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Citoyenneté et vie quotidienne

Dans le document La citoyenneté administrative (Page 144-147)

S ECTION 1 : C ITOYENNETÉ ET APPARTENANCE

B. L’affirmation du caractère concret de la citoyenneté

3. Citoyenneté et vie quotidienne

L’ancrage du citoyen n’est pas seulement territorial, il est aussi social. Le phénomène de concrétisation de la citoyenneté a donc également touché le domaine « social »95, suivant un

92. Ce qui n’interdit aucunement, conformément à l’article 18 du Traité, qu’une vérification de la nationalité d’une personne prétendant posséder la nationalité d’un État membre soit vérifiée dans des conditions différentes de celles appliquées dans l’État dont il est ressortissant. Cf. CJCE, 21 septembre 1999, C- 378/97, Florus Ariël Wijsenbeek : « En l'état du droit communautaire applicable au moment des faits au principal, ni l'article 7 A ni l'article 8 A du traité ne s'opposaient à ce qu'un État membre oblige, sous peine de sanctions pénales, une personne, citoyen ou non de l'Union européenne, à établir sa nationalité lors de son entrée sur le territoire de cet État membre par une frontière intérieure de la Communauté, pourvu que les sanctions soient comparables à celles qui s'appliquent à des infractions nationales similaires et ne soient pas disproportionnées, créant ainsi une entrave à la libre circulation des personnes »

93. CJCE, 24 novembre 1998, 274/96, Horst Otto Bickel et Ulrich Franz, Rec., p. I-7637. Les décisions CJCE, 12 mai 1998, C-85/96, Martinez Sala et Freistaat Bayern, Rec. p. I-2691, et CJCE, 11 avril 2000, C- 356/98, Arben Kaba vont dans le même sens à propos de questions différentes, même si ce dernier arrêt reconnaît la possibilité de limitation au droit de séjour permanent sur le territoire, ces limitations étant envisagées par l’article 18 du Traité.

94. AUBIN (E.), « Le conseil constitutionnel face au concept de citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie », LPA, n° 193, 28 septembre 1999.

95. C’est à dessein que le terme « social » est ici employé, compte tenu de la référence faite en tant que notion fédérative à la citoyenneté sociale, qui englobe les notions de citoyenneté dans l’entreprise et, en un certain

développement proche de celui de la citoyenneté locale ; la citoyenneté sociale a en effet été promue par les mouvements autogestionnaires, et s’est concrétisée lors des réformes mises en œuvre par le gouvernement de Pierre Mauroy. Le thème de la citoyenneté sociale apparaît au moment de la discussion des projets de loi Auroux, relatifs aux droits de salariés96, textes constituant la base de la « citoyenneté dans l’entreprise » qui est l’un des éléments de l’ancrage juridique de la nouvelle citoyenneté. Cependant, contrairement à l’idée de citoyenneté locale ou de proximité, les promoteurs de la nouvelle citoyenneté restent plus évasifs quant au contenu précis de la citoyenneté sociale.

Au premier abord, la signification attachée par ses défenseurs à la citoyenneté sociale laisse sur un sentiment d’insatisfaction. Toute action sociale (de même que toute politique publique) semble pouvoir être qualifiée de citoyenne, sans que cette qualification ait une influence sur son contenu. Pourtant, cette confusion sémantique traduit un aspect particulier de la nouvelle citoyenneté : la jouissance effective de l’égalité des droits est la condition de l’exercice de la citoyenneté. Cet aspect n’est pas véritablement nouveau : l’idée républicaine de citoyenneté, comme l’a montré Pierre Rosanvallon, est en effet consubstantielle à la fois à l’idée de Nation et à celle de redistribution : le lien social qui fonde la communauté politique ne trouvant plus son fondement dans l’allégeance à un État, mais dans l’adhésion à une idée (le contrat de citoyenneté), l’unique manifestation concrète en même temps que le moyen du maintien de cette citoyenneté est constituée par les processus de redistribution des richesses — par la solidarité. Le citoyen n’est alors autre que l’« actionnaire de la grande entreprise sociale »97

; et plus le projet républicain (national) devient abstrait, plus grande devient la nécessité de renforcer un lien social non finalisé, mais toujours plus concret et économique. En ce sens, la citoyenneté sociale, telle que réclamée par les partisans de la nouvelle citoyenneté, est le prolongement de la conception républicaine.

La seconde signification attachée à la notion de citoyenneté sociale est différente : il s’agit d’une transposition de la conception classique de la citoyenneté aux relations de travail. La notion de citoyenneté sociale se trouve alors à l’intersection de trois éléments : l’appartenance à une collectivité donnée (communauté de travail), la participation à la vie de cette collectivité, la jouissance d’un statut protecteur98. Cette signification reste cependant très liée à la précédente : la jouissance d’une citoyenneté sociale « autonome » est un moyen de parvenir à la pleine citoyenneté.

sens, de citoyenneté administrative ou d’ « environnement citoyen ». Pour un exposé de l’émergence « du social », Cf. DONZELOT (J.), L’invention du social. Essai sur le déclin des passions politiques, Fayard 1984, 263 p.

96. Loi n° 82-689 du 4 août 1982 relative aux libertés des travailleurs dans l’entreprise, JO, 6 août 1982, p. 2518-2520. Cf. infra, p. 196.

97. SIEYÈS (E.), Préliminaire de la Constitution. Reconnaissance et exposition raisonnée des Droits de l’Homme et du Citoyen, 20-21 juillet 1789, in RIALS (S.), La déclaration des droits de l’homme et du citoyen, Hachette 1988, coll. Pluriel, p. 600.

98. LAUTIER (B.), « Citoyenneté et politiques d'ajustement. Quelques réflexions théoriques suscitées par l'Amérique latine », in La citoyenneté sociale en Amérique latine, Bruxelles-Paris 1996, CELA- L'Harmattan, p. 36.

Les implications pratiques de la citoyenneté sociale sont particulièrement imprécises. Comme le souligne Yves Madiot, « à l'inverse de la citoyenneté politique, nettement déterminée par des droits qui fixent l'appartenance d'un individu à une Communauté politique, la citoyenneté sociale n'a pas d'existence juridique clairement établie »99

. Pourtant, si l’on considère la théorie de la nouvelle citoyenneté dans son ensemble, les rapports existant entre citoyenneté sociale et citoyenneté politique sont particulièrement ambigus. Compte tenu des divers éléments qui la caractérisent et que l’on vient d’évoquer, la citoyenneté sociale n’est pas présentée comme une « citoyenneté par analogie » ; deux citoyennetés coexistent donc, concernant deux sphères d’activité distinctes et englobant des activités séparées des individus, interprétation qui permettrait de sauvegarder l’autonomie de chaque forme de citoyenneté. La difficulté est que « parce qu'elle enveloppe l'individu dans ses diverses activités (éducatives, professionnelles, familiales...), la citoyenneté sociale dépasse la citoyenneté politique et l'englobe. Il s'est ainsi créé un lien, non juridique mais très fort, entre l'une et l'autre »100

. Même s’il ne faut sans doute pas raisonner ici en termes de substitution, mais de complémentarité, on pourrait dire que, face à la crise de ce qui fondait l’unité politique de la citoyenneté, la solidarité − et l’idée de citoyenneté sociale qui en découle − tend à apparaître comme un ersatz de la citoyenneté.

Ce dernier point soulève cependant une objection que l’on peut adresser, plus généralement, à l’extension de la citoyenneté aux domaines non politiques. La construction d’un État de citoyens s’est faite sur la différenciation des sphères privée et publique : l’homme est individu dans ses relations interindividuelles, et notamment sociales, et devient citoyen au moment où il se détache de ses intérêts pour parvenir à l’énonciation de l’intérêt général. Évoquer l’existence d’une citoyenneté sociale complémentaire de la citoyenneté politique suppose par conséquent que la différence entre les sphères sociale et politique s’estompent, soit que l’intérêt particulier puisse acquérir un statut identique à celui de l’intérêt général, soit que l’individu doive s’abstraire totalement de ses intérêts privés pour accéder à la qualité de « citoyen social ». Une telle dilution des frontières est, ainsi que le souligne E. W. Böckenförde, paradoxalement porteuse d’une crise de la légitimité de l’État101 : alors même que le recours à la notion de citoyenneté sociale (et d’autres formes nouvelles de citoyenneté) a pour vocation de pallier une crise de la citoyenneté nationale (et, ce qui est connexe, de la légitimité de l’État), l’effacement de la frontière séparant État et société civile qu’elle traduit

99. MADIOT (Y.), « La citoyenneté, un concept à facettes multiples », in KOUBI (G.), dir., De la citoyenneté, Paris 1995, Litec, p. 16. Le doyen Madiot ajoutait cependant qu’« elle n'en est pas moins réelle et [qu’]il semble possible de la cerner à partir de trois critères : la dignité humaine, l'utilité sociale et une rémunération ».

100. ibid., p. 17.

101. Cf. BÖCKENFÖRDE (E. W.) « La signification de la distinction entre État et société pour l’État social et démocratique contemporain », in Le Droit, l’État et la constitution démocratique, LGDJ-Bruylant, 2000, p. 176-202. Dans « La naissance de l’État, processus de sécularisation » (ibid, p. 101-118), l’ancien juge à la Cour constitutionnelle fédérale de Karlsruhe précise l’argument en se référant à la séparation entre les sphères publique et privée, le placement de la religion au sein de cette dernière enlevant du fait même la source allogène de légitimité que possédait l’État pour, précisément, déterminer lui-même cette frontière.

porte un discrédit sur l’aptitude de l’État à définir l’intérêt général − et donc sur le fondement de sa légitimité.

§ 2. Une appartenance renforcée

La modification du contenu de la citoyenneté n’affecte pas seulement son assise, mais également sa densité. Un discours politique s’est développé autour de l’idée de cohésion sociale : le thème de la « fracture sociale », très présent dans la campagne des élections présidentielles de 1995, en constitue l’illustration ; c’est ainsi que la citoyenneté a pu être présentée comme « le fondement de la cohésion sociale »102. Ce discours est cependant loin d’être dépourvu d’ambiguïtés, et semble passablement confus, voire influencé par une mode du « tout citoyen » porteuse d’approximations terminologiques.

De telles affirmations soulèvent un certain nombre de difficultés. La conception de la citoyenneté qu’elles traduisent semble très approximative : une confusion est de fait opérée entre la citoyenneté et le civisme ; si les rapprochements effectués entre la citoyenneté et la cohésion sociale ont des conséquences juridiques limitées, il en va différemment de la mise en valeur du civisme ; ce dernier permet l’émergence d’une figure partiellement nouvelle de la citoyenneté, articulée autour de l’idée centrale que la jouissance des droits de citoyens ne suffit pas pour conférer la qualité de citoyen à leurs titulaires, si les moyens juridiques et matériels d’exercer ces droits et, partant, de s’intégrer à la collectivité qui les leur confère, ne leur sont pas fournis. Le civisme et la cohésion sociale constituent de la sorte des conditions d’un renforcement de l’appartenance que manifeste la citoyenneté, avec laquelle elles entretiennent donc un lien étroit. La référence au civisme est développée lorsqu’il s’agit de mettre l’accent sur les devoirs découlant de la qualité de citoyen ou permettant l’exercice de ses droits, tandis que la cohésion sociale est mise en corrélation avec les droits appartenant aux citoyens.

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