, pp. 5-6.

d’eux et dans le monde. »125 L’élève constate donc que cette langue est à la fois vivante et dynamique.