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Le renforcement du lien entre citoyenneté et droits électorau

Dans le document La citoyenneté administrative (Page 90-93)

Le processus de « déclassement des droits de citoyenneté en droits de l’homme »52 entraîne pour conséquence un recentrage de la citoyenneté sur les droits politiques, et plus précisément sur les droits électoraux. Commencé très tôt, ce processus se manifeste, dans les écrits juridiques, par la réduction du contenu juridique de la citoyenneté au droit de vote et à l’éligibilité.

50. Il faut ajouter que, depuis la loi du 22 mars 1831 (art. 9), l’âge fixé pour faire partie de la garde nationale est inférieur à la majorité requise pour être citoyen.

51. Michel Troper indique à ce propos que l’apparition du concept de nationalité à la fin du XIXe siècle a eu pour effet de faire réapparaître sous une autre forme la distinction entre citoyen actif et citoyen passif, ces derniers regroupant indistinctement les étrangers et les nationaux exclus de la citoyenneté « politique », la nationalité étant ainsi « un concept dont la fonction réelle n’est pas tant de distinguer les Français des étrangers, que de distinguer les Français entre eux » (TROPER (M.), « La notion de citoyen sous la Révolution française », in Études en l’honneur de Georges Dupuis. Droit public, Paris 1997, LGDJ, p. 322).

52. MEZGHANI (A.), « Nationalité et citoyenneté », in Académie internationale de Droit Constitutionnel, Douzième session. Le Citoyen et la Constitution. Tunis 1996, Toulouse 1998, Presses de l’université des sciences sociales de Toulouse, p. 265.

C’est en réalité dès la période de construction juridique de la citoyenneté que se trouve en germe l’assimilation des droits du citoyen aux droits strictement politiques. La Constitution de l’an VIII, dont on a souligné plus haut le rôle fondamental dans l’élaboration de la citoyenneté, indiquait à son article 2 que le « citoyen français » était « tout homme qui, âgé de vingt et un ans accomplis, s’est fait inscrire sur le registre civique de son arrondissement ». Or les registres civiques sont rapidement abandonnés. La doctrine et la jurisprudence auraient pu en déduire que la seule condition pour devenir citoyen était d’avoir acquis l’âge prescrit, puisque l’inscription sur les registres civiques devenait matériellement impossible ; tel n’est pas exactement le cas, puisque si le défaut d’inscription sur les registres civiques n’entraîne pas l’impossibilité d’être citoyen, « on n’en doit pas moins réputer non citoyens […] ceux qui, s’ils étaient inscrits de fait sur les registres civiques, seraient réputés ne l’être pas, par la raison qu’ils se trouveraient en état de minorité, de faillite, d’accusation, de contumace, de domesticité ou d’interdiction »53

. En réalité, le registre civique va, pour la doctrine du XIXe siècle, être progressivement remplacé par les listes électorales, notamment à partir de 184954. La seule preuve tangible de la possession de la qualité de citoyen étant ainsi un document lié aux seuls droits électoraux, une identification progressive sera effectuée entre ces derniers et la notion même de citoyenneté.

On retrouve le même glissement à la fin du XIXe siècle, lors de la modification apportée à l’article 7 du Code civil par la loi du 26 juin 1889 relative à la nationalité55. Depuis cette date, l’article 7 dispose que « l'exercice des droits civils est indépendant de l'exercice des droits politiques, lesquels s'acquièrent et se conservent conformément aux lois constitutionnelles et électorales », l’expression « droits politiques » étant substituée à celle de « qualité de citoyen ». Présentée comme une précision nécessaire apportée à la rédaction de 1804 jugée défectueuse56, cette réforme n’en est pas moins très révélatrice de l’évolution respective des droits civiques et des droits politiques. La loi dans laquelle s’insère cette modification est issue d’une proposition d’Anselme Batbie57 formulée en 188258 : son esprit général est l’introduction du jus soli qui se substitue progressivement au jus sanguinis ; il s’agit par conséquent d’une extension importante de la nationalité française59, mais surtout de sa « territorialisation ». Curieusement, alors que les dispositions relatives à la nationalité, qui modifient les articles 8 et suivants du Code, sont l’occasion de débats passionnés, la modification apportée à l’article 7 ne fait l’objet d’aucune discussion, quelle que soit l’assemblée qui l’examine et la période de cet examen. Elle n’était d’ailleurs pas présente

53. MERLIN, Répertoire, préc., 5e éd. 1927, art. Témoin instrumentaire. Le répertoire fait référence à un arrêt de la Cour royale de Bourges (19 août 1824, Journal des Audiences de la Cour de cassation, 1825, II, p. 62), qui juge que la non-inscription sur les registres civiques résulte d’un défaut de diligence de l’État. 54. L’article 1er de la Loi électorale du 15 mars 1849 instaure une liste électorale permanente. Sur ce point, Cf.

IHL (O.), Le vote, Paris 1996, Montchrestien, coll. Clefs-politique, 158 p. 55. Loi du 26 juin 1889 relative à la nationalité, JO du 28 juin 1889, p. 2977. 56. HAURIOU (M.), op. cit., p. 625.

57. Sur le rôle de Batbie dans cette réforme, qui constitue d’ailleurs l’un de ses derniers débats parlementaires, Cf. VIDAL (R.), Batbie, Paris 1950, LGDJ, coll. Les fondateurs du Droit administratif, 57 p.

58. Proposition de loi sur la naturalisation, 1er avril 1882, JO Sénat, Annexe, n° 156, p. 195 ; Rapport Mazeau, 18 juillet 1882, JO Sénat, Annexe, n° 402, p. 467.

dans le projet initial de Batbie, et se trouve introduite quelques mois avant l’adoption définitive du projet60. On peut toutefois, en recoupant les interventions des orateurs parlementaires, préciser sa motivation. Les débats parlementaires montrent en effet que si l’objectif de la loi était bien l’extension de la nationalité, il était cependant tempéré par la crainte, nettement exprimée, de voir les « nouveaux Français », auxquels (notamment aux Polonais) on prêtait des sentiments révolutionnaires, influencer trop fortement la vie politique, c’est-à-dire parlementaire. Ainsi, Batbie lui-même, pourtant auteur et rapporteur au Sénat de la proposition, estime dangereux que « cet étranger, par le seul fait qu’il est né en France, [puisse] se réclamer de sa qualité de Français et même siéger dans les Assemblées législatives »61

. Pour contrecarrer ce « risque » de l’extension des droits électoraux aux néo- Français, la modification apportée à l’article 7 permet, compte tenu de la confusion existant entre la qualité de Français et celle de citoyen, de réserver le cas des droits politiques, qui sont donc bien ainsi compris comme les seuls droits électoraux. Le « toilettage » de l’article 7 prend donc acte de l’évolution du contenu de la citoyenneté : les droits qui sont réservés aux citoyens ne sont plus les droits auparavant qualifiés de civiques et qui constituaient la qualité de citoyen, mais désormais les seuls « droits politiques ».

Cette évolution, qui se prolongera et sera explicitée tout au long du XXe siècle, ne signifie pas que les droits civiques n’existent plus ou que les citoyens ne les possèdent plus : simplement, ces droits ne sont plus dans leur totalité une composante de la qualité de citoyen, dans la mesure où la possession de cette qualité n’attribue plus l’exclusivité des droits civiques, dont certains non citoyens peuvent également avoir la jouissance.

On pourrait toutefois opposer à ce raisonnement le fait que la dégradation civique prévue par le Code pénal62 ne comprend pas seulement le droit de vote et l’éligibilité, mais également des droits tels que l’accès aux emplois publics, le port d’armes, la tutelle et la curatelle ou le témoignage en justice. Cette objection se heurte cependant d’une part au rejet par la doctrine de bon nombre de ces droits hors de la citoyenneté, d’autre part au texte même du Code pénal : si la peine visée aux art. 8 et 34 du Code pénal est effectivement qualifiée de « dégradation civique » les droits dont elle prive le condamné sont en revanche qualifiés de droits « civiques, civils et de famille », non pas uniquement civiques63.

Même si cela ne signifie pas la disparition effective des droits civiques, la doctrine ne peut donc que constater que les seuls droits effectivement réservés à ceux qu’elle considère comme citoyens sont les droits électoraux. Cette vision certes réductrice entraîne par ailleurs,

60. Rapport Antoine Dubost, JO Ass. nat., Annexe, n° 350, p. 103.

61. BATBIE (A.), JO Sénat, débats, 15 novembre 1886, p. 1203. Il ajoutait dans le même esprit, au moment de l’examen du nouvel article 7, que « nous ne pensons pas que le mot cosmopolitisme puisse être le mot de l’avenir. Nous pensons que le patriotisme sera toujours la vertu des belles intelligences et des grands cœurs » (BATBIE (A.), JO Sénat, débats, 3 février 1887, p. 80).

62. Art. 34 de la rédaction originelle, art. 42 de l’ancien Code pénal, art. 131-26 du Nouveau Code pénal. 63. Il faut enfin ajouter, ce qui est peut-être l’argument décisif, que les étrangers eux-mêmes peuvent être visés

par la dégradation civique (ce qui emporte pour eux la conséquence de la privation des droits de famille), alors que la doctrine se refuse évidemment à les considérer comme citoyens.

en ce qui concerne les titulaires de ces droits, une quasi identification des nationaux et des citoyens.

Dans le document La citoyenneté administrative (Page 90-93)

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