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Le contenu juridique de la citoyenneté locale

Dans le document La citoyenneté administrative (Page 193-196)

S ECTION 1 : C ITOYENNETÉ ET DROITS DE PARTICIPATION

A. Le contenu juridique de la citoyenneté locale

S’il faut considérer avec circonspection l’emploi d’un vocabulaire citoyen souvent dépourvu de toutes conséquences juridiques, il en va différemment en ce qui concerne la citoyenneté locale : indépendamment de son officialisation récente, on constate l’avancée d’un mouvement non seulement militant mais également juridique — et notamment jurisprudentiel — lié au développement de la démocratie locale, tendant à une prise en compte de l’environnement du citoyen.

Le terme de citoyenneté locale n’est pas employé dans les lois de 1992 et 1995 ; il ressort cependant nettement du titre II de la loi relative à l’administration territoriale de la République, dont l’intitulé est à lui seul révélateur (« De la démocratie locale »), ainsi que de certains articles de la loi relative à l’aménagement et au développement du territoire11, d’où se dégage une notion particulière et locale de la citoyenneté. Ce sont en effet les commentaires de la loi de 1992 qui emploient l’expression de citoyenneté locale, au point que l’on finirait par croire que l’expression est inscrite dans la loi elle-même12 : la notion de citoyenneté locale, au contenu juridique assez bien déterminé, est donc une construction doctrinale récente, non encore consacrée en tant que telle par la jurisprudence13.

11. Surtout l’art. 85 sur le référendum d’initiative locale, mais également les principes posés dès l’article 1er — restauration de l’égalité des citoyens au-delà des différences territoriales —, ou les dispositions de l’article 80 concernant la démocratisation des institutions intercommunales.

12. SADRAN (P.), « Démocratie locale et participation », in Mélanges J.-M. Auby, Paris 1992, Dalloz, p. 289 et s. ; D'ARCY (F.), « Élus, fonctionnaires, citoyens : jeux de pouvoir et démocratie », AJDA, 1992, n° spécial Décentralisation, p. 110-114 ; JÉGOUZO (Y.), « La loi d'orient ation n° 92-125 du 6 février 1992 relative à l'administration territoriale de la République », RFAP, 1992, p. 166 et s. ; BECET (J.-M.), « Démocratie locale, transparence : nouveaux aspects », Cahiers du CNFPT, n° 44, juin 1995, p. 30-41 ; Cette unanimité montre l’existence d’un mimétisme certain de la doctrine, mais au-delà est curieuse, dans la mesure où les mêmes auteurs peuvent d’un côté déplorer la déliquescence de la citoyenneté nationale, et participer objectivement à son éclatement en consacrant l’existence d’une citoyenneté locale sinon autonome, du moins distincte, de par l’approfondissement de la notion de citoyenneté qu’elle suppose, de la citoyenneté classique.

13. Du moins directement par les juridictions françaises. La Cour européenne des droits de l’homme a en effet reconnu le concept de « démocratie locale » comme norme de référence de son contrôle, déduite de l’exigence d’un régime démocratique affirmé par le préambule de la Convention (CEDH, 2 septembre

Sans prétendre pour autant effectuer une description détaillée du contenu de la citoye nneté locale14, on peut en dégager un certain nombre de traits caractéristiques. D’une façon générale, la notion de citoyenneté locale regroupe nettement deux conceptions de la citoye nneté : d’une part, « l’ajout de mécanismes de démocratie directe au système représentatif, soit ce que l’on qualifie de démocratie semi-directe » ; d’autre part, « une panoplie de droits d’information et de participation ». La citoyenneté locale se situe donc à la fois au-delà et en-deçà de la citoyenneté nationale, ce par rapport à chacun de ses éléments : les procédés de démocratie semi-directe tels qu’ils se dégagent des lois de 1992 et 1995, c’est- à-dire le référendum, qu’il soit « d’initiative locale » ou organisé à la demande des représentants, restent en retrait par rapport au référendum national, dans la mesure où ils n’ont (juridiquement) aucun caractère décisionnel ; les droits des « habitants », qui sont essentiellement des droits à l’information et à la consultation, ne sont en réalité que l’application aux collectivités territoriales de dispositions relatives aux libertés publiques, non directement à la citoyenneté, issues des grandes lois de la fin des années soixante-dix.

Les droits nouveaux, que la doctrine considère comme constitutifs de la citoyenneté locale, sont en effet apparemment très classiques. Les dispositions relatives au droit à l’information sont de deux sortes : d’une part, l’obligation de publication des actes réglementaires dans un recueil des actes administratifs mis à la disposition du public est rendue obligatoire pour les communes de plus de 3500 habitants15 ; d’autre part, une série de dispositions, régulièrement modifiées depuis 1992, concernant la publicité des délégations de service public et des interventions économiques des collectivités locales, qui s’adressent à toutes les collectivités et leurs groupements16 mais constituent surtout une application des directives européennes en matière de passation de marchés de travaux et de services. On pourrait y rattacher certaines dispositions mixtes, touchant à la fois l’information et la transparence, qui concernent la publicité des documents ayant trait au budget des collectivités, documents qui ne sont pas seulement les actes administratifs (notamment les « données synthétiques sur la situation financière de la commune »17

) et dont l’intérêt est d’obliger les collectivités à rendre plus transparents leurs modes de décisions. Dans le domaine de la participation, outre le référendum communal qui sera évoqué plus loin, il faut faire également référence aux commissions consultatives facultatives18 ou obligatoires19 que met en place la

1998, Ahmed et autres c. Royaume-Uni, n° 65/1997/843/1056), Cf. FAURE (B.), « Le droit administratif des collectivités locales et la concurrence », AJDA 2001, p. 138.

14. La plupart des aspects qui la composent seront repris dans le corps de la présente thèse, à travers les développements relatifs aux services publics locaux.

15. Art. 2121-24, al. 2 (délibérations du Conseil municipal) et 2122-29 (arrêtés municipaux) CGCT. 16. À l’exception des syndicats mixtes : Cf. AUBY (J- B.), loc. cit. p. 39.

17. Art. L 2313-1, 3° CGCT.

18. Art. 2143-2 CGCT : « Le conseil municipal peut créer des comités consultatifs sur tout problème d’intérêt communal concernant tout ou partie du territoire de la commune. Ces comités comprennent des personnes qui peuvent ne pas appartenir au conseil, notamment des représentants des associations locales ». La loi n° 96-987 du 14 novembre 1996, relative au pacte de relance pour la ville, est venue préciser que le Conseil municipal en fixe chaque année « la composition sur proposition du maire ».

19. Art. 2143-4 CGCT : « Il est créé une commission consultative compétente pour un ou plusieurs services publics locaux exploités en régie ou dans le cadre d’une gestion déléguée. Elle doit comprendre parmi ses membres des représentants d’associations d’usagers du ou des services concernés. Elle doit être présidée par le maire. Cette obligation ne s’applique qu’aux services des communes de plus de 3500 habitants ».

loi de 1992 : mais leur application, même pour ce qui est des dispositions obligatoires, est trop irrégulière pour permettre de juger de façon décisive de leur portée exacte.

On trouve un bon résumé des ambiguïtés de la notion de citoyenneté locale dans une proposition de loi (sans lendemain) sur la citoyenneté20, déposée en décembre 1996 à l’Assemblée nationale21. Le motif de la proposition présentée par Jean-François Ellier est en lui-même révélateur : « Je suis intimement persuadé que nous sommes entrés dans une nouvelle ère : celle de la demande citoyenne. J’entends par là que les citoyens attendent de leurs dirigeants qu’ils leur permettent de participer au processus de décision, notamment au niveau local. Cette nouvelle citoyenneté passe par une demande accrue de démocratie locale, de participation »22

: il s’agit donc de développer le second volet de la citoyenneté locale, que, pour l’auteur, les lois de 1992 et 1995 ont imparfaitement réalisé. Les moyens proposés sont en fait très proches de ceux que l’on pouvait trouver dans ces textes : il ne s’agit pas de donner aux citoyens un pouvoir de décision mais de rapprocher les élus des citoyens en mettant en œuvre des procédures d’information et de consultation (plus ou moins) nouvelles. Ainsi, toute collectivité de plus de 3500 habitants devrait rédiger une « charte de la citoyenneté » dès la première réunion de son assemblée délibérante, document édictant un programme d’association des citoyens aux décisions publiques locales23. En outre, est prévue la nomination de Conseillers de quartiers, choisis parmi les membres du conseil municipal, qui seraient en quelque sorte des adjoints au maire délégués pour un quartier. Enfin, la désignation d’un Conseil de jeunes dans les villes de plus de 100 000 habitants permettrait de développer leur intérêt pour la vie de leur commune.

La loi relative à la démocratie de proximité24 va dans le sens d’un même approfondissement, même si elle est en retrait quant à la terminologie employée : si l’exposé des motifs s’adresse en effet aux citoyens, le contenu du texte ne vise que les « habitants et usagers »25

. Il rend notamment obligatoire la création de conseils de quartiers − création qui n’était jusque là que facultative26 − pour les communes de plus de 80 000 habitants27. La loi donne en outre la possibilité aux maires concernés de conférer au conseil de quartier le pouvoir de participer à l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation des actions intéressant le quartier28.

20. Proposition de loi sur la citoyenneté, JO doc. Ass. Nat., 5 décembre 1996, n° 3196, 7 p.

21. Voir le commentaire de PONTIER (J.-M.), « La fracture civique, la citoyenneté et les collectivités locales » , RA, 1997, n° 298, p. 440-450.

22. ELLIER (J.-F.), Exposé des motifs de la proposition de loi sur la citoyenneté, loc. cit.

23. La proposition prévoit des sanctions en cas de non-publication de cette charte, allant jusqu’à la dissolution du conseil…

24. Loi n° 2002-276 du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité, JO du 28 février 2002, p. 3808. Pour une vision très critique de ce texte (lorsqu’il était à l’état de projet), Cf. PAOLETTI (M.), « Un projet inutile et nuisible », Libération, 23 juillet 2001.

25. Voir par exemple l’art. 5 de la loi, instaurant dans le CGCT un chapitre intitulé : « Participation des habitants et des usagers à la vie des services publics ».

26. art. 2143-2 CGCT. 27. Cf. infra, p. 240.

28. Nouvel art. 2143-1 CGCT, 3e alinéa. Ce texte est très en retrait par rapport au projet initial, qui offrait aux conseils la possibilité de proposer, chaque année, les dépenses susceptibles d’être engagées dans les limites du quartier(art. 2 de l’avant-projet de loi). On est donc assez loin des budgets participatifs dont la gestion de Porto Alegre, au Brésil, est le modèle. Cf. « Enveloppes de quartier, budgets participatifs… Pour une démocratie sonnante et trébuchante », Territoires, n° 416, mars 2001 (n° spécial sur les budgets

Les développements juridiques de la notion de « citoyenneté locale » restent, en l’état actuel du droit positif, limités ; ils n’en permettent pas moins cependant de montrer deux aspects centraux de la nouvelle conception juridique de la citoyenneté. En premier lieu, le résultat indéniable de l’émergence des notions de démocratie et de citoyenneté locales est la prise en compte de la situation quotidienne des citoyens : les droits qui leur sont reconnus du fait de leur qualité de citoyen doivent trouver un prolongement au niveau de leur vie quotidienne, c’est-à-dire locale et tout particulièrement municipale. En second lieu, le contenu de la citoyenneté locale, axé notamment sur la participation à la décision, ou tout au moins sur le rapprochement de cette décision des citoyens traduit l’émergence d’une citoyenneté active, c’est-à-dire du développement de formes non représentatives de participation au pouvoir ; du fait même, il s’agit d’un retour à une définition de la citoyenneté comme ensemble des modalités de participation des citoyens à l’expression et/ou l’exercice du pouvoir29.

Dans le document La citoyenneté administrative (Page 193-196)

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