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La recherche du contenu de la citoyenneté

Dans le document La citoyenneté administrative (Page 33-36)

S ECTION 1 : S OURCES

B. La recherche du contenu de la citoyenneté

Devant le manque de précisions constitutionnelles, la doctrine va rechercher d’autres sources lui permettant de définir la citoyenneté. Cette recherche, effectuée principalement par des auteurs de droit privé, aura pour objet presque exclusif les droits civiques, dont la détermination se trouve directement ou indirectement explicitée dans les codes napoléoniens (au premier chef le code civil, mais également le code de procédure civile et le code pénal), ou dans quelques dispositions non codifiées. Cependant, c’est bien le code civil45, et plus précisément les débats autour de son article 7, qui va fixer la méthode d’élaboration des droits civiques.

L’article 7 du Code civil, dans sa rédaction originelle, dispose que « l’exercice des droits civils est indépendant de la qualité de Citoyen, laquelle ne s’acquiert et ne se conserve que conformément à la loi constitutionnelle », ce que complète l’article 9, qui précise que « tout individu né en France d’un étranger pourra, dans l’année qui suivra l’époque de sa majorité, réclamer la qualité de Français […] »46

. Il est donc très clair, à s’en tenir au seul texte, d’une part que les termes citoyen et Français ne sont pas équivalents, et, d’autre part, que les droits du citoyen, qui doivent être définis par la Constitution, sont distincts des droits civils. Mais la

43. Ce raisonnement, pour curieux qu’il puisse paraître, n’en est pas moins tenu par la totalité des civilistes (à l’exception de Proudhon et de Toullier) et par une partie des publicistes.

44. MERLIN, Répertoire, préc., 5e éd. 1927, art. Témoin instrumentaire. Le répertoire fait référence à un arrêt de la Cour royale de Bourges (19 août 1824, Journal des Audiences de la Cour de cassation, 1825, II, p. 62), qui juge que la non-inscription sur les registres civiques résulte d’un défaut de diligence de l’État. 45. C’est dans les commentaires du Code Napoléon que l’on trouve en effet les premiers énoncés structurés du

contenu des droits civiques, puis dans les encyclopédies juridiques générales, alors que les encyclopédies ou traités de droit public restent, jusqu’à la moitié du siècle, totalement muets sur le sujet.

46. Code civil des Français. Edition originale et seule officielle, Paris, An XII-1804, Imprimerie de la République. Les soulignements sont de l’original.

description de ce que sont ces droits ne se trouve nulle part dans le Code ; il faut donc, pour tenter de cerner ce qu’ils recouvrent, se référer aux travaux préparatoires.

Ceux-ci ne sont à première vue pas d’un grand secours. Dès le premier projet du Gouvernement47, ce qui deviendra l’article 7 est présent dans sa forme définitive. Lorsque le projet est présenté pour avis au Tribunal de cassation, celui-ci ne discute même pas cet article48. Seul l’exposé des motifs, par le tribun Gary, développe quelque peu la conception des rédacteurs du Code civil : les « droits politiques […] sont réglés et assignés par la Constitution, ils forment le droit de cité, que les romains appelaient le jus civitatis ; ils composent la liberté politique et constituent le citoyen, en prenant ce mot dans son acception stricte et rigoureuse […]. La jouissance des droits politiques suppose celle des droits civils ; mais la jouissance des droits civils ne suppose pas celle des droits politiques : ainsi on ne peut pas être citoyen en France sans être Français, mais on peut être Français sans être citoyen en France »49

. L’idée fondamentale qui préside à la rédaction de cet article est donc bien la nécessité d’une clarification, après la « confusion » engendrée tout à la fois par l’usage impropre du terme de citoyen sous la monarchie, mais aussi (surtout ?) par l’extension inconsidérée des titulaires des droits civiques opérée par la Constitution de 1793. C’est le motif qui est d’ailleurs explicitement présenté devant le Conseil d’État : « cet article est nécessaire, parce que la législation ancienne confondait les droits civils avec les droits politiques, et attachait aux mêmes conditions l’exercice des uns et des autres »50

.

Pourtant, la clarification opérée par l’article 7 est loin d’être évidente, à la fois dans la lettre du texte et dans l’esprit de ses rédacteurs. D’une part en effet, les dispositions qui suivent immédiatement cet article viennent en partie le contredire : si les droits civils n’appartiennent effectivement par principe qu’aux seuls Français, l’article 12 du projet (art. 9 du Code) prévoit, par un système certes complexe, la possibilité pour un étranger d’acquérir les droits politiques « par une déclaration de se fixer en France sans l’aveu du gouvernement et par une résidence de dix ans. La Constitution sera facile et débonnaire à cet excès pour les droits constitutionnels qui lui appartiennent »51

. Il est donc en soi possible d’être citoyen sans jouir des droits civils et donc d’être étranger et citoyen à la fois, si l’on rapporte la preuve d’un domicile de 10 ans, même non enregistré, sur le territoire national. La qualité de citoyen est effectivement distincte de celle de Français, et contrairement à l’interprétation qu’en donnent par ailleurs les auteurs eux-mêmes du Code, ce n’est pas forcément chez les seuls Français que se trouvent les citoyens. D’autre part, la confusion s’installe chez les auteurs du Code, qui utilisent parfois le terme citoyen dans un sens distinct de celui de Français, et parfois dans un sens équivalent. C’est ainsi que lors de la discussion devant le Tribunat, un

47. Séance du 24 thermidor an VIII (FENET (A.), Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, Paris 1836, 2e éd., Videcoq, t. 2, p. 9).

48. FENET (A.), Recueil…, op. cit., t. 2, p. 421.

49. Présentation au Corps législatif, 11 frimaire an X (2 décembre 1801), FENET (A.), op. cit., tome 7, p. 138- 139.

50. « L’article est adopté ». (intervention de Tronchet). Ce sont les seuls mots de discussion de l’article 7 devant le Conseil d’État, lors de la séance du 14 thermidor an IX : Procès-verbal du Conseil d’État concernant la discussion du Code Napoléon, Paris 1808, Imprimerie Impériale, 2e éd., t. 1, p. 48-49. 51. Communication officielle au Tribunat, Rapport Siméon, 25 frimaire an X (16 décembre 1801), FENET (A.),

orateur évoque la possibilité de devenir « citoyen français par la déclaration prescrite, après un an de séjour »52

, alors que la disposition évoquée (l’art. 9 du Code) traite de l’accès à la qualité de Français, qui se fait effectivement, de façon assez simple, par l’écoulement d’un délai d’un an après l’établissement du domicile sur le territoire national, si cet établissement a été enregistré. On voit donc que l’article 7 du Code civil n’a rien de la disposition cruciale et fondatrice que la doctrine voit pourtant en lui.

Pourquoi alors la doctrine se focalise-t-elle autant sur un article 7 d’un intérêt apparemment très relatif ? La raison en est simple : cet article est, en l’absence de &détermination constitutionnelle de la qualité de citoyen, le seul texte qui fasse une référence explicite au citoyen, à partir de laquelle on pourra déduire non pas les droits politiques (au sens de droits électoraux) mais les droits civiques, c’est-à-dire les droits pour lesquels la qualité de citoyen est exigée par des dispositions spécifiques. Deux remarques doivent être effectuées à ce propos. Si la référence à l’article 7 se trouve chez tous les auteurs (de droit public comme de droit privé), ce sont bien les enseignants de droit civil qui, à l’occasion des commentaires du Code civil et spécifiquement de cet article 7, vont construire la notion de droits civiques. La seconde remarque a trait aux termes employés par la rédaction originaire du Code, qui emploie l’expression « qualité de citoyen » ; Faute de pouvoir cerner avec précision les conditions d’accès à la qualité de citoyen en raison de l’incertitude des textes constitutionnels, la doctrine s’intéressera exclusivement aux droits qui en découlent, en concentrant ses recherches sur les droits dont le contenu est déterminé : si on sait parfaitement ce que signifient les droits électoraux, leur mise en œuvre est encore trop fluctuante pour faire l’objet de développements systématiques ; les auteurs s’intéresseront donc principalement aux droits spécifiquement civiques, dont l’étendue est peut-être plus incertaine (la frontière entre droits civiques et droits politiques d’une part, droits civils de l’autre est malaisée à déterminer), mais dont le contenu exact est, du fait de sa forte intensité juridique, beaucoup plus facile à expliciter.

Le premier élément qui ressort assez nettement de ces sources de la citoyenneté est donc leur relative indifférence au problème de la « nationalité ». La préoccupation principale des Constitutions révolutionnaires et, en négatif, du Code civil est de définir quels sont les individus qui peuvent participer à la désignation ou l’exercice du pouvoir : alors que le premier élément qui vient à l’esprit en droit contemporain pour un tel accès est la possession de la qualité de national — à l’époque de Français —, cette référence est pour ainsi dire absente des textes révolutionnaires (à l’exception de la Constitution de 1795) et des écrits doctrinaux. « Dans les Constitutions révolutionnaires de 1791 et 1793, écrit P. Weil, l’intention des constituants semble avoir été l’inverse de celle qui domine aujourd’hui dans notre législation : l’étranger accédait à la citoyenneté, et, en conséquence, acquérait la

52. Opinion du tribun MATHIEU contre le projet, séance du 11 nivose an X (2 janvier 1802), FENET (A.), op. cit., tome 7, p. 585.

nationalité »53

. Alors qu’il n’était pas explicitement déterminé dans les textes eux-mêmes, c’est pourtant bien ainsi la possession du contenu juridique de la citoyenneté qui permettait de déterminer qui était citoyen et, par suite, qui pouvait prétendre obtenir la qualité de Français.

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