• Aucun résultat trouvé

S’INTERROGER SUR L’ENSEIGNEMENT– APPRENTISSAGE DES LANGUES AU LIBAN

1. Le paysage sociolinguistique au Liban

1.2.2. Les locuteurs francophones au Liban, chiffres et statistiques

Rares sont les études statistiques fiables qui permettent d’avancer des indications précises sur la place qu’occupe le français actuellement au Liban. Dans une étude publiée en 1996 dont les résultats sont parus dans l’ouvrage collectif Anatomie de la francophonie libanaise sous la direction de Sélim Abou et Katia Haddad, il ressort des résultats très révélateurs. Contrairement à ce que l’on a tendance à croire, le français n’est pas réservé à une seule classe sociale ou à une seule communauté. Selon cette étude 49 % des libanais âgés de (15-24) ans ont « un français moyen », avec une supériorité significative de la population féminine. Les plus importants taux de connaissance du français se rencontrent parmi les tranches jeunes de la population. Cela indique que le français n’est pas la langue des générations d’avant-guerre, mais que la jeunesse libanaise, tout en s’intéressant de plus en plus à l’anglais, ne délaisse pas le français pour autant.

Les « meilleurs francophones » sont très nombreux parmi ceux qui exercent une profession libérale ou qui sont cadres supérieurs, mais ils sont également majoritaires parmi les cadres moyens et les employés (plus de 80 % des professions libérales et des cadres moyens et supérieurs ont une bonne maîtrise du français, mais ce pourcentage reste supérieur à 60 % parmi les salariés). Si les francophones sont majoritaires au sein des communautés confessionnelles chrétiennes (maronites, grecs-orthodoxes, grecs-catholiques) à la différence des communautés confessionnelles musulmanes, la francophonie de bon niveau augmente dans toutes les communautés entre les (15-19) ans et les (30-49) ans, particulièrement dans la communauté musulmane chiite (+ 11,3 %) en raison du retour massif de la population chiite immigrée en Afrique francophone. Cette augmentation est aussi nette dans la communauté grecque-orthodoxe (+ 26,3 %). Parallèlement, on note une progression de l’enseignement du français dans les zones druzes, traditionnellement anglophones, où de nombreux établissements anglophones ont ouvert des sections francophones. Néanmoins, il apparaît qu’il existe de grandes disparités régionales dans la connaissance du français: 47,2 % de « bons francophones » à Beyrouth contre 27,5 % au Liban-Sud.

La place qu’occupe le français lorsqu’on se déplace est assez variable suivant les lieux, l’appartenance communautaire, sociale et professionnelle, selon les sujets de discussions et même tout simplement selon les circonstances de la vie quotidienne. En effet, même si la communauté chrétienne demeure historiquement la locutrice la plus active de cette langue et la plus attachée à la francophonie, S. Abou suppose en 1994 que « […] le passage à l’anglais de certains milieux chrétiens résulte-il, d’une certaine déception occasionnée par la politique de la France durant la guerre […]. »38 Ces communautés ont reproché à la France son absence et son retrait de la scène politique libanaise durant la guerre civile dans les années allant de 1975 à 1990.

Par ailleurs, toujours selon l’Anatomie de la francophonie libanaise, l’on constate une pratique assez équilibrée du français dans l’ensemble des autres communautés et une forte demande qui se manifeste chez les chiites par exemple. Cela illustre la conviction des Libanais de conserver le français comme un élément actif de leur patrimoine culturel. Cependant, les conclusions principales de cette étude viennent d’affirmer que toutes les communautés, à des taux variant entre 62 et 67 %, s’accordent à reconnaître que l’anglais est la langue la plus utile pour l’avenir du pays.

Des études effectuées en (2000-2001) par la Commission des affaires culturelles du gouvernement français39 montrent que les « vrais bilingues » (français) représenteraient 28,5 % de la population, alors que les bilingues arabe-anglais seraient 14 %. Par ailleurs, 73 % des bilingues (arabe-français) connaîtraient également l’anglais. Il s’agirait d’un trilinguisme presque diglossique où l’arabe serait utilisé à la fois comme langue première et comme langue vernaculaire, le français servant essentiellement comme langue de culture et l’anglais comme langue fonctionnelle pour les échanges et le travail.

38

Abou S., 1994, « Les enjeux de la francophonie au Liban », in Abou S. & Haddad K. (Dirs.),

Une francophonie différentielle, Paris, L’Harmattan, Université Saint-Joseph, p. 417.

39

Commission des affaires culturelles, 2000, La mission d’informations sur les relations culturelles, scientifiques et techniques de la France avec le Liban, la Syrie et la Jordanie, Rapport d'information, N°52 , Paris, Sénat français, http://www.senat.fr/rap/r00-052/r00-052_mono.html, page consultée le 2 février 2008.

1.3. L’anglais

L’anglais n’a pas de statut officiel dans le pays. C’est l’une des deux langues étrangères obligatoires à l’école. Il a été implanté au Liban par des missionnaires chrétiens anglo-américains à partir de la deuxième moitié du XIXe siècle. C’est la langue de l’enseignement dans les écoles anglophones. L’anglais n’était pas parlé en famille comme le français. Il semblerait qu’il a commencé à s’imposer de plus en plus au Liban à partir des années 1970, dans le cercle familial, notamment chez les musulmans sunnites ayant fait des séjours dans les pays arabes du Golfe. Actuellement, cette langue est particulièrement convoitée à l’université, elle s’impose en tant que langue de travail et de technologie.

La perception de l’anglais comme une langue plus facile que le français est une idée très répandue au Liban et depuis plusieurs années comme l’affirmait cette remarque de Abdallah Naaman dans les années 1979 : « certains renoncent de plus en plus à poursuivre leurs études en français et se ruent sur les établissements anglo-américains parce que ‘l’anglais est plus facile’, les diplômes plus accessibles et les débouchés plus sûrs. Nous assistons à un duel franco-anglais. »40 Ainsi, les parents ont tendance à orienter leurs enfants vers une école francophone au début de leur scolarisation afin d’acquérir un bon bagage linguistique et culturel en français, lequel faciliterait plus tard l’apprentissage de l’anglais. En ce qui concerne les débouchés, les diplômés de l’Université Américaine et des universités anglophones en général sont demandés sur le marché du travail au Liban aussi bien que dans les pays arabes du Golfe, au Canada et en Australie alors que leurs collègues francophones trouvent les marchés de ces pays fermés s’ils sortent uniquement bilingues arabe-français.

1.4. L’arménien

L’arménien qui fait également partie du paysage linguistique libanais est présent là où résident les communautés libanaises arméniennes. Cette langue est pratiquée en famille par les membres de cette communauté. Les Arméniens sont minoritaires. Ils représentent environ 4,9 %41 de l’ensemble de la population

40

Naaman A., 1979, Le français au Liban, essai sociolinguistique, Paris, Édition Naaman, p. 7.

41

Leclerc J., 2010, « Liban », in L’aménagement Linguistique dans le monde, Université Laval-Québec, http://www.ulaval.ca/axl/asie/Liban.htm, page consultée le 20 mars 2010.

libanaise. Ils se sont réfugiés au Liban dès 1920 à la suite des persécutions ottomanes. Politiquement, ils sont représentés dans le gouvernement libanais, cependant leur langue ne fait pas partie des langues enseignées dans les programmes scolaires. Les Arméniens ont leurs propres établissements scolaires et universitaires (privés) financés par leur communauté. Il est important de noter que l’arabe n’est enseigné dans leurs établissements scolaires que depuis les années 1960, langue jugée fondamentale pour l’insertion des membres de cette communauté dans la société.

Il est important de préciser que le Liban représente une véritable mosaïque ethnique, sociale, culturelle, religieuse, politique et linguistique. La population42 du pays comporterait environ 85 % de Libanais, 12 % de Palestiniens et 3 % de Syriens. Les groupes ethniques sont au nombre de 22 (au moins). Les communautés d’origine du Liban sont les Arabes libanais (70,1 %), les Druzes (10,1 %), les Arméniens (4,9 %), les Alawites (2,8 %), les Chaldéens (0,5 %), les Araméens (0,1 %), les Assyriens et les Juifs. Tous les autres sont des communautés immigrantes : Palestiniens, Égyptiens, Syriens, Français, Irakiens, Américains, Kurdes, Turcs, etc. Si l’arabe libanais est commun à l’ensemble de la population, plusieurs communautés ont leurs propres langues et leurs propres pratiques linguistiques (les Kurdes, les Arméniens) et leurs propres préférences pour les langues étrangères. Les Palestiniens apprennent l’anglais par exemple alors que les Arméniens sont plutôt francophones. Cette configuration socioculturelle complexe et hétérogène a joué un rôle essentiel dans le développement et la diffusion des différentes langues étrangères notamment de français dans la société.