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Les conséquences de la reconnaissance de droits des citoyens

Dans le document La citoyenneté administrative (Page 59-62)

S ECTION 3 : V ALEUR

B. Les conséquences de la reconnaissance de droits des citoyens

Que l’on suive l’une ou l’autre des théories qu’on vient de rappeler, la qualité de citoyen entraîne pour son bénéficiaire la jouissance d’un véritable statut de citoyenneté. Ces deux approches ont en effet en commun de reconnaître très nettement que le citoyen possède en propre un ensemble de droits, un statut juridique. Mais le contenu de ces droits varie considérablement selon qu’on considère qu’ils sont le prolongement des droits que chaque individu possède en sa simple qualité d’homme ou qu’ils sont définis par ceux auxquels le titulaire de la souveraineté a conféré le pouvoir d’en déterminer l’étendue.

1. Droits du citoyen et droits publics subjectifs

Considérer que le statut du citoyen lui attribue des droits qui lui sont propres oblige à soulever la question des droits subjectifs. Pour cette partie de la doctrine qui refuse de voir dans l’État la source des droits du citoyen, l’origine de ces derniers ne peut se trouver que dans les citoyens eux-mêmes, ce qui n’est pas sans soulever un certain nombre de difficultés :

163. Cf. BATBIE (A.), Précis du cours de Droit public et administratif, 2e éd., Paris 1864, Cotillon, 691 p. (1ère partie : Droit public et constitutionnel ; Chapitre premier : « Droits garantis aux citoyens »).

164. En ce sens, il s’agit bien d’un droit civique.

165. CARRÉ DE MALBERG (R.), op. cit., t. 1, p. 320, note 10. 166. Voir cependant DUGUIT (L.), loc. cit.

il faut accepter tout d’abord que l’individu dispose de droits subjectifs, qu’il existe ensuite des droits publics subjectifs, et enfin que les droits de citoyenneté soient différents des droits de l’individu, alors même que ces derniers en sont la source.

La question des droits subjectifs a toujours divisé la doctrine168, non seulement entre défenseurs et négateurs de l’existence même de ces droits, mais également, à l’intérieur même de ceux qui considèrent acquise cette existence, selon leur nature (puissance de volonté ou intérêt juridiquement protégé). Les débats sur la nature des droits subjectifs ne concernant que très indirectement le sujet ici développé, on adoptera la définition synthétique et par là même susceptible de critiques proposée par Roger Bonnard, selon lequel « le droit subjectif est le pouvoir d’exiger de quelqu’un, en vertu d’une règle de droit objectif, quelque chose à laquelle on a intérêt, sous la sanction d’une action en justice ; le contenu de la chose revendiquée étant fixé immédiatement soit par le droit objectif, soit par un acte juridique individuel »169

. L’idée principale que l’on retiendra de cette définition est son exigibilité, et par conséquent son opposabilité à toute personne, privée ou publique. Le titulaire des droits subjectifs en est par conséquent le propriétaire170.

L’existence de droits subjectifs n’entraîne pas pour autant celle de droits publics subjectifs, c’est-à-dire de droits qui sont « opposables dans les rapports juridiques entre l’État et les particuliers »171

. Si l’existence de droits privés subjectifs (exigibles dans les relations interindividuelles) était déjà contestable, celle de droits publics subjectifs l’est plus encore, dans la mesure où, d’une part le citoyen n’est pas totalement extérieur à l’État, d’autre part l’individu ne devient citoyen que par son intégration au peuple souverain. Par conséquent, si l’individu ne devient citoyen qu’à partir de son insertion dans la communauté nationale, il semble difficile qu’il puisse se prévaloir de droits politiques antérieurs à l’État. La solution de cette contradiction réside dans la dissociation de la possession et de l’exercice des droits civiques, suivant un raisonnement en deux temps.

Il faut d’abord constater que le suffrage, expression la plus achevée des droits politiques, est compris comme un droit, et non seulement comme une fonction. Il ne sert donc à rien de continuer à refuser de considérer la réalité pour ce qu’elle est et, si « les droits politiques ne sont pas aussi largement reconnus que les droits individuels, étant tout au moins restreints aux nationaux […] cela ne les empêche point d’être individuels ; […] De ce que les droits politiques sont des fonctions sociales, il ne s’ensuit pas qu’ils ne soient pas en même temps des droits individuels »172

. Quitte à reconstruire les catégories juridiques existantes, il faut

168. Sur les controverses relatives aux droits publics subjectifs, cf. FOULQUIER (N.), Les droits subjectifs des administrés. Émergence d’un concept en droit administratif français du XIXe au XXe siècle, Thèse Droit public, Paris I, 2001, 843 p.

169. BONNARD (R.), « Les droits publics subjectifs des administrés », RDP, 1932, p. 707. Cette définition est remarquable par la façon dont elle reprend à son compte toutes les contradictions des droits subjectifs, en supposant que l’unification en une même formule d’options théoriques radicalement opposées les rendra par le fait même compatibles.

170. C’est par ce raisonnement que l’on aboutit à l’idée de droits subjectifs de l’État, dont celui-ci est également propriétaire. Cf. DUCROCQ (T.), De la personnalité civile de l’État d’après les lois civiles et administratives de la France, Paris 1894, Train, p. 13-19.

171. BONNARD (R.), loc. cit., p. 697.

donc accepter, par réalisme juridique, de considérer les droits du citoyen comme des droits individuels.

On s’interrogera ensuite sur l’inégale répartition des droits de citoyenneté : s’il s’agit de droits subjectifs, pourquoi les réserver à quelques individus seulement ? La réponse est simple : « La jouissance des droits civiques et politiques constitue la qualité de citoyen, par conséquent, puisque ces droits sont individuels, la qualité de citoyen n’est que l’un des aspects de l’être moral individuel, elle préexiste en lui, elle n’est pas une concession sociale. Mais cette qualité ne se confond point avec celle de sujet français, elle peut se révéler à côté ou ne pas se révéler »173

. Tout homme est donc un citoyen en puissance, dispose en lui-même des attributs du citoyen, mais ces attributs ne se révéleront en lui que par l’attribution légale de la qualité de citoyen ; in fine, c’est donc bien la reconnaissance de l’existence des droits du citoyen par l’État qui manifeste en lui l’existence du titre effectif de citoyen.

Les droits de citoyenneté constituent donc une catégorie spécifique de droits subjectifs, en ce que, du fait de leur caractère mixte (droit et fonction), ils sont « des droits individuels représentatifs »174. La contradiction inhérente à la transposition de la théorie des droits subjectifs à la citoyenneté se trouve donc ainsi résolue, en apparence du moins, par la construction d’une définition ad hoc de ces droits.

2. Droits du citoyen et statut juridique

Même si l’on admet que les droits politiques sont accordés par l’État ou par la Constitution qui l’institue, la contrepartie de l’origine étatique des droits politiques est l’instauration, au profit du citoyen, d’un statut civique, et ce à un double titre.

Il faut d’abord considérer que « toute règle émise à l’effet de régir l’activité étatique, même à l’intérieur de l’appareil administratif, constitue un élément de l’ordre juridique de la collectivité des citoyens »175

. La Constitution, l’organisation des pouvoirs publics, toute règle relative aux institutions, concernent directement les citoyens, et sont donc des éléments de leur droit ; le droit de l’État est en même temps le droit des citoyens.

Le statut du citoyen est en outre constitué, conformément à l’idée émise à propos de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, par les droits garantis par l’État. C’est chez Hauriou que cette idée de statut se trouve le plus développée. « L’état et la capacité constitués par la jouissance de l’ensemble des droits individuels sont une sorte de propriété, la liberté du domicile est aussi bien la propriété du domicile, la liberté de pensée a engendré la propriété littéraire, celle du travail et de l’industrie la propriété industrielle, la liberté de la presse a créé la propriété du journal, etc. La forme propriété semble l’aboutissant naturel de la liberté individuelle. Par là même, ces droits individuels constituent un statut, ils sont le statut du sujet français, du citoyen, de l’habitant, etc. […] Le statut est à la fois personnel et territorial »176

.

173. Ibid., p. 101.

174. Ibid., p. 99-100.

175. CARRÉ DE MALBERG (R.), op. cit., t. 2, p. 321. 176. HAURIOU (M.), op. cit., p. 96, note 1.

Il importe enfin de noter que le statut ainsi développé n’est pas très différent d’un statut civil. Lorsque Hauriou décrit ce qui « constitue le statut du citoyen français », il évoque « l’ensemble de ces institutions juridiques objectives » que sont le droit romain, les chartes des villes, la grande Charte, la Déclaration des droits de l’homme — tous textes octroyés par le pouvoir constitué —, qui se traduisent par les droits individuels de propriété, de liberté, d’égalité177, et non de participation à la chose publique. Ce qui peut sembler ainsi curieux s’explique pourtant par le fait que les droits civiques deviennent tels par le seul fait que l’État les garantit, ce qui permet l’intégration successive de droits considérés comme privés au corpus de la citoyenneté178.

Résumant la querelle sur l’existence de droits publics subjectifs, Boris Mirkine- Guetzévitch soulignait que peu importait au fond que les droits des citoyens soient des droits subjectifs ou découlent du droit objectif de l’État : l’essentiel est qu’ils entraînent des devoirs de l’État179. Tel est bien le cas ici : quelle que soit l’origine qui lui est attribuée, le statut de citoyen est constitué d’un ensemble de droits, politiques et civiques, garantis et protégés par l’ordre juridique étatique.

Dans le document La citoyenneté administrative (Page 59-62)

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