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Les apprenants de français au sud du Liban, pour une typologie des profils Dans les quatre arrondissements du département de Nabatieh, la situation

CHAPITRE IV TEL CONTEXTE, TELS APPRENANTS, TELLES

3. Les apprenants de français au sud du Liban, pour une typologie des profils Dans les quatre arrondissements du département de Nabatieh, la situation

d’enseignement-apprentissage du français est décrite dans les mêmes termes. Les difficultés évoquées par les enseignants dont les répercussions se manifestent par un désintérêt du public pour le français, par une baisse de leur niveau, par un abandon massif de cette langue à l’université et l’adoption de l’anglais comme langue d’études, relèvent relativement des mêmes facteurs. En répondant à ma question sur les ressources qui auraient pu faciliter l’apprentissage du français dans la région du sud, l’un des professeurs à Bent Jbeil déclare :

E.5 – 48. (BH1

) : / ici il n’y a pas de facilité pas de centre culturel pas de bibliothèque c’est l’école qui doit fournir un milieu favorable pour apprendre la langue mais malheureusement nous sommes très en retard (…) / tout ça ce n’est pas de notre faute on était dans le réfrigérateur pendant une vingtaine d’années et quand on allait à Beyrouth pour suivre des formations on avait beaucoup de difficultés pour passer les frontières / Bon ça fait 8 ans qu’on a récupéré notre liberté mais rien n’a changé /

Les régions de Hasbaya situé à 114 km de Beyrouth et de Bent Jbeil à 98 km de la capitale semblent les plus affectées par ces problèmes en raison entre autres de leur éloignement géographique du centre du département, Nabatieh, de la capitale, et des conditions de vie déplorables vécues pendant l’occupation et dues à l’occupation. Pendant cette période, le français dans la région de Marjayoun n’a pas subi les mêmes difficultés, en raison de la présence des missions religieuses qui ont continué à assurer son enseignement dans leurs écoles privées. Rappelons à cet effet qu’une grande communauté chrétienne réside dans cette région.

Il est évident que la situation extérieure de la classe de langue c’est-à-dire le contexte socioculturel des apprenants influence les pratiques de classe et participe à la construction de motivations des apprenants. Même si une grande partie de la « culture scolaire » des apprenants libanais se vit en français, puisqu’il est à la fois

au centre des apprentissages et sert de véhicule à d’autres disciplines notamment scientifiques, cette langue reste scolaire et livresque. Il n’est pratiqué que dans les limites de la classe et dans de rares occasions à l’extérieur. En répondant à ma demande d’établir un état des lieux de la situation du français et d’établir un profil général des apprenants de cette langue dans chacune des régions enquêtées, les enseignants témoignent :

Pourriez-vous dresser un profil général des apprenants libanais ? Y a-t-il des particularités caractérisant ceux du sud ?

Dans quelles circonstances de la vie quotidienne, ces apprenants sont-ils appelés à se servir du français ?

E.1 – 34. (NH1

) : / à Nabatieh le français appris à l’école n’est pas utilisable / l’apprenant ne peut pas en tirer profit immédiatement dans la vie quotidienne / dans les situations de la vie quotidienne nos élèves n’ont pas vraiment besoin de français même pour le petit « bonjour » du matin < ! >

E.5 – 28. (BH1

) : / à Bent Jbeil les étudiants ont peur d’utiliser le français l’anglais est plus abordable / au Sud on souffre tous des mêmes problèmes de langue / MAIS en tant que chrétiens le français est largement présent dans nos discussions même si nous sommes pas compétents on aime bien parler en français / on n’a plus de liens ni historiques ni religieux avec la TENDRE MERE franchement je ne sais pas pourquoi les chrétiens parlent français entre eux /

E.8 – 26. (MF2

) : / à Marjayoun les étudiants n’ont pas de bonnes bases en français / on souffre de beaucoup de difficultés / on n’accorde pas beaucoup d’importance aux langues et on déteste le français / ici il y a plusieurs sociétés / des quartiers où on parle très bien le français dans d’autres le français est complètement absent /

E.10 – 32. (HF1

) : / Hasbaya représente un milieu rural / le français est complètement absent / aucune circonstance malheureusement en dehors des frontières de la classe et de la séance de français ne nécessite l’emploi de cette langue /

Dans les quatre arrondissements du département de Nabatieh, les possibilités d’utilisation de la langue française au quotidien sont très limitées. Cette cartographie de la situation élaborée par les enseignants montre d’une part, la diversité des pratiques linguistiques et d’autre part, la pluralité des appartenances identitaires, sociales et religieuses dans chacune des régions enquêtées à tel point qu’il est difficile d’identifier les liens qu’entretiennent les habitants de cette région

avec la langue française. Il faut signaler que cette langue, « première » pour une petite minorité et « non étrangère » pour la grande majorité, bénéficie d’un statut spécial et privilégié que ce soit à l’école en tant que langue enseignée/d’enseignement ou bien dans certaines situations communicatives de la vie quotidienne (familles chrétiennes, familles francophones immigrées de retour au Liban, parents francophones, contact avec des touristes).

Il faut insister sur l’idée qu’il n’existe plus, aujourd’hui au Liban, de limites confessionnelles ou géographiques au choix des langues d’apprentissage et à leur usage aussi bien dans les milieux musulmans que chrétiens. Ces derniers, résidant essentiellement dans les régions de Marjayoun et de Bent Jbeil, entretiennent toujours des rapports privilégiés avec la langue française et ils continuent à être considérés comme des locuteurs francophones. Dans la mesure où, traditionnellement, le français est considéré comme le produit culturel des rapports historiques de la France avec les chrétiens du Liban, les pratiques bilingues (arabe-français) sous ses deux formes (alternance codique et mélange des codes) sont très récurrentes dans leur vie quotidienne. D’autant plus que depuis quelques années, la communauté musulmane (notamment les chiites), contribue également à dynamiser la francophonie dans cette région parce que, de retour au Liban après un long séjour en Afrique francophone, les familles ont ainsi favorisé en 1997 l’ouverture d’un lycée franco-libanais dans le sud du pays dans la ville de Nabatieh précisément.

Si l’on entendait dans la cour des lycées franco-libanais des petites discussions en français comme celui de Nabatieh, à quelques kilomètres de là, dans un lycée public, on discute en arabe (libanais) truffé de quelques mots étrangers. À titre d’exemple le mot « bonjour » qui se répète régulièrement dans les conversations quotidiennes. Celui-ci a subi quelques transformations survenues à son usage dans des circonstances très variées. Il est devenu [ bonjourak ] : selon mon interprétation, le [ ak ] ajouté renvoie à la deuxième personne du singulier (tu). Il est plutôt utilisé entre amis, il signifie littéralement « bonjour à toi ». Sans oublier la fameuse expression libanaise « [ Hi [ kifak ] (comment vas-tu ?) Ça va ? ] ». Ce genre de mélange ou d’alternance abonde et se reproduit tellement dans les conversations que certains les considèrent comme des mots appartenant à l’arabe dialectal (le libanais).