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CONTEXTE(S), PRATIQUES DIDACTIQUES ET REPRÉSENTATIONS

3. Nouveaux programmes, nouveaux enseignants

Dans les programmes et instructions communes à l’ensemble des langues, l’objectif communicatif est devenu premier au-delà de l’objectif culturel qui naturellement vaut beaucoup. On apprend une langue pour s’en servir, les contenus de la langue-cible sont donc à sélectionner en fonction d’intentions pragmatiques. Face à tous ces changements, comment enseigne-t-on le français au Liban après la réforme de 1997 ? C’est ainsi que les enseignants ont été interrogés sur la nature des formations initiale et continue suivies après la réforme :

Avez-vous suivi des formations suite à la réforme de 1997 ? Expliquez

(durée, contenu, formateurs)

En répondant à cette question, une enseignante à Hasbaya déclare : « on ne peut pas enseigner aujourd’hui comme l’on faisait dans les années 1990, s’auto-former ne suffit pas pour atteindre les nouveaux objectifs de la réforme. » Dans ces propos, il ne s’agit en effet que d’une simple évidence. En insistant non seulement sur l’importance de renouveler les programmes et les objectifs d’enseignement-apprentissage du français, cette enseignante exprime implicitement la nécessité d’adapter les pratiques didactiques au contexte particulier dans lequel cet enseignement se déroule. Elle pointe également du doigt la nature même des formations suivies par les enseignants, leur contenu, leur durée et leur degré d’efficacité. La réforme de 1997 valorise dans ses objectifs l’aspect communicatif de

61 Spaëth V., 2005, « Le français langue seconde et sa fonction d’enseignement en Afrique francophone: Problèmes et perspectives », in Beacco J.-C, (Dirs.) & alii, Les cultures éducatives et linguistiques dans l’enseignement des langues, Paris, Presses Universitaires de France, p. 188.

la langue, la prise de conscience de la dimension culturelle de l’apprentissage et le développement de compétences plurilingues chez les apprenants. À ce propos, plusieurs questions s’imposent : comment enseigner pour atteindre ces objectifs ? Comment faire avec les ressources et les moyens du bord ? Quel discours adopter et quels savoirs transmettre ? Autant d’autres questions que se posent les enseignants tout au long de leur parcours professionnel et auxquelles il est difficile de trouver des réponses dans les textes officiels.

En effet, la tâche que doit assumer les enseignants s’avère assez complexe. Les nouveaux objectifs fixés par les nouveaux programmes nécessitent un travail sur des savoirs et des savoir-faire, certes, mais également des savoir-être. Sans oublier que ces changements exigent un travail d’actualisation et une mise à jour du bagage culturel, linguistique et didactique de l’enseignant lui-même. Dans une société marquée par la pluralité, la diversité, la mobilité et le changement voire l’évolution des enjeux politico-socio-économiques, la formation des enseignants fait constamment l’objet de nos questionnements. Bien au-delà de sa fonction de transmetteur de savoirs linguistiques et culturels, l’enseignant de langue/culture, tout en faisant partie de la configuration complexe de la société, est à la fois un acteur social et un citoyen. Il est ainsi formateur des élèves c’est-à-dire des acteurs sociaux eux-mêmes, citoyens et plurilingues en devenir. L’enseignant est donc « […] mandaté par la société pour éduquer et former les élèves à la pluralité linguistique et culturelle. À ce titre, c’est à lui qu’incombe en partie la responsabilité de préparer les jeunes générations à prendre leur place, à vivre et à agir dans la société […]. »62

Il me semble que toute formation ne doit pas être envisagée indépendamment des enjeux contextuels de l’activité d’enseignement-apprentissage des langues. Toutefois, il faut admettre avec V. Castellotti et de M. De Carlo, que quelles que soient la forme et la durée de cette formation, elle « […] ne pourra jamais combler la totalité des exigences que comporte le travail du terrain. »63 En effet, le Liban ne connaît pas un modèle uniforme et homogène de l’enseignement-apprentissage du français parce que dans chacune de ces régions, l’on a affaire à un public particulier ayant des attentes et des demandes spécifiques. Cependant, la

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Matthey M. & Simon D-L, 2009, « Altérité et formation des enseignants : Nouvelles perspectives », in Lidil, N°39, p. 5

63

Castellotti V. & De Carlo M., 1995, La formation des enseignants de langue, Paris, CLE international, p. 21.

diversité du public tant sur le plan culturel que linguistique et social que l’on peut rencontrer sur le terrain libanais n’est pas souvent prise en compte dans les formations proposées aux enseignants. À ce propos, un enseignant à Nabatieh s’exprime :

E.2 – 4. (NH2

) : / pour moi il n’y a pas un seul contexte libanais mais des contextes / par rapport à la surface géographique du pays la diversité est étonnante les modes de vie les idées les cultures et les attentes en matière d’apprentissage du français sont très variées / ainsi ce qui est valable à Nabatieh ne pourrait l’être dans les autres régions / dans chacune des régions on a affaire à un public très diversifié et les problèmes auxquels l’on doit faire face dans les classes ne sont pas les mêmes / les formateurs ne peuvent pas donner de recettes magiques pour chacune des régions mais au moins ils peuvent attirer l’attention des enseignants sur ce point parce que je ne peux pas enseigner le français dans les villages de Hasbaya comme je le fais dans la ville de Nabatieh /

Ainsi, il est difficile d’identifier des modèles de référence communs et universels de formation qui seraient indispensables pour fournir et maintenir les compétences didactiques, professionnelles, pédagogiques et linguistiques dont doivent disposer les enseignants de langues aujourd’hui. Il faut admettre toutefois comme le montre M. Cavalli que « formation initiale et continue concourent, de façon complémentaire, à construire les fondements du développement professionnel : la première en équipant les futurs enseignants des compétences de base nécessaires à leur professionnalisme, […] la seconde visant la mise en pratique, au niveau de l’enseignant, de la dimension « apprendre à apprendre » tout au long de la vie […]. »64 Les enseignants enquêtés expriment à l’unanimité leur mécontentement envers les formations suivies. La majorité d’entre eux a été confrontée à la réalité de la classe sans aucun accompagnement et sans aucun entraînement. N’ayant pas suivi de stages ou de formations à la didactique pendant ou bien à la fin de leurs études universitaires, ces enseignants ont appris leur métier sur le tas, à travers la pratique dans une approche « test-essai-erreur », et très souvent en s’appuyant d’une manière inconsciente ou consciente sur des modèles déjà intériorisés de leur propre expérience personnelle en tant qu’anciens apprenants.

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Cavalli M., 2005, Éducation bilingue et plurilinguisme. Le cas du Val d’Aoste, Paris, Crédif Didier, p. 258.

Ces enseignants dénoncent l’absurdité de ce système qui manque de cohérence entre les instructions officielles très ambitieuses et les moyens à disposition très modestes voire inexistants. Une fois diplômé, ce système perçoit l’enseignant comme un être universel aux compétences multiples présupposées acquises facilement dès son entrée en fonction, c’est-à-dire, un enseignant qui connaît tout. En réalité, les enseignants libanais sortant de l’université sont loin d’être préparés à affronter la réalité du terrain.

Interrogés sur le contenu de leur cursus universitaire qui est censé les amener à leur métier d’enseignant de français, les enseignants enquêtés confirment, dans leur majorité, que l’université dispense généralement un savoir traditionnel, magistral et théorique. Face aux matières-piliers de leur spécialité littéraire que sont la littérature, la civilisation, la linguistique, la grammaire et la traduction, la place de la didactique et de la pédagogie est très minime. À l’université, l’objectif est de cumuler un maximum de connaissances générales et un savoir brut qui seront en partie inutilisables dans l’avenir en raison de leur inadaptation aux exigences du métier. En un mot, je peux résumer la situation en empruntant ces mots à M. Quivy : « [ à l’université ] là où nous devrions offrir en amont des modèles didactiques d’enseignement ouverts mettant le futur enseignant en mesure de connaître ou reconnaître son propre mode de fonctionnement et de l’affiner par la suite, nous n’offrons souvent que des plateaux chargés de savoirs stérilisants car inutilisables par faute de réflexion sur les modes de leur transmission. »65 À leur façon, les enseignants témoignent :

E.7 – 6. (MF1

) : / en fait j’ai fait ma scolarité dans une école privée / j’ai un bon niveau en français et je travaille continuellement sur ma langue mais je précise que notre diplôme ou bien la licence en littérature française ne nous prépare pas à être enseignants de français / à l’université on apprend la littérature la stylistique et la linguistique mais on ne nous apprend pas comment enseigner le français en tant que langue / ou comment faire apprendre à parler cette langue / comment gérer la classe et les difficultés des apprenants (…) personnellement j’aurais aimé être mieux orientée dès le début au lieu de perdre le temps à tout découvrir dans les premières années de mes expériences d’enseignant /

65 Quivy M., 1998, « Comment concevoir une véritable formation didactique pour l’enseignant de langues », in Études de Linguistique Appliquée, N°111, p. 353.

E.8 – 4. (MF2

) : / personnellement je peux toujours exploiter ce que j’ai appris à la faculté dans la préparation des cours surtout pour développer des informations sur la civilisation et les courants littéraires / et pour expliquer les méthodes de dissertation et du commentaire composé / mais j’avoue que les cours académiques ne nous proposent pas de solutions pour remédier aux problèmes qu’on rencontre tous les jours avec les élèves / il n’a y a pas de formation initiale à l’université /

Pour les enseignants enquêtés, la formation universitaire initiale qui est censée ouvrir la voie et donner aux futurs enseignants un aperçu de ce que sera leur métier existe mais, elle est de nature académique. Elle est centrée sur les contenus à transmettre que sur les modes de préparation de l’enseignant à ses tâches réelles : maîtriser l’angoisse de la première rencontre, gérer les problèmes quotidiens dans la classe (démotivation, des apprenants, indépendance envers la présence du professeur, peur de la langue, etc.) Selon mes enquêtés, tous ces aspects devraient être pris en compte lors d’une formation initiale, parce que « être formé en tant qu’enseignant ne signifie pas simplement acquérir des connaissances ou maîtriser des techniques, mais aussi opérer une transformation personnelle, développer des comportements et des attitudes, prendre conscience des problématiques du métier pour le choir en connaissance de la cause. »66

Concernant la formation continue, il faut préciser qu’au Liban, les enseignants ne reçoivent pas d’offres de formation mais des convocations. D’ailleurs, la formation suivie ne débouche ni sur une récompense ni sur une promotion et n’a pratiquement que peu de répercussions sur sa pratique professionnelle puisque les responsables scolaires ne cherchent pas systématiquement à en vérifier le suivi. Dans ce sens, les enseignants expliquent :

E.5 – 6. (BH1

) : / après la réforme les formations n’étaient pas suffisantes en termes de durée de qualité et de motivation des enseignants qui sont très souvent timides et ont peur des changements / (…) pour eux c’est un travail supplémentaire où il n’y a rien à gagner / de plus ils n’étaient pas convaincus de l’utilité de ces formations où il s’agit de cours de mise à niveau linguistique / ce n’étaient pas des formations ni sur les nouvelles techniques ni sur les nouvelles modalités d’enseignement / après la réforme les anciens profs- ont gardé leurs méthodes et les jeunes n’ont pas reçu ce qu’il faut pour les épauler dans leur métier /

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Castellotti V. & De Carlo M., 1995, La formation des enseignants de langue, Paris, CLE international, p. 106.

E10. – 6. (HF1

) : / au niveau du cycle secondaire les formations n’étaient pas du tout suffisantes / en 1998 on a suivi une seule formation de cinq jours pour nous donner une idée générale sur les nouveaux programmes / ces formations portaient sur la comparaison théorique entre les nouveaux et les anciens programmes et en partie sur le contenu du curriculum et les objectifs généraux / il y avait une terminologie tout à fait étrangère pour les enseignants objectifs spécifiques objectifs généraux compétences transversales diagnostic etc. / en cinq jours on n’avait pas le temps d’expliciter toutes les nuances pour cela jusqu’à maintenant l’enseignement du français n’est pas fructueux et n’est pas à la hauteur des objectifs / on aurait aimé avoir des suivis au cours de ces dernières années surtout sur l’évaluation mais depuis 98 il y a eu des petits suivis d’un seul jour tous les ans /

À travers les différents témoignages des enseignants, l’on peut donc comprendre que la formation continue sous sa forme de stage soit généralement perçue par les enseignants comme une obligation. Ainsi, le peu de formations assurées par les différents organismes éducatifs au Liban n’ont pas remédié aux difficultés persistantes chez les enseignants pour cela, l’explication linéaire (traduction) des textes littéraires domine dans le cycle secondaire, la référence absolue à la correction orthographique, l’importance et la place de la grammaire normative dans les programmes sont majeures. Quant à la durée de ces formations, dans l’ensemble elle est jugée « insuffisante ». Elles se déroulent sur une durée totale de quelques jours ainsi, les enseignants n’auraient pas le temps ni d’approfondir les contenus disciplinaires et didactiques nécessaires ni d’exploiter le temps de ces formations considérées comme des « stages » pour apporter leur propre réflexion sur la pratique professionnelle.