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Un terme ambigu, constamment en pleine évolution, le mot « francophonie » évoque aujourd’hui des notions très diverses et très contradictoires. Il fait référence parfois à des réalités historiques, géographiques, politiques et linguistiques différentes. Pour certains, la francophonie est le signe d’un passé glorieux et d’un rayonnement universel, alors que pour d’autres, elle représente une longue quête au droit de la différence, pour d’autres encore, elle est le symbole de l’oppression. En ce qui concerne la réalité du lien linguistique que constitue la francophonie institutionnelle, il semble donc que celle-ci est perçue comme un ensemble de peuples ou de communautés qui parlent « partiellement ou entièrement » la langue française dans leur vie quotidienne ou dans leurs communications, ou un ensemble de peuples appartenant ou s’identifiant à une communauté partageant des valeurs censées être véhiculées par le français, et tantôt comme un ensemble de structures institutionnelles regroupant ces populations ou communautés de langue française. Ce qui amène à dire que la diversité des modes d’implantations du français : langue première, langue seconde, langue de l’émigration, langue de la colonisation, langue de culture, etc. joue un rôle important dans la définition du concept de la francophonie, dans les choix didactiques du français, dans les objectifs et les contenus.

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Chiss J.-L. & Cicurel F., 2005, « Cultures linguistiques, éducatives et didactiques », in Beacco J.-C. & alii (Dirs.), Les cultures éducatives et linguistiques dans l’enseignement des langues, Paris, Presses Universitaires de France, p. 6.

Dans cet espace, le français trouve donc son profil dans les usages qu’en font ses locuteurs et dans les attentes des publics d’apprenants. Depuis plusieurs années, la prise de conscience de la francophonie comme une institution non seulement linguistique mais aussi culturelle, à la fois hétérogène et multiple a joué un rôle fondamental dans l’évolution de la didactique de la langue-culture(s) françaises. Par conséquent, dans ce grand espace, connaître les autres et les accepter pour ce qu’ils sont, s’impose comme une nécessité sociale et une finalité du processus éducatif. Ainsi, il semble être évident d’introduire la culture dans les cours de FLE, parce qu’elle, comme le dit Robert Galisson, « […] sert à mieux connaître l’autre et à mieux se connaître soi-même […]. »25

Donc, il n’y a pas d’enseignement des langues vivantes sans contenu socioculturel. En revanche, bien que cette réalité s’avère évidente, il est aussi certain que le fait de déterminer les composants socioculturels à retenir dans cet apprentissage constitue une tâche complexe. Dans ce domaine, l’on ne dispose pas d’une « grammaire culturelle » de référence ainsi, selon Jean-Claude Beacco « tout contenu culturel est légitime »26. Mais, il demeure indispensable d’opérer des sélections de tel ou tel objet culturel que doit contenir le manuel qui demeure l’outil le plus exploité dans les classes de langues. Les orientations méthodologiques des manuels et leur contenu éducatif sont représentatifs des politiques linguistiques et idéologiques du pays. Elles sont soumises aux priorités pédagogiques dominantes et elles devraient généralement répondre aux attentes et aux demandes sociales du public.

Quelle que soit la nature du contenu culturel de ces manuels, il ne s’agit pas de donner à l’apprenant la compétence culturelle du « natif », puisque l’enseignement-apprentissage d’une langue étrangère et l’acquisition d’une compétence communicative relèvent d’un processus de socialisation tenant compte de la langue première de l’apprenant, de son identité et de son environnement social bref du contexte socioculturel dans lequel cet acte prend place. À côté d’une compétence communicative, l’on entend construire une compétence culturelle et

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Galisson R., 1995, « En matière de culture le ticket AC-DI a-t-il un avenir ? », in Études de Linguistique Appliquée, N°100, p. 89.

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Beacco J.-C., 2000, Les dimensions culturelles des enseignements de langue, Paris, Hachette Livre, p. 66.

interculturelle, et l’objectif est donc d’enseigner la langue/culture étrangère pour communiquer avec l’Autre et mieux le connaître.

Dans cette perspective, l’apprenant devrait être amené à une réflexion lui permettant de comprendre et d’interpréter la société étrangère, et de relativiser son propre système de références. Les documents authentiques s’avèrent très utiles afin de pousser l’apprenant à formuler des hypothèses sur les raisons qui conditionnent les habitudes et les comportements d’autrui. Les textes littéraires constituent ainsi une ressource incomparable dans le choix des documents didactiques, par leur « qualité informative ». De nombreux chercheurs27 estiment que pour enseigner à la fois l’aspect linguistique et la composante culturelle, il faut passer par la littérature qui représente la meilleure ethnographie de la culture d’un pays et que, pratiquer la littérature c’est étudier à la fois la langue et le contenu. D’autant plus que la polysémie du texte littéraire permet à l’apprenant de se distancier, de se méfier des évidences et de relativiser ses représentations. Louis Porcher et Martine Pretceillle considèrent la littérature comme « un lieu emblématique de l’interculturel ».

Le texte littéraire a retrouvé, depuis quelques années, une place notable dans les manuels de FLE. Mais ces textes et leur utilisation en classe véhiculent des implicites qui peuvent avoir des conséquences sur l’apprentissage des apprenants, sur leur motivation et sur les représentations qu’ils se font de la langue et de la culture enseignées. De ce fait, en didactique des langues, le rapport langue/littérature ne peut être dissocié du débat langue/société/littérature. C’est ainsi que l’enseignement du français, littérature ou pas, ne peut pas être pensé indépendamment du contexte social, politique, économique et culturel des apprenants.

Donc, quel texte choisir et quel auteur proposer ?

Si d’un point de vue géographique et géopolitique, l’ampleur de l’espace francophone est considérable, d’un point de vue culturel, les écrivains qui y appartiennent, sont multiples. Les littératures francophones sont avant tout la manifestation culturelle qui remet en question le concept d’identité, voire même, le

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concept de « littérature ». De ce fait, qu’est-ce qu’un écrivain francophone ? Qu’est-ce qui fait qu’une œuvre littéraire de langue française soit considérée comme « francophone » de façon distinctive ? Comment lire des textes dont la langue d’écriture est le français, mais qui parlent d’autres lieux et d’autres cultures qui ont une pratique du français à la fois proche et lointaine de la nôtre ? Et, quelles finalités spécifiques assigner à l’enseignement-apprentissage de la littérature francophone ?