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CONTEXTE(S), PRATIQUES DIDACTIQUES ET REPRÉSENTATIONS

2. Anciens et nouveaux programmes, différences et complémentarité

Les programmes scolaires ne sont pas tout simplement des recettes pédagogiques mises à la disposition des enseignants afin de les transmettre à leur public. Les objectifs et les finalités sont un préalable primordial à la construction des programmes. Ils sont ainsi la concrétisation de choix idéologiques, de politiques linguistiques et éducatives de la société, de l’institution, des groupes sociaux bref des pays. L’héritage historique français a déterminé la structure scolaire et fondé le système éducatif que le Liban continue de préserver. Le cadre de référence théorique et méthodologique, aussi bien sur le plan linguistique que didactique pour l’enseignement-apprentissage du français était/est la France. Afin d’établir brièvement un rapport sur les pratiques et les modalités d’enseignement da la langue française avant et après la réforme de 1997, la question suivante a été posée aux enseignants :

Quels sont d’après vous, les principaux changements qui ont été introduits aux programmes et aux objectifs de l’enseignement du français après 1997 ?

Il est impossible de faire vivre tous les aspects de la langue et de la culture/des cultures francophones dans leur diversité à travers le programme de français. Toutefois, les enseignants enquêtés s’accordent tous sur l’aspect innovant de la réforme qui vient répondre à une nécessité puisque l’aspect théorique dominait

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Coste D., 2008, «Quelles évaluations pour quelles politiques linguistiques ?», Les Cahiers du GEPE, N°1, L’analyse des pratiques d’évaluation des politiques linguistiques : Une entrée pour l’étude des politiques linguistiques ?, http://cahiersdugepe.fr/index696.php, page consultée le 30/06/09.

le contenu des anciens programmes qui occupait un pourcentage s’élevant à plus de 90 % de la totalité des heures d’enseignement dans les différents cycles. Les défauts se situaient aussi au niveau de l’accumulation quantitative du savoir au détriment du choix qualitatif. De plus, ils ne répondaient pas aux besoins et aux attentes des apprenants. Les méthodes d’enseignement s’appuyaient essentiellement sur des cours magistraux dont l’élément central est l’enseignant. Ces méthodes étaient également fondées sur le travail individuel et négligeaient les techniques de travail par groupe. Les auxiliaires pédagogiques se limitaient généralement au manuel scolaire sans recours à d’autres moyens. Une enseignante à Hasbaya distingue trois phases qui marquaient, selon elle, l’histoire de l’enseignement-apprentissage du français au Liban avant et après la réforme :

La première représente la période qui précède les années 1990 où l’enseignement était basé sur des cours magistraux et sur la mémorisation de l’histoire littéraire et de la civilisation françaises. Cette période est désignée par la phase de « démotivation justifiée ». La « phase de transition » marque les années entre (1990-1997). Pendant cette période, les enseignants ont supprimé le « par cœur » au profit de l’analyse thématique, stylistique et typologique des textes littéraires. Quant à la troisième phase qui représente la période actuelle, elle est à l’unanimité la phase de « l’enseignement par objectifs ». Les extraits suivants résument bien la situation avant et après 1997 :

E.10 – 2. (HF1

) : / avant 97 on enseignait le français comme un cours d’histoire basé sur des informations à mémoriser sur la civilisation française / pour obtenir des notes il fallait retenir des pavés par cœur / l’épreuve de français était divisée en trois activités au choix entre questions de cours commentaire du texte et dissertation / l’objectif des étudiants était de réussir alors ils récitaient tout par cœur / le prof était le héros de la classe il bavardait devant un public qui ne l’écoutait pas / pas d’interactions pas de place à l’oral dans les manuels de plus ils étaient en décalage avec le vécu des apprenants (…) /

/ les années 90 marquent une période de transition où l’on a anticipé la sortie de nouveaux programmes / on enseignait les mêmes thèmes et les mêmes œuvres comme avant mais la portion du par cœur a diminué (…) /

/ l’année 1998 est l’année de l’enseignement par objectifs / on a remodelé le rôle de l’apprenant pour lui donner les chances de communiquer (…) /

E.2 – 2. (NH2

) : / on a passé de l’enseignement de la grammaire et de la littérature françaises à un enseignement de la langue française en tant que langue / avant l’élève apprenait la vie de Hugo la nature chez Rousseau et le devoir chez Corneille / aujourd’hui on enseigne toujours la littérature mais on insiste plus sur l’aspect fonctionnel de la langue (…) /

Les anciens programmes de français dans le secondaire manquaient de programmation progressive, d’objectifs à atteindre et de planification annuelle des compétences à transmettre. La littérature était et reste d’ailleurs au cœur de l’apprentissage de la langue. Les textes littéraires d’écrivains français étaient d’excellents exemples pour enseigner les mouvements philosophiques, les courants littéraires et pour apprendre la langue raffinée et le registre soutenu. Les anciens programmes de français s’appuyaient sur la littérature française et accordaient peu de place aux réalités du monde actuel et à la diversité littéraire du monde francophone. L’apprenant lisait l’œuvre de Corneille, de Racine, de Chateaubriand, etc. mais, il était incapable de comprendre un article dans un journal ou bien une recette de cuisine. Ce fait donnait l’impression qu’il s’agissait de cours de civilisation et de culture peu utile dans la vie quotidienne. Les enseignants expliquent :

E.1 – 6. (NH1

) : / si nos élèves excellaient en grammaire cela ne veut pas dire qu’ils pouvaient écrire sans faute / on remarquait toujours que ceux-ci avaient des bonnes notes en grammaire ou en conjugaison / MAIS ils étaient vraiment faibles en production écrite / donc ils n’arrivaient pas à exploiter leurs connaissances sur la langue dans des pratiques effectives à l’oral comme à l’écrit / en tant qu’enseignants on n’avait pas les moyens de modifier nos pratiques / avec les NP on enseigne tout à travers le texte / la lecture l’oral la communication le culturel le savoir être / il n’y a plus de séparation rigide entre les activités /

E.4 – 2. (NF1

) : / la réforme est faite pour que la langue soit enseignée en tant que langue / un étudiant apprend la grammaire et la conjugaison pour les exploiter plus tard dans ses pratiques mais je ne pense pas que ça se passe réellement comme ça dans les écoles / dans les petites classes on apprend la conjugaison et on la chante parfois mais l’on n’en sert pas c’et là notre grand problème / il y a des élèves qui ont acquis un bon bagage lexical mais lorsqu’ils veulent s’exprimer ils trouvent une difficulté à rechercher leurs mots à mettre en forme leurs phrases / même la réforme n’a pas résolu ce problème /

Dans une démarche centrée sur l’enseignant, on enseignait la langue française par et pour sa littérature et sa culture générale, ce qui plaçait donc l’oral au

second plan. On accordait davantage de l’importance à la forme littéraire qu’au sens des textes, même si celui-ci n’était pas totalement négligé. La culture était perçue comme un ensemble d’œuvres littéraires et artistiques réalisées dans des pays où l’on parle la langue étrangère donc la France. Pendant cette période, une séparation systématique s’imposait aux activités menées en classe. On consacrait des séances pour la lecture, la grammaire et la conjugaison, la versification, la stylistique et la traduction. L’interaction se faisait toujours en sens unique du professeur vers les élèves. En effet, la mémorisation, l’enseignement de la civilisation et des courants littéraires, de la grammaire et de la conjugaison étaient les grands piliers de l’enseignement-apprentissage du français. Les enseignants étaient conscients de la défaillance de ce système mais ils continuaient à enseigner la langue selon une approche structuraliste en favorisant les connaissances sur la langue aux savoir-faire.

La rigidité de ce système et les résultats décevants qu’il apportait ont contribué à l’adoption de nouveaux programmes en 1997. Si l’on part du nouveau curriculum, l’enseignement-apprentissage du français devra contribuer à former l’apprenant dans les domaines cognitif et culturel, à consolider ses acquis antérieurs et à l’aider à accéder à l’enseignement supérieur et/ou au monde du travail. L’enseignement du français au cycle secondaire doit développer chez l’apprenant francophone une compétence plurilingue et pluriculturelle, une personnalité autonome, et une formation à l’interculturel et à l’altérité. Selon le plan de la Restructuration de la Réforme, les nouveaux objectifs sont les suivants :

Permettre l’accès au plaisir du texte (intellectuel, esthétique),

Permettre la « construction de l’individu francophone » en tant que personne pensante autonome,

Favoriser la connaissance de l’autre (dialogue des cultures),

Découvrir la réalité des valeurs communes à l’ensemble des peuples qui ont en partage, à un titre ou à un autre, la langue française.

Dans cette perspective, cet enseignement se propose de perfectionner les compétences linguistique et communicative et, l’enrichissement de la culture

personnelle de l’apprenant. La réalisation de ces objectifs participe progressivement, avec les autres disciplines, à l’édification de l’être social et national. Les extraits suivants montrent bien la spécificité de ces programmes :

E.1 – 4. (NH1

) : / je crois qu’avec les NP on a commencé à savoir ce que sont les objectifs à atteindre / avant on n’avait pas d’objectifs on enseignait un programme tel qu’il est un livre tel qu’il est / avec les NP l’élève est conscient de ce qu’il va faire / parce que nous avons pris l’habitude en commençant chaque séance de français à l’oral comme à l’écrit de préciser soit la compétence soit l’objectif visé à travers l’activité travaillée / avant dans l’esprit du prof- les choses n’étaient pas très claires /

E.7 – 2. (MF1

) : / après 97 le programme est plus logique abordable et pratique il forme la logique quotidien des élèves / par exemple je pourrais écouter les infos de 8h et en parler le lendemain dans le cours c’est vraiment avantageux / on travaille dans une méthode transversale on trouve les mêmes thèmes dans le cours d’arabe ça facilite la compréhension de plusieurs notions qui sont abstraites en français /

Après la réforme, la mission de l’enseignant est complexe et les objectifs sont multiples. La maîtrise du français à l’oral, en compréhension et en production, devra permettre aux apprenants qui accèdent à l’enseignement supérieur de poursuivre leurs études dans cette langue et à ceux qui accèdent au marché du travail de l’utiliser dans l’exercice de leur profession. Le développement des capacités d’expression et d’analyse devra – conjointement à l’arabe surtout, mais aussi avec la deuxième langue étrangère (l’anglais) – aboutir à la formation d’un apprenant plurilingue, et participera à sa maturation intellectuelle en développant son sens critique, son aptitude à la réflexion autonome, sa capacité de renouveler sans cesse ses méthodes de travail et de pensée.

La réforme a rendu le travail en classe dynamique et animé comme l’explique cette enseignante à Marjayoun, « c’est devenu avantageux et pour l’enseignant et pour l’apprenant ». L’enseignement-apprentissage du français devra contribuer à former chez l’apprenant une culture solidement enracinée dans les réalités nationales et ouvertes aux cultures du monde dans une optique d’instruction qui favorise la connaissance des similitudes et le respect de l’altérité d’où la nécessité d’établir un climat d’échanges et d’interactions pendant les cours. Loin d’être des cours théoriques comme avant, actuellement les cours sont interactifs. Ils se

déroulent dans une ambiance d’échange et de débats (90 % environ) contrôlés par l’enseignant qui doit continuellement évaluer les compétences de son public.

Le graphique suivant donne une idée assez claire de la façon dont se déroulent les cours de français dans cette région du Liban :

Graphique 10 : Déroulement des cours de français du point de vue des apprenants

Les instructions officielles prévoient un enseignement de la littérature, mais aussi l’apprentissage de méthodes d’expression écrite et orale comme la lecture méthodique, le résumé, le compte rendu, la dissertation, les exercices de traduction, etc. D’après mes enquêtés, dans les nouveaux programmes, les points grammaticaux sont abordés dans l’ordre de leur apparition dans les textes à étudier. Les thèmes proposés à travers ces textes permettent d’exploiter la créativité et l’imagination et de l’enseignant et de l’apprenant. Ce dernier prend plus de plaisir à travailler en groupes, à participer aux débats, à demander une explication et à exposer ses idées, etc. En effet, la majorité des apprenants enquêtés reconnait l’importance accordée aux activités communicatives pendant les cours. Par ailleurs, c’est le travail sur le texte littéraire (commentaire, compréhension, lecture et dissertation) qui se taille la part du lion dans ces classes comme le montre le graphique suivant : 0 20 40 60 80 100 120

Graphique 11 : Les activités proposées dans les classes de français par ordre d'importance selon les apprenants enquêtés

Le texte littéraire reste le support le plus privilégié pour l’enseignement du français. Il permet aux enseignants d’une part, d’apprendre à apprendre une langue normative qui est censée approfondir les connaissances grammaticales et d’autre part, d’élargir le vocabulaire de l’apprenant, sans oublier qu’il est le moyen d’épanouissement culturel par excellence. C’est « instruire » et « plaire » en même temps. En passant d’un thème à un autre, d’un mouvement littéraire à un autre, le texte semble être, pour eux, le modèle le plus approprié pour la mémorisation des acquis linguistiques, culturels, littéraires ou grammaticaux. Les nouveaux programmes permettent donc d’exploiter toute une variété de thèmes, de textes littéraires et de documents authentiques adaptés aux préoccupations de la nouvelle génération. Les enseignants enquêtés soulignent la grande nouveauté des nouveaux programmes élaborés en fonction des objectifs bien fixés et bien définis. Pour leur part, les apprenants enquêtés trouvent le programme utile (59 %) mais, il est loin de leur culture (70 %), comme le montre le graphique suivante :

0 20 40 60 80 100 120

Les activités effectuées dans les classes de français par ordre d'importance

Graphique 12 : La perception des programmes de français selon les apprenants enquêtés

Quant aux enseignants, la majorité parmi eux reproche l’aspect « répétitif, sec et ennuyeux » qui marque le choix des textes littéraires à étudier au cycle secondaire. D’autant plus que certains d’entre eux voient dans ce choix tant au niveau qualitatif que quantitatif un véritable appauvrissement du « goût littéraire » supposé être transmis aux élèves. À ce propos ces deux enseignants expliquent :

E.8 – 2. (MF2

) : / les anciens programmes étaient trop littéraires / avec les NP on travaille sur les thèmes à travers des textes littéraires / le grand problème de ces programmes ils sont trop répétitifs et secs pour cela je cherche des textes de l’extérieur du programme pour animer le cours et faire travailler les élèves sinon on tombe dans la monotonie /

E.3 – 2. (NH3

) : / avant 1997 il y avait de la vraie littérature je pouvais enseigner les doctrines littéraires et leurs représentants c’est-à-dire les auteurs avec profondeur / actuellement la situation a changé on travaille sur les thèmes et sur la typologie des textes c’est mieux c’est pratique et fonctionnel / mais le grand inconvénient de ces manuels c’est qu’ils proposent de petits morceaux des textes de Hugo ou de Rousseau par exemple (…) / le choix fait des textes est insignifiant et sans aucune originalité ainsi on est incapable de faire goûter et de goûter la richesse et l’ampleur de la littérature des grands écrivains /

D’après ces enseignants, tout au long de l’année scolaire, le travail des enseignants avec les élèves est planifié. Il suit une certaine routine parce les activités sont les mêmes dans chaque dossier du manuel, ce qui change seulement

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Selon les apprenants enquêtés, le programme de français est :

c’est le thème. Dans ces séances, il s’agit d’un travail sur le fond et sur la forme à titre d’exemple : repérage systématique de champs lexicaux et des procédés énonciatifs, des marques stylistiques et des indices thématiques, commentaire de texte et dissertation. Ce sont généralement les tâches principales envisagées à travers l’enseignement de la littérature en classe. Les textes sont choisis en fonction des activités didactiques que l’on prévoit de proposer et aussi en fonction des thèmes. Je peux citer ces quelques exemples (Mme Bovary pour le thème de l’évasion, Racine et Stendhal pour l’amour, Michel Guillou pour parler de la francophonie, Balzac pour la description, etc.) Du point de vue didactique, il est remarquable que les traces du modèle franco-centré continuent à affecter le système. L’usage fait du texte se rapproche de celui que l’on fait en classe de français langue première (en France).

Ainsi, à travers les différents témoignages des enseignants, l’on constate les différences entre les anciens et les nouveaux programmes. Les nouveaux programmes sont en effet conçus selon une approche qui vise une didactique active et fonctionnelle privilégiant l’acquisition en vue de la communication. Cependant, les contenus d’apprentissage et les pratiques d’enseignement relèvent d’un apprentissage de la littérature, de la grammaire, de l’orthographe, de la dissertation, etc. comme pour une langue première. Certains enseignants découpent toujours la langue en catégories traditionnelles très souvent à la demande des apprenants (généralement peu compétents au cycle secondaire) mais aussi en raison de leur manque de formation.

La prégnance de la demande pour enseigner la « vraie littérature » comme avant relève aussi d’une représentation figée qui illustre une forte charge symbolique attribuée à l’enseignement de la « littérature française ». Dans ce sens, je me permets d’emprunter les mots suivants à Valérie Spaëth pour donner une idée claire des pratiques didactiques qui continuent d’être préservées dans les classes de français au Liban. Malgré les changements qui ont été introduits suite à la réforme, l’on note toujours : « […] l’importance et la difficulté des examens écrits, l’explication de texte littéraire dominante dans le secondaire, la référence absolue à la correction orthographique, l’importance et la place d’une grammaire traditionnelle dans les programmes, même lorsqu’elle est annoncée comme sous-objectif dans l’acquisition

de fonctions langagières. »61 D’où les plaintes de baisse de niveau et du risque de « libanisation » du français enseigné.

Après la réforme de 1997, les objectifs de l’enseignement du français ont changé, les manuels ont été revus et par conséquent, les pratiques éducatives devraient s’adapter à ces modifications. Il est question maintenant d’identifier les mesures qui ont été entreprises pour accompagner les enseignants dans leurs nouvelles tâches.