• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE IV TEL CONTEXTE, TELS APPRENANTS, TELLES

6. Face aux difficultés des apprenants, quel(s) remède(s) ?

« Enseigner : agir dans l’urgence, décider dans l’incertitude. » C’est ainsi que Philippe Perrenoud définit le métier de l’enseignant. Si cette affirmation est vraie pour tout enseignant, elle est d’autant plus pour l’enseignant de langue, appelé à opérer sur un terrain particulièrement sensible au changement et à l’évaluation. »126

Il me semble que ce constat fait par P. Bertocchini et par E. Constanzo sur le métier de l’enseignant de langues pourrait également être appliqué au contexte libanais. Après la réforme de 1997, les tâches confiées à l’enseignant de français ont extrêmement augmenté. Les objectifs ont radicalement changé et les mesures qui ont été mises en place pour accompagner les enseignants dans l’accomplissement de leurs tâches n’ont pas été à la hauteur. C’est ainsi que les enseignants libanais se voient travailler dans l’incertitude entre les exigences de l’institution, l’ampleur des objectifs, les attentes des parents et les besoins réels des apprenants. D’autant plus qu’au Liban, les enseignants dans le cycle secondaire interviennent auprès d’un public assez spécifique. À ce stade d’études, les difficultés subsistent chez les enseignants ainsi que chez les apprenants. Les techniques et les stratégies d’enseignement-apprentissage du français qui avaient fait preuve de leur efficacité aux premiers cycles d’études semblent désormais impuissantes devant le manque ou le peu de motivation des apprenants dans ce cycle.

Il est certain que la « peur de la langue » et le « peu de motivation » accordée à l’enseignement du français, sont les premiers obstacles auxquels les enseignants sont confrontés pendant les cours. Par conséquent, ils mettent généralement l’accent sur l’aspect artificiel de leur discipline et sur la contradiction entre la réalité des pratiques sociales des apprenants dans leur vie quotidienne et l’aspect caricatural du contexte institutionnel. C’est parce que la langue n’existe pas à l’extérieur de l’école et qu’elle ne peut pas être apprise en milieu naturel que le cadre

125

Apanovitch E., 2002, « Apprenants démotivés : Quel remède ? », in Le Français dans le Monde, N°322, p. 43.

126 Bertocchini P. & Costanzo E., 2008; « Pour une démarche centrée sur l’enseignant », in Le Français dans le Monde, N°360, p. 38.

de l’école semble contraignant et inadéquat pour les apprenants. Cela revient à dire que les possibilités de recontextualisation et de simulation des connaissances acquises en classe dans la réalité extrascolaire dans des situations authentiques sont aussi limitées sinon invraisemblables d’où la contradiction entre les objectifs communicatifs de nouveaux programmes de français et la réalité des pratiques sociales des apprenants. Les enseignants ont pour la plupart fait état des difficultés rencontrées par les élèves à concevoir la langue étrangère qu’ils étudient à l’école comme une réalité vivante.

E.4 – 24. (NF1

) : / tout le temps avec nos élèves on leur demande de parler français en dehors du cadre scolaire mais ça ne se passe jamais / ils disent franchement qu’ils ne voient pas l’intérêt de parler en dehors de la classe ils vont pas chez le boucher pour lui parler en français et c’est pareil pour les profs -< ! > /

E.6 – 30. (BF1

) : / nos élèves sont excellents en grammaire mais une fois en dehors de l’école auraient-ils la capacité de se servir de français < ? > / la réponse est négative / à l’école on étudie Baudelaire et Balzac mais un lycéen pourrait-il mener une conversation en français à propos des prix de l’essence au Liban par exemple < ? > / tout est centré sur ce qu’on fait à l’école bien sûr ce n’est pas la faute aux profs- / on est limité à enseigner des thèmes précis dès la maternelle jusqu’en terminale / on est en train d’enseigner une langue des livres et non pas une langue de communication / Les étudiants ne conçoivent pas l’emploi du français dans un contexte qui ne justifie pas ce choix d’où leur démotivation et leur désintérêt envers cette langue notamment chez les étudiants du cycle secondaire. En effet, ils sont chez eux, dans une classe linguistiquement homogène et sont obligés d’effectuer des efforts énormes pour communiquer avec des résultats médiocres. Qui plus est, lorsqu’ils parviennent à entrer dans le jeu, à faire comme si, à produire de manière satisfaisante une situation de communication en français, tôt ou tard la réalité de l’école avec ses exigences de correction, d’évaluation les ramène à leur ancienne peur de l’erreur. D’après les professeurs, ces étudiants - déçus par leurs résultats - approchent la langue d’un point de vue très formel. Paradoxalement, le français représente, pour eux, un objet convoité pour le capital symbolique et prestigieux que son usage procure mais inaccessible vu la difficulté de son apprentissage d’autant plus qu’ils ont du mal à se reconnaître comme étant des personnes plurilingues ou même bilingues. Par ce que, le français n’existe qu’à l’école, leurs compétences en cette langue se limitent à l’écrit, ils s’en servent pour des activités déterminées

pendant le cours. Pour eux, ils sont loin d’avoir une maîtrise équilibrée, parfaite et symétrique des deux codes à savoir l’arabe et le français. Tout cela relève du problème de l’insécurité linguistique et culturelle très remarquable chez les élèves tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’école.

Au cycle secondaire, la grammaire ne devrait plus faire l’objet de leçons programmées dans les manuels de français. D’après les professeurs, elle n’est introduite que lorsque des difficultés générales surgissent mais concrètement, elle prend une place largement plus importante dans les cours. Ces difficultés, qui, généralement, ne devraient plus avoir lieu à ce stade, continuent à persister chez les élèves. Plus important encore, il est fréquent de rencontrer dans ces classes des élèves qui réclament de leur professeur « plus de grammaire » et des activités visant la correction. Nous savons bien que « l’attrait pour le communicatif ou la « demande » de grammaire – pour ne citer que ces exemples – sont aussi le reflet de situations culturelles et de représentations qu’ont les acteurs de la langue et des conditions optimales de son apprentissage. »127 Pour ces apprenants, la maîtrise de la langue doit commencer par une connaissance de sa structure et de sa construction grammaticale sans oublier qu’une grande majorité des élèves sollicite également des activités orales leur permettant de parler cette langue au quotidien.

Il faut souligner que les enseignants enquêtés mettent en cause le manque et l’insuffisance de formations initiale et continue dispensées avant et après la réforme. Ces formations sont censées d’une part, les conduire vers une autonomie d’action leur permettant d’éviter la dépendance à des méthodes d’enseignement dominantes et aux manuels de langue jugés « inadaptés » au contexte libanais en termes de choix de textes à étudier et d’activités didactiques et d’autre part, d’analyser les situations auxquelles ils sont confrontés pour construire des scénarios motivants et vivantes et des outils adéquats qui répondent aux attentes des élèves. Au Liban, les enseignants ne reçoivent pas d’offres de formation mais des convocations comme je l’ai déjà mentionné. D’ailleurs la formation suivie ne débouche ni sur une récompense ni sur une promotion. L’on peut donc comprendre qu’elle soit généralement perçue par les enseignants comme une obligation. Ainsi le peu de formations assurées par les différents organismes éducatifs n’a pas remédié aux

127

Chiss J.-L. & Cicurel F., 2005, « Cultures linguistiques, éducatives et didactiques », in Beacco J.-C. & alii (Dir.), Les cultures éducatives et linguistiques dans l’enseignement des langues, Paris, Presses Universitaires de France, pp. 8-9.

difficultés persistantes pour cela, l’explication linéaire (traduction) des textes littéraires domine, la référence absolue à la grammaire normative est majeure.

Après tout, les objectifs d’enseignement du français ont changé, les manuels ont été modifiés et la place accordée à l’oral a augmenté mais l’application réelle de nouveaux programmes est tributaire de plusieurs facteurs notamment du rôle de l’enseignant. Il est certain que c’est un grand pas vers le changement mais ces programmes sont loin de répondre aux particularités et à la complexité du contexte libanais. Il semblerait que dans cette région du Liban, nous pouvons parler d’une didactique de la langue française à « la libanaise », parce que comme l’explique cet enseignant :

E.1 – 44. (NH1

) : / là je crois que c’est la compétence de prof- et le choix de sa méthode qui jouent un rôle primordial / à la libanaise le mot méthode ou stratégie n’a pas le même sens que celui connu en France / la méthode du prof est à la fois son choix de documents à proposer aux étudiants les activités à appliquer pendant le cours l’utilisation du tableau les jeux de rôle etc. / je voix qu’il nous faut une réflexion sur nos choix de méthodes d’une part pour briser la routine de la classe et d’autre part pour éveiller et attirer l’attention des étudiants /

En effet, en l’absence de formations suivies, les enseignants gèrent leur classe en fonction de ce qui existe et de ce qui est disponible à leur disposition. Ils sont confrontés quotidiennement aux problèmes ou aux difficultés d’ordre aussi bien linguistique que culturel, parfois assez spécifiques (refus des élèves de regarder des films, écouter des chansons, ou bien de participer à des activités orales, etc.) Dans ce contexte, ils sont à la fois enseignants mais aussi metteurs en scène. Ceux-ci devraient faire preuve de leur créativité toutes les fois qu’ils sont confrontés à la démotivation de leur public, à leur ennui et à leur indifférence envers la langue, à leurs difficultés à communiquer et à leur dépendance excessive par rapport à la présence de l’enseignant. « Il faut à tout prix trouver les moyens pour avoir des clients pendant le cours et de les garder sinon l’enseignant va chanter tout seul toute l’année » déclare l’un des professeurs à Hasbaya.

L’amour (l’admiration) de la langue française est largement présent chez les élèves mais c’est la motivation de l’apprendre qui manque chez eux. Tout porte à croire que les professeurs qui s’entretiennent avec leurs élèves de sujets dépassant

le simple cadre scolaire, qui adoptent en cours un discours « cool », qui s’intéressent à ce qu’ils font, à leur manière d’apprendre, à ce qu’ils pensent, déclenchent une ambiance vivante et dynamique pendant le cours liée directement à l’implication de leurs élèves dans le jeu. Les enseignants, appliquant cette stratégie, remarquent très vite la différence : les élèves interviennent de leur propre initiative, prennent des risques, donnent leurs avis, n’hésitent pas à poser des questions, à répondre et à demander des explications. Cette vivacité et cette spontanéité avec lesquelles, ils participent aux activités de la classe semblent également influer sur les représentations qu’ils se font de la langue, de sa difficulté et de son hermétisme. D’après les enseignants enquêtés, c’est le seul moyen pour parvenir à créer chez leurs élèves un intérêt pour cette langue qui, tôt ou tard, serait utile et primordiale pour eux notamment pour ceux qui suivent leurs études dans les universités francophones. On pourrait dire s’ils ne sont pas motivés au début mais, ils le deviennent. Ainsi, « […] une relation heureuse au sein de la classe suppose également la capacité d’improviser et de prendre en compte les réactions des partenaires. »128

Par ailleurs, les apprenants enquêtés pensent que la multiplication des occasions d’échange effectif en français à l’extérieur comme à l’intérieur de la classe concourt certainement à créer de la motivation chez eux. Le fait d’entretenir des rapports quotidiens avec cette langue à travers la lecture des romans, des revues ou des bandes dessinées ainsi qu’à travers l’écoute des chansons et des émissions pourrait améliorer leurs compétences linguistiques, culturelles et communicatives en français.

Pour un enseignement-apprentissage efficace du français, les apprenants proposent certaines mesures, elles se résument dans le graphique suivant :

128

Arditty J., 2005, « Approches interactionnistes. Exemples de fondements théoriques et questions de recherches », in Le Français dans le Monde, Numéro spécial, Les interactions en classe de langue, Juillet, p. 17.

Graphique 20 : Suggestions afin d'améliorer les compétences linguistiques et culturelles chez les apprenants