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Le lien entre nationalité et citoyenneté en droit constitutionnel n’est pas avéré

Dans le document La citoyenneté administrative (Page 158-160)

S ECTION 2 : P LURALISME DES APPARTENANCES ET UNICITÉ DE LA CITOYENNETÉ

A. L’arrimage de la citoyenneté à la nationalité est contestable

1. Le lien entre nationalité et citoyenneté en droit constitutionnel n’est pas avéré

La Constitution du 4 octobre 1958 ne s’intéresse que fort peu à la citoyenneté. L’expression n’est employée qu’une fois149, et, si l’on excepte le Préambule, le terme de citoyen (toujours employé au pluriel) n’est utilisé que six fois, dans quatre articles (1er

, 34, 75, 88-3), dont le dernier est d’introduction récente150. Or si l’on analyse exclusivement le contenu des articles concernés, force est de constater qu’il est impossible, voire tout à fait contradictoire avec la lettre du texte constitutionnel, d’opérer une jonction absolue entre les notions de nationalité et de citoyenneté : tout juste pourrait-on le supposer pour les dispositions introduites en 1992.

L’article 1er de la Constitution, qui affirme que « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion »151, peut difficilement être interprété comme réservant certains droits aux citoyens-nationaux français. Cet article est susceptible de multiples lectures : dans un premier temps, une lecture littérale pourrait laisser croire que si aucune distinction de religion, de race, et surtout d’origine ne peut être faite entre les citoyens, c’est bien parce que les étrangers ne doivent pas (ou ne peuvent pas) être distingués au regard de la loi. En réalité, comme cela a été démontré, « l’origine » s’applique à la nationalité, par référence à la notion de « nationalité d’origine » au sens du droit de la nationalité152. Une autre lecture, moins littérale mais aux conséquences juridiques plus importantes, est faite par les juridictions constitutionnelle et administrative. Cet article est en effet fréquemment invoqué par le Conseil constitutionnel et plus encore par le Conseil d’État, à l’appui de décisions se référant au principe d’égalité : le Conseil constitutionnel se réfère

149. Art. 77, issu de la loi constitutionnelle du 6 juillet 1998 : « Après approbation de l’accord lors de la consultation prévue à l’article 76, la loi organique, prise après avis de l’assemblée délibérante de la Nouvelle-Calédonie, détermine […] - Les règles relatives à la citoyenneté, au régime électoral, à l’emploi et au statut civil coutumier ». Le terme avait disparu entre 1995 et 1998. Avant la réforme constitutionnelle du 4 août 1995, l’alinéa 2 de l’article 77 indiquait qu’« Il n’existe qu’une citoyenneté de l’Union ».

150. Il est dû à la réforme opérée par la loi constitutionnelle n° 92-554 du 25 juin 1992.

151. Ancien alinéa 1 de l’article 2 de la Constitution, avant la réforme introduite par la loi constitutionnelle du 4 août 1995.

152. Par ex. le Titre 2 du Code de la nationalité issu de la réforme de 1973 (loi n° 73-42 du 9 janvier 1973). La notion juridique de nationalité d’origine est en quelque sorte consubstantielle à la nationalité elle-même. Sur les liens entre la citoyenneté et la nationalité d’origine, Cf. THOMAS (Y.), « Le droit d’origine à Rome : contribution à l’étude de la citoyenneté », Revue critique de droit international privé, 1995, n° 2, p. 253-290.

fréquemment à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme153, mais il lui arrive parfois d’indiquer l’article 1er 154 ; les décisions ne font pas de distinction entre les étrangers et les nationaux ou même s’y réfèrent pour récuser cette distinction155. C’est ainsi que la jurisprudence relative au droit des étrangers, dont on connaît l’essor actuel, se fonde parfois explicitement sur cet article156.

Il n’est en revanche désormais jamais fait référence à l’article 75 (« les citoyens de la République qui n’ont pas le statut civil de droit commun, seul visé à l’article 34, conservent leur statut personnel tant qu’ils n’y ont pas renoncé »157

) dans les jurisprudences récentes, mais il est malgré tout intéressant d’observer à son propos qu’il distingue explicitement la citoyenneté des droits civiques : il existe (ou peut exister) des citoyens français qui ne bénéficient pas du statut civil de droit commun. Or ce statut civil explicité à l’article 34 — on s’en tient toujours ici à la seule lettre de la Constitution — comporte « les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ; les sujétions imposées par la Défense nationale aux citoyens en leur personne et en leurs biens »158

, éléments que seule la loi peut fixer. La combinaison de ces deux articles appelle quelques remarques. L’article 75 évoque la citoyenneté non pour la définir (tel n’est pas son objet), mais pour développer ses conséquences juridiques, et notamment l’existence d’un statut, c’est-à-dire d’un ensemble de droits et de devoirs attachés à la qualité de citoyen. L’assimilation de la citoyenneté à la nationalité, au travers de ce texte, ne peut être soutenue sérieusement : la jurisprudence la plus constante du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État refuse en effet de différencier, du moins d’une façon globale, les nationaux français et les étrangers, fussent-ils en « situation irrégulière », quant à l’exercice des libertés fondamentales.

L’article 88-3, sur lequel ont été focalisés une bonne partie des débats politiques intervenus lors de la ratification par la France du traité de Maastricht signé le 7 février 1992, indique que « sous réserve de réciprocité et selon les modalités prévues par le traité sur l’Union européenne signé le 7 février 1992, le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales peut être accordé aux seuls citoyens de l’Union résidant en France. Ces citoyens ne peuvent exercer les fonctions de maire ou d’adjoint ni participer à la désignation des électeurs sénatoriaux et à l’élection des sénateurs ». Deux séries de remarques doivent être faits à son propos. D’une part, ce n’est pas la qualité de citoyen français qui y est visée, mais celle de citoyen de l’Union européenne ; cette précision suppose qu’il existe bie n, du moins

153. Pour la première fois en 1977 (Cons. const., 20 juillet 1977, n° 77-83 DC, Rec., p. 39, RDP 1978, p. 827, n. L. FAVOREU).

154. Cf. par ex. Cons. const., 25 février 1982, n° 138-DC (lois de décentralisation), Rec., p. 38, GDCC, n° 32. 155. Cons. const., n° 91-293 DC, Rec., p. 77, RFDA 1991, p. 903, n. DUBOUIS (L.). Cette décision ne concerne

pas l’article 1er de la Constitution, mais l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. L’interprétation qu’elle propose peut cependant être transposée à l’identique : l’article 6 ne saurait être interprété comme réservant aux seuls citoyens français l’accès aux fonctions publiques, mais a simplement « pour objet de fonder en droit français le principe d’égal accès de tous aux emplois publics ».

156. Cons. const., 2 janvier 1990, n° 89-269 DC, R., p. 33, RFDC 1990, p. 230, n. L. FAVOREU.

157. Qui reprend l’article 82 de la Constitution du 27 octobre 1946 : « Les citoyens qui n’ont pas le statut civil conservent leur statut personnel tant qu’ils n’y ont pas renoncé ».

158. On notera d’ailleurs que l’article 34 distingue bien le service des armées (les « sujétions imposées par la Défense nationale) et les droits civiques, confirmant ainsi que l’accès aux fonctions militaires n’est pas un droit civique. Cf. supra, p. 88.

dans les textes juridiques, une citoyenneté européenne distincte de la citoyenneté française — et, par conséquent, que la citoyenneté française n’est plus exclusive : on peut être à la fois citoyen français et citoyen de l’Union159. D’autre part, à partir de la réciproque de l’affirmation précédente — on peut être citoyen de l’Union sans être citoyen français — le Constituant de 1992 a rattaché la notion de citoyenneté européenne à certains droits électoraux qui concernaient traditionnellement sa seule sa traduction électorale nationale, en octroyant à certaines catégories d’étrangers le droit de vote aux élections municipales, ce qu’est venue préciser en 1998 une loi organique160 transposant une directive de 1994161 et non censurée par le Conseil constitutionnel162.

Enfin, l’article 77, inséré par la loi constitutionnelle n°98-610 du 20 juillet 1998, s’il rappelle à propos de la Nouvelle-Calédonie la distinction entre citoyenneté, régime électoral et statut civil, n’apporte pas de précision sur les rapports existant entre citoyenneté et nationalité. Les accords de Nouméa du 5 mai 1998 dissocient expressément, en l’état actuel du moins, les notions de citoyenneté et de nationalité, puisqu’il est prévu que « des signes seront donnés de la reconnaissance progressive d'une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie, celle-ci devant traduire la communauté de destin choisie et pouvant se transformer, après la fin de la période, en nationalité, s'il en était décidé ainsi »163

, même si cette dissociation est loin d’être dépourvue de toute ambiguïté.

Il est donc impossible de déduire des seuls textes constitutionnels que la citoyenneté est une conséquence possible de la nationalité. L’ouverture de certains droits de citoyenneté aux étrangers ou à certaines catégories d’entre eux confirme la disjonction qui s’opère progressivement entre citoyenneté et nationalité.

Dans le document La citoyenneté administrative (Page 158-160)

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