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Extension des titulaires des droits politiques et extension de la citoyenneté

Dans le document La citoyenneté administrative (Page 81-84)

L’extension des droits politiques5, entendus au sens strict de droits électoraux, touche essentiellement deux catégories de personnes : les femmes et les indigènes des colonies. La

4. LAFERRIÈRE (J.), Manuel de Droit constitutionnel, Paris 1947, Domat-Montchrestien, 2e éd., p. 470-471. 5. Ce n’est pas ici le lieu de rappeler l’histoire de l’extension du suffrage, qui a d’ailleurs été étudiée à de très

nombreuses reprises ; parmi les études récentes, Cf. en particulier ROSANVALLON (P.), Le sacre du citoyen. Histoire du suffrage universel en France, Paris 1992, Gallimard, Coll. nrf-Bibliothèque des histoires .

prise en compte par la doctrine de cette extension des droits de citoyenneté ne soulève ni difficulté majeure, ni discussions passionnées : la jouissance des droits politiques confère aux femmes et aux indigènes la qualité de citoyen. Cette affirmation appelle deux séries de remarques préliminaires. En premier lieu, une telle analyse confirme que ce n’est plus l’octroi constitutionnel de la citoyenneté qui emporte attribution des droits politiques, mais la possession des droits politiques qui détermine la qualité de citoyen. En second lieu, la nationalité devient une condition, non forcément nécessaire et dans tous les cas insuffisante, de la citoyenneté : si de fait les citoyens se recrutent parmi les nationaux, rien n’empêche désormais, en raison de l’inversion des termes de la définition de la citoyenneté, que des non- nationaux deviennent citoyens si des droits politiques leur sont attribués.

L’octroi de la qualité de citoyen aux femmes atteste de cette évolution. Si elles ne seront définitivement intégrées au corps des citoyens qu’à partir de 19436, puis 19447, les femmes sont cependant considérées très tôt comme ayant « partiellement la qualité de citoyen »8. Une loi du 23 janvier 1898 leur confère ainsi l’électorat aux tribunaux de commerce, mais non l’éligibilité9. Les débats juridiques portant sur l’octroi des droits politiques aux femmes, qu’il ne s’agit pas ici de retracer, ont en effet trait pour l’essentiel au rapport entre électorat et éligibilité. La quasi-totalité de la doctrine, dès le XIXe siècle, s’accorde à penser qu’il n’y a aucune raison objective de traiter différemment les citoyens selon leur sexe en ce qui concerne le droit de vote10. Maurice Hauriou est plus isolé lorsqu’il considère qu’il n’y a pas grand risque à attribuer aux femmes l’éligibilité car « la très grande majorité des épouses et des mères se contenteront, comme la majorité des hommes, d’aller déposer leur bulletin dans l’urne, en se promenant, le dimanche »11

. L’obtention du droit de vote et d’éligibilité au sortir de la Seconde Guerre mondiale ne soulèvera en revanche dans la doctrine aucune difficulté particulière : on considérera simplement qu’elles ont acquis la qualité de citoyen de plein exercice12.

La situation des indigènes des colonies est un peu plus complexe. Les colonies étant partie intégrante du territoire français, leurs ressortissants devraient logiquement être considérés comme Français et les hommes de plus de vingt et un ans comme citoyens. Dans la Constitution de 1848, par exemple, il est indiqué que « le territoire de l’Algérie et des colonies est déclaré territoire français »13

et la représentation des colonies et de la métropole est prévue de façon indistincte14. Pourtant, tant la doctrine juridique que les Pouvoirs publics

6. L’art. 21-1° du Projet constitutionnel de novembre 1943 indiquait que « sont électeurs aux Assemblées nationales les Français et Françaises, nés de père français, âgés de vingt-cinq ans, jouissant de leurs droits civils et politiques ». Mais l’éligibilité n’était accordée que pour les élections infra-nationales : art. 21-4° : « les Françaises, nées de père français, âgées de vingt-cinq ans, jouissant de leurs droits civils et politiques, sont éligibles à ces conseils [provinciaux, départementaux et municipaux] » .

7. Ordonnance du Gouvernement provisoire du 21 avril 1944.

8. HAURIOU (M.), Précis de Droit constitutionnel, Paris 1923, Sirey, 1ère éd., p. 101, note 3.

9. On rappellera que pour la doctrine classique les droits électoraux sont des droits politiques appartenant au citoyen, quel que soit le type d’élection auquel ils se rapportent (Cf. supra, p. 37).

10. BARTHÉLÉMY (J.), Le vote des femmes, Paris 1920.

11. HAURIOU (M.), Précis de Droit constitutionnel, Paris 1929, Sirey, 2e éd., p. 627. 12. En ce sens, LAFERRIÈRE (J.), op. cit., p. 469.

13. art. 109 de la Constitution de 1848.

14. art. 21 : « Le nombre total des représentants du peuple sera de sept cent cinquante, y compris les représentants de l’Algérie et des colonies françaises ».

considèrent que si « les indigènes des colonies font partie de la communauté française » ils le sont « en général, avec un titre inférieur. Ils sont sujets ou ressortissants français. Ils ne sont pas citoyens français, du moins en principe »15

. Ce n’est pas ici le lieu de développer le droit colonial, notamment électoral, et on tentera seulement de déduire un certain nombre de caractéristiques de la « citoyenneté coloniale »16. Ces remarques s’articuleront autour des deux points suivants : il existe des Français par détermination de la Constitution (mâles et majeurs de surcroît) qui ne sont pas citoyens ; mais en même temps, cette non-citoyenneté, qui constitue le cas général, souffre des exceptions : il y a par conséquent des indigènes qui sont citoyens.

Pour refuser la qualité de citoyen aux indigènes, et par conséquent les droits politiques, le principal argument avancé est qu’ils ne jouissent pas des droits civils français : seule la renonciation à leur statut personnel peut entraîner cette qualité. En effet, la condition fixée pour être électeur par la Constitution du 4 novembre 1848 est la jouissance des « droits civils et politiques » : l’exercice des droits politiques suppose la jouissance des droits civils. Seuls les renonçants pourront donc accéder à la citoyenneté française. Contrairement à ce raisonnement, la Cour de cassation affirme que les indigènes des établissements français de l’Inde sont citoyens français, même s’ils n’ont pas renoncé à leur statut civil17. Ils ne jouiront cependant de l’ensemble des droits de citoyen, et particulièrement des droits électoraux, que s’ils renoncent à ce statut personnel18. Ce raisonnement de la haute juridiction est révélateur de l’absence de définition stricte de la citoyenneté : la jouissance des droits civils français n’est pas une condition de la citoyenneté, mais de l’exercice des droits politiques, c’est-à-dire électoraux.

Certains indigènes, en raison d’éléments « objectifs » ou de mesures discriminatoires, jouissent cependant de la totalité des droits politiques et sont par conséquent considérés comme citoyens. La doctrine considère tout d’abord que les habitants des colonies françaises qui s’établissent sur le territoire de la métropole jouissent des droits politiques au même titre que les citoyens français d’origine19 : ce qui est un raisonnement curieux dans la mesure où l’exclusion des indigènes de l’exercice des droits politiques est fondée par ailleurs sur des considérations ratione personae et non ratione loci. Des mesures ponctuelles donnent ensuite à certains indigènes la qualité de citoyen : outre les quatre communes de plein exercice du

15. BARTHÉLÉMY (J.), DUEZ (P.), Traité de Droit constitutionnel, Paris 1933, Dalloz, p. 287.

16. Pour ce faire, on renverra à l’ouvrage classique de SOLUS (H.), Traité de la condition des indigènes en droit privé, Sirey 1927, 591 p. ; Cf. également GUILLAUME (S.), « Citoyenneté et colonisation », in Citoyenneté et nationalité, op. cit., p. 123-137, et, malgré son caractère idéologique très marqué et quelque peu dépassé, HESSE (P.-J.), « Citoyenneté et indigénat », in KOUBI (G.), dir., De la citoyenneté, Paris 1995, Litec, p. 69 et s.

17. Cass., 6 mars 1883.

18. Cass., 13 mai 1901 : « Attendu que […] le législateur n’a nullement entendu restreindre les effets de la renonciation au seul territoire de la colonie, mais a voulu, au contraire, assimiler, d’une manière générale, l’indigène ayant répudié définitivement son statut personnel au citoyen français ; que, par suite, l’Indien renonçant est autorisé à se prévaloir, en tous lieux, des droits attachés à la qualité de citoyen ». Cf. PIERRE

(E.), op. cit., p. 177. L’article 82 de la Constitution de 1946 mettra (théoriquement) un terme à cette jonction entre possession des droits civils français et citoyenneté : « Les citoyens qui n’ont pas le statut civil français conservent leur statut personnel tant qu’ils n’y ont pas renoncé. Ce statut ne peut en aucun cas constituer un motif pour refuser ou limiter les droits et libertés attachés à la qualité de citoyen français ». 19. LABORI (F.), Répertoire encyclopédique du Droit français, Paris 1891, Gazette du Palais, t. V, art. Droits

Sénégal20, le décret Crémieux du 24 octobre 1870 accorde aux juifs d’Algérie la pleine citoyenneté21, mais de telles attributions de la citoyenneté, en raison du territoire ou de la personne, sont cependant relativement rares. Ce ne sont que la loi Lamine-Gueye du 7 mai 1946, adoptée par l’Assemblée constituante, puis l’article 80 de la Constitution du 27 octobre 194622, dont la portée concrète n’a pas été considérable23, qui attribuent les droits électoraux et par suite la citoyenneté aux ressortissants des territoires d’outre-mer.

À la fin de la première moitié du XXe siècle, il est donc indiscutable que les femmes et les indigènes (dans une proportion moindre pour ces derniers) ont acquis la jouissance des droits politiques et possèdent par conséquent la qualité de citoyen. Il faut cependant remarquer que pendant toute la période de conquête de ces droits, la doctrine a pu considérer qu’il pouvait exister des degrés de la citoyenneté, au sommet desquels se situerait la citoyenneté optimo jure réservée aux Français majeurs non frappés d’interdiction. Reprenant à son compte les distinctions de la Constitution de 1791, elle estimait que « la communauté française, à côté des électeurs qu’on peut appeler citoyens actifs, comprend des citoyens passifs (non-électeurs) et même des sujets (indigènes des colonies). Des citoyens actifs, on pourrait même encore distinguer les citoyens complets, ceux qui sont à la fois électeurs et éligibles »24

. Le caractère progressif de l’attribution des droits politiques a ainsi entraîné un éclatement de la notion de droits politiques, phénomène qui est considérablement amplifié en ce qui concerne les droits civiques.

Dans le document La citoyenneté administrative (Page 81-84)

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