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Citoyen et souveraineté

Dans le document La citoyenneté administrative (Page 97-104)

La question du rapport entre citoyenneté et souveraineté est à la fois capitale et problématique79. Elle est capitale car on touche là en quelque sorte à l’essence même de la notion : il est stérile d’affirmer que le contenu de la citoyenneté est constitué des droits qui font participer les individus au pouvoir si par ailleurs on dénie aux citoyens, pour quelque raison que ce soit, la possibilité qu’ils soient titulaires de la souveraineté ; elle est cependant fortement problématique car elle voit s’affronter deux positions radicalement opposées, antagonisme correspondant approximativement à l’opposition entre les modes de pensée juridique allemande et française.

Si l’on schématise l’approche allemande, telle que développée notamment par Jellinek et reprise en France par Carré de Malberg, l’État est seul titulaire de la souveraineté80, la Nation n’en constituant que l’un des organes auquel l’exercice de cette souveraineté étatique peut être partiellement délégué. Les citoyens, pris en corps ou individuellement81, ne sont par conséquent aucunement titulaires de la souveraineté, et n’ont d’autre droit à l’exercer que ceux que l’État leur confère82.

L’approche que l’on qualifie généralement de française considère à l’inverse, à la suite de Siéyès, que la Nation est titulaire de la souveraineté, l’État n’en constituant que l’émanation : la Nation étant elle-même conçue comme une nation de citoyens, ces derniers sont donc les

79. Cette approche suppose évidemment que l’idée même de souveraineté soit considérée comme une réalité, ce qui n’est pas le cas pour l’école libérale (Cf. par ex. LABOULAYE (É.), « De la souveraineté », in Études Constitutionnelles, Paris 1872, Charpentier, 2e éd., p. 409-421, pour lequel il n’y a pas de pouvoir souverain, car « il n’y a pas ici-bas de pouvoir supérieur à la justice et à la raison » − p. 412), ni pour l’école du service public (voir tout spécialement les explications de Léon DUGUIT in Souveraineté et liberté. Leçons faites à l’Université Columbia (New York) 1920-1921, Paris 1922, Lib. Félix Alcan, 208 p.), ni d’ailleurs pour le positivisme dont cette dernière est issue : pour Auguste Comte, la souveraineté du peuple est une « mystification oppressive » (COMTE (A.), Système de philosophie positive, 1895, IV, append., p. 11).

80. Cf. R. Carré de Malberg : « En un mot, l’erreur capitale de Rousseau, c’est d’avoir présenté la souveraineté de l’État comme faite de celle de ses membres, alors qu’en réalité, la souveraineté ne peut être communiquée aux citoyens, quant à son exercice, qu’après être née, d’abord, dans l’État et du fait même de l’organisation qui a engendré l’État et sa puissance » (CARRÉ DE MALBERG (R.), op. cit., t. 2, p. 166).

81. « Les membres individuels du corps national sont, en ce qui concerne son exercice [de la souveraineté], égaux les uns les autres, en ce qu’aucun d’entre eux ne saurait invoquer de droit originaire à prendre personnellement en mains ce pouvoir de la nation » (CARRÉ DE MALBERG (R.), loc. cit., p. 172). Duguit est sur ce point en accord avec Carré de Malberg : « Dans la doctrine de la souveraineté nationale, c’est la personne collective qui possède la souveraineté, et les citoyens pris individuellement n’en ont pas la plus petite parcelle ; ils n’ont donc aucun droit à participer à l’exercice de la souveraineté. La seule conséquence qui découle du principe de la souveraineté nationale, c’est qu’il faut trouver le meilleur système pour dégager la volonté nationale » (Cf. également DUGUIT (L.), Traité de Droit constitutionnel, op. cit., 2e éd., t. 1, p. 436).

82. Il est donc bien clair que l’affirmation de la souveraineté de l’État et du fait que les citoyens n’ont de droit à l’exercice de la souveraineté que concédé par l’État n’équivaut pas à la négation de tout droit des citoyens : c’est toute la question de la théorie de l’autolimitation de l’État, exposée et critiquée par Léon Duguit en ces termes : « Rousseau enseigne que cette souveraineté sans limite de l’État laisse cependant intacte l’autonomie de l’individu ; et par là il a ouvert la voie aux philosophes et aux juristes de l’Allemagne moderne, Kant, Hegel, Gierke, Jellinek, qui à sa suite viendront affirmer que l’individu, ne trouvant la plénitude de son être que dans l’État, celui-ci ne peut être tout-puissant sans que l’autonomie de l’individu soit amoindrie. Rousseau ne dit pas autre chose quand il affirme que, par le jeu du contrat social qui crée la volonté collective, les individus, en obéissant à cette volonté, n’obéissent qu’à eux-mêmes. Plus cette volonté collective est puissante, plus les individus eux-mêmes sont puissants, puisqu’elle n’est formée que des volontés individuelles. Affirmer la souveraineté sans limites de la volonté collective de l’État, c’est donc affirmer l’autonomie sans restrictions de l’individu. L’autonomie individuelle se réalise dans la souveraineté étatique, et elle est en raison de cette souveraineté » (DUGUIT (L.), Souveraineté et liberté. Leçons faites à l’Université Columbia (New York) 1920-1921, Paris 1922, Lib. Félix Alcan, p. 136-137).

véritables titulaires de la souveraineté. Léon Duguit peut ainsi affirmer83 que le corps des citoyens « n’est même pas un organe de la nation : il est la nation elle-même, en tant qu’elle exprime sa volonté »84

. Le corps des citoyens est lui-même constitué de ceux que Maurice Hauriou qualifie de « citoyens-électeurs »85 ; il est chargé d’exprimer la volonté générale, et, par suite, d’incarner la souveraineté ; par conséquent, il « exprime directement la volonté de la nation »86

. Raymond Carré de Malberg a toutefois beau jeu de critiquer les incohérences de cette affirmation, puisqu’une telle conception aboutit à ressusciter de fait la notion de « citoyens actifs » de la Constitution de 1791, réduisant la nation aux seuls citoyens participant effectivement aux processus électoraux.

Si l’on s’intéresse exclusivement à la signification de la citoyenneté et au statut du citoyen, l’opposition entre ces deux conceptions ne doit cependant pas être exagérée. Contrairement à ce qui est parfois indiqué87, il est clair pour les doctrines juridiques tant française qu’allemande que le citoyen n’est pas, à titre individuel, titulaire de la citoyenneté. S’il y a bien des nuances dans la doctrine française, elles ne se situent pas sur ce point, mais entre ceux qui affirment l’existence de la souveraineté et ceux qui, tel Léon Duguit, dénient toute réalité à cette notion. La discussion se déplace alors vers la représentation, idée que Georges Burdeau salue comme « une des plus parfaites constructions politiques dont puisse s’enorgueillir l’esprit humain »88

, alors que Carré de Malberg rejette toute idée de représentation des citoyens.

Pourtant, leurs positions sont, eu égard à la représentation des citoyens, strictement identiques : pour l’un comme pour l’autre, les élus ne peuvent pas représenter les citoyens (mais, pour Burdeau, la nation). La raison en est la suivante : « le "représentant" ne représente pas une volonté préexistante des citoyens, puisque le droit positif des Constitutions représentatives refuse à ceux-ci le pouvoir de vouloir autrement que par leurs représentants ; dans ces conditions, il n’est pas possible de dire que la volonté des citoyens entre en représentation ; mais il y a ici, d’un côté, une volonté, celle des citoyens, dont il est fait abstraction et qui est traitée juridiquement comme inexistante, et d’un autre côté, une volonté, celle du "représentant", qui se substitue totalement à celle des citoyens et qui finalement demeure seule opérante »89

. Cette indépendance des représentants par rapport aux électeurs

83. D’ailleurs en contradiction évidente avec la négation de l’existence même de la souveraineté qu’il professe par ailleurs (Cf. par ex. Souveraineté et liberté, op. cit.).

84. DUGUIT (L.), Traité de Droit constitutionnel, op. cit., 2e éd., t. I, p. 327. 85. HAURIOU (M.), op. cit., p. 99.

86. DUGUIT (L.), Traité de Droit constitutionnel, Tome IV, op. cit., p.1.

87. Cf. par ex. LOCHAK (D.), loc. cit., p. 180 : « dans le cadre de l’État-nation, le citoyen est celui qui est le titulaire d’une parcelle de la souveraineté nationale » (c’est nous qui soulignons). Dans le même sens, HAURIOU (M.), « La liberté politique et la personnalité morale de l’État », loc. cit., p. 719 : « La souveraineté nationale, dans l’État, est à la fois une et multiple, une par rapport à la personnalité morale, multiple en ce qu’elle se répartit en droits individuels des citoyens ».

88. BURDEAU (G.), Traité de science politique, tome IV : Les régimes politiques, 1ère éd., Paris 1952, LGDJ, p. 244, même si elle « souffre d’avoir été élaborée par des juristes » (ibid., p. 267).

89. CARRÉ DE MALBERG (R.), op. cit., t. 2, p. 229. Guillaume BACOT (op. cit., in fine) a montré le caractère contradictoire de cette critique, qui assimile trop facilement représentation et souveraineté nationale : que le citoyen soit constitué par la nation est une chose (qui signifie que le citoyen n’a pas de droits antérieurs à l’institution politique), mais cela n’entraîne pas, une fois l’individu transformé en citoyen, qu’il jouisse, à l’intérieur de l’ordre politique auquel il est intégré, d’une volonté propre éventuellement appelée à s’exprimer.

entraîne une série de conséquences : les citoyens épuisent la totalité de leur pouvoir de participation à l’exercice de la souveraineté par l’opération de vote ; cet exercice de la souveraineté ne traduit pas le transfert aux représentants d’une souveraineté qui appartiendrait aux citoyens, mais l’institution des députés par un procédé donné, strictement encadré par les lois constitutionnelles ou électorales90 ; les représentants sont donc un organe de la nation, désigné par les citoyens-électeurs. On voit alors clairement pourquoi les droits civiques doivent être assimilés aux droits électoraux : toute la qualité du citoyen s’exprime et se manifeste dans l’acte par lequel il désigne ses représentants : le vote. Une fois les représentants institués, les citoyens jouissent certes de droits ; mais ce n’est plus ès-qualités, mais parce que, et dans la mesure où, ces représentants les déterminent.

§ 2. Conséquences sur la valeur de la citoyenneté

En tant que membre de la nation, le citoyen a donc le droit, et même le devoir, lorsque cette mission lui est confiée par l’État, de participer à l’expression de la souveraineté. Pour ce faire, il est impératif qu’il agisse, non comme individu doté d’intérêts propres, mais bien comme citoyen, c’est-à-dire en tant qu’individu faisant abstraction de ses intérêts particuliers pour s’élever à la recherche de l’intérêt général. Cette fiction du dédoublement de l’homme en individu (qualifié également de sujet, c’est-à-dire d’incapable politiquement) et en citoyen désireux d’exprimer la volonté générale étant en décalage avec la réalité, c’est cette dernière qu’il est nécessaire de rendre conforme à l’idéal, par la mise en place de l’éducation du citoyen, éducation qui est ainsi consubstantielle à la citoyenneté.

La conséquence la plus directe de l’articulation entre la citoyenneté et la souveraineté nationale est de faire perdre à la citoyenneté le caractère concret qu’elle possédait au XIXe siècle : elle rejoint la nation dans le domaine des constructions intellectuelles. Cette mise en valeur du caractère nécessairement abstrait de la citoyenneté, qui jusqu’alors avait été l’apanage des politiques — des révolutionnaires au discours de la IIIe République91 —, est transposée assez tardivement en droit : à partir des années vingt environ, et plus encore après 1945.

Si Rousseau est critiqué pour le caractère mythique du contrat social et pour les contradictions existant entre souveraineté nationale et souveraineté populaire, la doctrine adhère en revanche à sa définition du citoyen. Explicitant Siéyès (pour le critiquer), Carré de Malberg affirme que « le citoyen, c’est l’homme, dégagé de tout intérêt de classe ou de groupe, et même de tout intérêt personnel ; c’est l’individu, en tant que membre de la communauté, dépouillé de tout ce qui peut donner à sa personnalité un caractère particulier.

90. Rien ne s’oppose donc, en théorie, à ce qu’aucun citoyen ne participe à la désignation des représentants. 91. L’étude du discours politique de la citoyenneté n’a pas directement sa place ici, et a d’ailleurs été souvent

effectuée en science politique. Pour la IIIe République, on peut consulter par exemple, outre DÉLOYE (Y.), École et citoyenneté. L’individualisme républicain de Jules Ferry à Vichy : controverses, Paris 1994, Presses de la FNSP, 431 p., FERRY (J.), La République des citoyens, Paris 1996, Imprimerie nationale, 2 vol. (extraits de discours politiques).

C’est sur cette conception que va s’édifier le régime représentatif nouveau »92

. La fiction de la souveraineté nationale exige que l’individu devienne aussi abstrait que la nation à laquelle il s’intègre. Si la solution de cette contradiction réside, pour Carré de Malberg, dans le refus de la théorie représentative, il en va bien différemment pour Georges Burdeau : il faut croire que l’individu se dédouble en deux éléments, un être véritablement individuel (« l’homme concret »), et un être qui, bien qu’incarné dans un individu particulier, reste collectif : « Au dédoublement de la notion de peuple, à la fois réalité sociologique et concept politico- juridique, correspond un dédoublement analogue du titre dont peuvent se prévaloir les individus. En tant qu’élément du peuple, donnée sociale, l’homme est sujet ; en tant qu’appartenant au peuple, construction juridique, il est citoyen »93

. Ce qui est remarquable chez Burdeau (et qui tient à la spécificité de sa démarche, entre « apparences constitutionnelles et réalités politiques »94

), c’est que ce qui aurait pu éventuellement se justifier en tant que fiction juridique (la notion de personnalité morale a au fond été bien longtemps considérée de cette façon) est également tenu pour une réalité.

À l’occasion de la discussion des thèses de Rousseau, Georges Burdeau défend en effet l’idée rousseauiste d’un individu qui devient citoyen en abandonnant sa liberté à la société. Ce passage mérite d’être cité dans sa totalité, tant il reflète la collusion existant de fait entre une théorie politique à laquelle les juristes reprochaient son caractère abstrait et la construction juridique de la citoyenneté95 : « On peut assurément, écrit Burdeau, dénoncer le verbalisme qui affecte cette notion d’un citoyen abstrait, mû par des principes, détaché des contingences et satisfait de se reconnaître dans la volonté désincarnée d’une entité à laquelle il s’immole : nation, volonté générale, bien public. Il serait inexact cependant de croire que la pensée révolutionnaire a créé artificiellement ce citoyen qui compte au nombre de ses œuvres les plus durables. Elle l’a créé à partir des données incontestables de la mentalité française. Il y a en elle une tendance à l’universalisme, au désintéressement, à l’héroïsme accompli au nom de la logique qui refoule fréquemment la médiocrité des ambitions matérielles : la retraite, l’épargne et la sécurité du pêcheur à la ligne. "Rassuré sur ses intérêts, écrit excellemment M. A. Siegfried […], et limitant assez vite ses ambitions à cet égard, le Français libère son esprit par une sorte de débrayage entre l’action et la pensée". C’est alors qu’il s’élève à ce désintéressement qui caractérise le citoyen, qu’il dépasse ce qu’il semble être dans sa vie quotidienne pour atteindre une conception humaniste de lui-même. Et qui dit humaniste, dit unité, harmonie, raison. Que l’étranger soit rétif à cette image du citoyen, nous l’admettons volontiers. Mais reconnaissons nous aussi, nous Français, que pour n’utiliser qu’une partie de ce que nous sommes, elle ne donne pas, de chacun de nous, une idée trop mensongère. Je

92. CARRÉ DE MALBERG (R.), op. cit., t. 2, p. 241. 93. BURDEAU (G.), op. cit., p. 41.

94. Ibid., p. 21.

95. La place faite ici à Burdeau peut paraître disproportionnée, compte tenu d’un auteur qui se considérait moins comme un juriste, qu’il était pourtant, que comme un auteur de Science politique. Il n’en est rien cependant, les références à la définition du citoyen par Burdeau étant omniprésentes dans les rares travaux juridiques contemporains relatifs à la citoyenneté.

ne mets à cette observation ni romantisme, ni mysticisme : sociologiquement le citoyen est un type d’homme, instable peut-être et dont l’existence n’est que sporadique, qui a existé »96

. Pour que la construction juridique de la citoyenneté comme participation à l’exercice de la souveraineté soit possible, il faut donc croire à l’existence réelle d’un citoyen abstraitement construit. Plus encore, en termes très proches d’un marxisme pourtant rejeté, les rapports entre citoyen et individu (sujet), sous l’angle de l’abstraction, sont inversés. Le sujet, c’est « l’individu à l’état pur considéré en dehors de tout lien social », par conséquent de façon abstraite, au contraire du citoyen, qui de fait s’intègre dans cette société et « participe à l’autorité souveraine »97

. Kelsen ne dit pas autre chose, lorsqu’il définit le citoyen comme « le membre non indépendant, simple élément d’un tout organique, de l’être collectif d’une théorie universaliste de la société […] Il n’est plus exact ou du moins l’important n’est plus d’affirmer que chaque citoyen individuellement est libre. Si les citoyens ne sont libres que dans leur ensemble, dans l’État, il est logique — et nombre d’auteurs en tiennent compte — que ce soit la personne État qui soit libre, et non plus chaque citoyen. C’est ce qu’exprime aussi la formule que seul est libre le citoyen d’un État libre. À la liberté de l’individu se substitue, comme revendication fondamentale, la souveraineté du peuple, ou, ce qui est tout un, la liberté de l’État »98

.

CONCLUSION DU CHAPITRE 1

Le trait principal qui se dégage de l’évolution de la citoyenneté dans les deux premiers tiers du XXe siècle est le renforcement du lien qui l’unit à la nationalité et aux droits électoraux. De condition d’accès à la citoyenneté, la nationalité devient pour ainsi dire synonyme à partir du moment où la différence numérique entre nationaux et citoyens diminue, notamment à compter du jour où les femmes acquièrent le droit de vote ; corrélativement, le contenu de la citoyenneté se rapproche toujours plus des seuls droits électoraux. La définition que François Luchaire donne de la citoyenneté − « une qualité juridique garantissant à celui qui en est titulaire l’électorat et la jouissance des libertés publiques »99

est juste en 1958, elle ne l’est plus trente ans plus tard, lorsque ces libertés publiques auront été étendues aux non-citoyens (et notamment aux étrangers) : seuls les droits électoraux − dans une certaine mesure seulement − sont encore « garantis » aux citoyens.

96. BURDEAU (G.), op. cit., p. 42, note 2. On notera, à la fin de la citation que le verbe exister est employé au passé composé : le citoyen est un type d’homme qui n’existe donc plus.

97. Ibid., p. 43.

98. KELSEN (H.), La démocratie. Sa nature, sa valeur, trad. fr. Ch. Eisenmann, Paris 1932, Librairie du recueil Sirey, p. 11.

Il y a donc à partir de cette période une modification profonde de la perspective juridique de la citoyenneté : étant désormais essentiellement rattachée à la théorie de l’État, la qualité de citoyen devient abstraite. Certes, le caractère abstrait du citoyen a toujours été une des composantes de la notion, ou plus précisément une des tendances − rousseauiste − de sa définition ; mais le processus qui s’achève avec l’édification de la Ve République voit la prédominance absolue d’une conception qui fait des citoyens des « poussières d’hommes »100. La définition de la citoyenneté postule l’existence d’un être désincarné, faisant totalement abstraction de ses intérêts particuliers, être que raillait déjà en son temps le Balzac des Petits bourgeois101

.

Cette désincarnation politique du citoyen aboutit en outre à ce que l’administré, dont la relation avec l’administration est on ne peut plus concrète, ne puisse plus être d’aucune façon rapproché du citoyen.

100. DUGUIT (L.), Souveraineté et liberté. Leçons faites à l’Université Columbia (New York) 1920-1921, Paris 1922, Lib. Félix Alcan, p. 175 et 179.

101. BALZAC, Scènes de la vie parisienne. Splendeurs et misères des courtisanes. 4, Les petits bourgeois, Chapitre XI : Les honnêtes Phellion : « Ah ! Môsieur ! s'écria Phellion en se levant et se posant comme Lafon se posait dans le Glorieux, me mésestimez-vous donc assez pour croire que des intérêts personnels pourront jamais influencer ma conscience politique. Dès qu'il s'agit de la chose publique, je suis citoyen, rien de moins, rien de plus ».

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