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Le contenu des droits civiques des étrangers

Dans le document La citoyenneté administrative (Page 167-174)

S ECTION 2 : P LURALISME DES APPARTENANCES ET UNICITÉ DE LA CITOYENNETÉ

B. L’accès des étrangers aux droits civiques

2. Le contenu des droits civiques des étrangers

Si l’accès aux fonctions publiques constitue bien le principal droit civique en voie d’ouverture aux étrangers ou à certaines catégories d’entre eux, le renforcement du statut juridique des étrangers par l’octroi à ces derniers d’une grande partie des droits réservés autrefois aux seuls citoyens français, remet en cause la pertinence de la jonction opérée entre nationalité et citoyenneté.

a. L’accès aux fonctions publiques

L’exercice de fonctions publiques était, pour la doctrine classique, le droit civique par excellence, en ce qu’il fait participer directement ceux qui les accomplissent au pouvoir ; la citoyenneté étant liée à la nationalité, il était dès lors tout à fait logique que les étrangers ne puissent accéder à ces fonctions : « L’aptitude à être fonctionnaire constitue un droit civique dont l’étranger n’a pas la jouissance »195

. Toutefois, cette position originelle d’une inaptitude radicale de l’étranger à l’accès aux fonctions publiques doit être nuancée, et elle se trouve remise en question de façon très importante sous l’influence du droit communautaire196.

Il faut en effet se garder d’une interprétation trop hâtive. Comme on l’a souligné plus haut, dès le XIXe siècle, une partie de la doctrine opère une distinction à l’intérieur des fonctions publiques, entre les fonctions d’autorité et les fonctions d’exécution ou de gestion, l’exigence de citoyenneté se rapportant seulement aux premières. L’analyse que tenait la doctrine était la suivante : certaines fonctions sont ou doivent être raisonnablement ouvertes à des non-citoyens (il s’agissait pour l’essentiel des femmes) ; or la qualité de citoyen est

qui ont leur siège à l’étranger, ou qui, ayant leur siège en France, sont dirigés en fait par des étrangers, ou bien ont soit des administrateurs étrangers, soit un quart au moins de membres étrangers ». Ces dispositions, placées sous le titre IV de la loi de 1901 (« Des associations étrangères »), résultaient du Décret-loi du 12 avril 1939.

192. Par l’article 2 de la loi n° 81-909 du 5 octobre 1981.

193. BATBIE (A.), Précis du cours de Droit public et administratif, 2e éd., Paris 1864, Cotillon, p. 53-80 (Cf. supra, p. 35).

194. Sur ce point, Cf. CHEVALLIER (J.), op. et loc. cit.

195. BÉQUET (L.), Répertoire du Droit administratif, Paris 1885, Dupont, V° Fonctionnaires publics, n° 101. Cf. supra, p. 39.

196. Pour une vue d’ensemble, Cf. CHAPUS (R.), « Nationalité et exercice de fonctions publiques », in Service public et libertés, Mélanges Charlier, Émile Paul éd., 1981, p. 19 et s.

exigée, notamment, au travers de la notion de droits civiques, par le code pénal, pour l’exercice de ces fonctions ; si ces fonctions sont effectivement exercées par des individus que l’on ne peut considérer comme citoyens, c’est donc qu’elles ne sont pas des fonctions publiques197. Cette distinction se retrouve dans le droit contemporain, tant à propos des non- titulaires qu’en ce qui concerne les fonctionnaires proprement dits.

Les fonctions d’agent non titulaire ont été rendues accessibles aux étrangers tant par la jurisprudence que par la législation. C’est un avis du Conseil d’État198, en 1973, qui a le premier ouvert cette possibilité, position confirmée deux ans plus tard au contentieux199. Parallèlement, un certain nombre de textes réglementaires ont ouvert les fonctions d’agent non titulaire aux étrangers200. L’argumentation de la Haute assemblée consistait à affirmer que « sans préjudice de l’application des dispositions réglementant l’emploi des étrangers aucune disposition législative actuellement en vigueur ni aucun principe du droit français n’interdisent de façon générale de recruter un étranger comme agent de l’État en qualité de contractuel ou d’auxiliaire »201

. Ce raisonnement, qui sera repris par la suite, est contestable à plusieurs titres.

Le Conseil d’État fonde ses décisions et avis sur l’interprétation combinée des articles 16 (exigence de nationalité française) et 1er (l’ordonnance s’applique aux seuls emplois permanents de personnes titularisées) de l’ordonnance du 4 février 1959, ce qui est contestable non seulement au regard d’une conception organique de la fonction publique202, mais surtout parce qu’un tel fondement suppose la « normalisation » des fonctions publiques : l’exigence de nationalité n’est plus une conséquence de la nature civique des fonctions exercées, mais la seule résultante d’une disposition législative particulière. Bien que contestable à d’autres titres, le raisonnement de la doctrine classique était cependant plus logique : l’exclusion des étrangers des fonctions publiques était fondée non sur la nationalité en tant que telle, mais bien sur les droits civiques (par le biais de l’article 34 du Code pénal), les étrangers ne pouvant jouir des droits civiques français. Or l’exigence de la jouissance des droits civiques, maintenue pour les titulaires par le 2° de l’article 5 de la loi du 13 juillet 1983, a été étendue aux non-titulaires par la jurisprudence, en vertu d’un « principe général de valeur législative »203

; mais cette extension est elle-même déconnectée de la citoyenneté française, puisque la jouissance des droits civiques s’apprécie par rapport à l’État dont les candidats aux fonctions sont ressortissants. Il est donc possible d’affirmer que, pour le Conseil d’État (mais également pour le législateur), les fonctions de non-titulaires ne constituent plus des droits de citoyenneté.

197. On notera d’ailleurs que c’est le même raisonnement qui est tenu, de façon certes plus dissimulée, à propos de l’ouverture de la fonction publique aux ressortissants communautaires, tant par la Cour de justice des communautés que par le législateur.

198. CE, 17 mai 1973, avis n° 310 715, Les grands avis du Conseil d’État, Paris 1997, Dalloz, n° 10, note B. STIRN.

199. CE, 20 janvier 1975, Élection des représentants du personnel au conseil d’administration du CES François-Mauriac à Louvres, Rec., p. 40 ; CE, 12 mai 1978, Élection des membres étudiants du conseil d’administration du CROUS de Nancy-Metz, RDP 1978, p. 1148.

200. Pour la fonction publique de l’État, Cf. l’art. 3 du décret du 17 janvier 1986. 201. CE, 17 mai 1973, avis préc.

202. CHAPUS (R.), Droit administratif général, t. 2, Paris 1997, 10e éd., Montchrestien, n° 165, p. 135. 203. CE, 13 novembre 1987, Mekies, Rec., p. 803, RFDA 1988, p. 802, concl. ROBINEAU (Y.).

On tentera cependant une autre analyse : matériellement, les fonctions publiques exe rcées par des non-titulaires n’ont pas été si radicalement modifiées depuis le XIXe siècle que leur nature même en ait été transformée : elles font toujours participer, directement ou indirectement, ceux qui les détiennent à l’exercice, également direct ou indirect, du pouvoir. Il n’y a donc aucune raison de penser que ces fonctions ne constituent plus matériellement un élément de la citoyenneté204 ; simplement, cet élément est désormais ouvert à des étrangers : la citoyenneté continuant par ailleurs à être juridiquement définie par ses conséquences, c’est- à-dire par les droits civiques, est-il dès lors véritablement inconcevable d’affirmer que les étrangers, ayant acquis ce droit civique français que constitue l’accès aux fonctions publiques, sont du fait même considérés comme citoyens partiels ?

Concernant les fonctionnaires titulaires, l’ouverture est plus récente et la situation plus claire. Le statut de 1983, reprenant d’ailleurs les dispositions de l’ordonnance du 4 février 1959, paraît en effet interdire toute introduction d’étrangers dans la fonction publique. L’article 5 de la loi n. 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctio nnaires précise que « Nul ne peut avoir la qualité de fonctionnaire : 1° s’il ne possède la nationalité française »205

. Si une évolution décisive est intervenue en 1991, il faut noter que des textes particuliers avaient déjà ouvert certaines catégories d’emplois de fonctionnaires aux étrangers, sans distinction selon leur pays d’origine206. Sous l’influence de la jurisprudence communautaire, qui, en reprenant d’ailleurs les distinctions de la doctrine classique, ne retient comme réservées aux nationaux de chaque État membre que les seules fonctions correspondant à des « activités spécifiques » de l’administration207, le législateur français a ajouté à la loi de 1983 un article 5-bis, ainsi formulé : « Les ressortissants des États membres de la Communauté économique européenne, autres que la France ont accès, dans les conditions prévues au statut général, aux corps, cadres d’emplois et emplois dont les attributions sont soit séparables de l’exercice de la souveraineté, soit ne comportent aucune participation directe ou indirecte à l’exercice de prérogatives de puissance publique de l’État ou des autres collectivités publiques »208

. De nombreux textes d’application sont venus

204. Faut-il rappeler que la frontière entre les fonctions publiques réservées aux citoyens et celles pour lesquelles aucune exigence de cette sorte n’était réclamée ne passait pas, pour la doctrine classique, entre les emplois de titulaires et ceux de non-titulaires, mais bien, suivant une conception matérielle, à l’intérieur de chaque type de fonctions, entre les activités faisant participer ceux qui les exercent à la puissance publique, et les fonctions ne manifestant pas directement l’action de l’administration ?

205. Les alinéas suivants ajoutent : « 2° S’il ne jouit pas de ses droits civiques ; […] 4° S’il ne se trouve en position régulière au regard du Code du service national […] ».

206. Les fonctions de professeurs et maîtres de conférences des universités entrent notamment dans cette caté gorie (art. 56 de la loi n° 84-52 du 26 janvier 1984 sur l’enseignement supérieur).

207. CJCE, 17 décembre 1980, Royaume de Belgique, AJDA 1981, p. 137, note J. BOULOUIS. L’objectif de ce paragraphe n’étant pas de développer l’évolution, au demeurant fort connue, du droit de la fonction publique, on n’entrera pas plus avant dans l’explicitation de la jurisprudence de la CJCE, ni dans les discussions relatives à la pertinence de l’interprétation que celle-ci effectue de l’article 48§4 du traité de Rome (exclusion des « emplois dans l’administration publique » du principe de libre circulation des travailleurs).

208. Loi n° 91-715 du 26 juillet 1991. La suite de l’article précise les conditions requises, qui sont une transposition des conditions applicables aux nationaux français : « Ils ne peuvent avoir la qualité de fonctionnaire : 1° S’ils ne jouissent de leurs droits civiques dans l’État dont ils sont ressortissants ; 2° S’ils ont subi une condamnation incompatible avec l’exercice des fonctions ; 3° S’ils ne se trouvent en position régulière au regard des obligations de service national de l’État dont ils sont ressortissants […] ». L’art. 26 de la loi n° 94-628 du 25 juillet 1994 élargit cette possibilité aux ressortissants de la principauté

expliciter cette ouverture209 : on estimait ainsi, en 1996, que « 80% des effectifs de la Fonction publique de l’État et 70% de l’ensemble de la fonction publique sont aujourd’hui ouverts aux ressortissants de l’Union européenne »210

; aucun secteur de l’activité administrative n’est a priori réservé aux seuls citoyens français, qu’il s’agisse par exemple des fonctions militaires ou des magistratures211, l’appréciation de l’exigence de nationalité se faisant à partir d’un examen de la nature précise des fonctions en cause212.

L’ouverture aux étrangers du droit civique que constitue l’exercice des fonctions publiques est donc devenue une réalité, même si l’argumentation des juridictions laisse un sentiment d’insatisfaction. D’une part, concernant les emplois de titulaires, la condition de nationalité n’est pas véritablement remise en cause mais simplement élargie : certaines catégories très limitatives d’étrangers se voient reconnaître, en vertu d’un texte particulier, la possibilité d’accéder aux emplois de titulaires, possibilité qui reste donc du registre de l’exception — même si, comme le note É. Picard, le jeu des exceptions brouille quelque peu le raisonnement tenu213. D’autre part, en ce qui concerne les fonctions effectivement ouvertes aux étrangers, sans distinction quant à leur origine, il est évident que cette ouverture entraîne pour les juridictions constitutionnelles et administratives leur déclassement : reproduisant strictement le même type de raisonnement que celui tenu au XIXe siècle en ce qui concernait les femmes, ou les rares fonctions ouvertes aux étrangers, c’est encore une conception formelle de la citoyenneté qui prévaut. Mais cette approche touche là ses limites : qui pourrait sérieusement prétendre que lorsque l’exercice des fonctions publiques était considéré comme un droit civique, la doctrine avait à l’esprit les seuls 10 % — et sans doute moins encore — qui demeurent actuellement réservés aux citoyens français ?214 Dans ces conditions, il faut effectivement choisir : ou bien la définition de la citoyenneté a fondamentalement changé depuis un siècle, pour ne plus être caractérisée que par les seuls droits électoraux ; ou bien il faut reconnaître que les étrangers (tous ou certains d’entre eux seulement) ont accès à des droits de citoyenneté et, du fait même, compte tenu du maintien de la définition

d’Andorre, et l’article 47 de la loi n° 96-1093 du 16 décembre 1996, modifiant le premier alinéa de l’article 5-bis de la loi de 1983, aux ressortissants des « États membres de la Communauté européenne ou de tout autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen ». La loi de 1991 a fait l’objet d’une décision du Conseil constitutionnel : Cons. const., n° 91-293 DC, Rec., p. 77, RFDA 1991, p. 903, n. DUBOUIS (L.).

209. Pour des exemples récents : D. 97-838 du 8 septembre 1997, JO, 13 septembre 1997 (fonction publique hospitalière) ; D. 94-163 du 16 février 1994, modifié par l’art. 31 du D. 98-68 du 2 février 1998, JO du 6 février 1998 (fonction publique territoriale).

210. Ministère de la Fonction publique, La Fonction publique de l’État, mars 1995-mars 1996, Paris 1996, La documentation française, p. 80.

211. Cons. const., 5 mai 1998, n° 98-399 DC, JO du 12 mai 1998, p. 7092 ; RFDA 1998, p. 624, note PICARD

(É.), AJDA 1998, p. 489, note J.-E. SCHOETTL : « En principe, ne sauraient être conférées à des personnes de nationalité étrangère […] des fonctions inséparables de l’exercice de la souveraineté nationale ; que tel est le cas, en particulier, des fonctions juridictionnelles, les juridictions nationales, tant judiciaires qu’administratives, statuant "au nom du peuple français" ; qu’il peut, toutefois, être dérogé à ce principe dans la mesure nécessaire à la mise en œuvre d’un engagement international de la France et sous réserve qu’il ne soit pas porté atteinte aux conditions essentielles de la souveraineté nationale ».

212. Par ex. CE, 9 février 1993, Avis n° 353 718, EDCE n° 45, p. 393 : les emplois d’agents comptables ou d’agents de direction des organismes de sécurité sociale peuvent être réservés aux seuls nationaux.

213. RFDA 1998, p. 624 (note sur Cons. const., 5 mai 1998, préc.).

214. Sur tous ces points, voir les remarques du Pr Koubi (KOUBI (G.), « Réflexions sur la qualité de fonctionnaire-citoyen », LPA 29 juillet 1988, p. 2 ; KOUBI (G.), « Fonctionnaire-citoyen ou citoyen-fonctionnaire : entre service public et puissance publique », in De la citoyenneté, op. cit., p. 135- 145).

conséquentialiste de la citoyenneté, doivent être considérés comme citoyens, au moins partie llement215.

b. L’accès des étrangers à la protection réservée aux citoyens français

La jonction entre la nationalité et la citoyenneté se trouve ensuite contestée du fait de l’extension des droits reconnus aux étrangers, essentiellement du fait de conventions internationales et de la jurisprudence. Il ne s’agit pas ici d’affirmer que les droits ainsi reconnus aux étrangers sont des droits civiques mais de constater que « la citoyenneté nationale n’est déjà plus ce statut compact garantissant au "national" qu’il n’est soumis qu’à son gouvernement et que ses droits lui sont réservés et déniés aux autres »216

: par conséquent, la place de la nationalité dans la délimitation de la citoyenneté se trouve toujours plus contestée.

La prise en compte des droits des étrangers est tout d’abord évidente si l’on observe le développement considérable du contentieux des étrangers : devant les seules juridictions administratives, qui ne sont pourtant a priori pas les premières à être concernées par un domaine — la protection des libertés fondamentales — réservé pour l’essentiel au juge judiciaire, les affaires concernant les droits des étrangers étaient le second poste des affaires en instance devant le Conseil d’État en 1995, derrière les affaires de fiscalité et le premier en nombre d’affaires jugées ; et en 1996, le contentieux des étrangers devient le premier contentieux traité et en instance217 ; or le traitement par le juge administratif du droit des étrangers, outre qu’il constitue une source importante de l’enrichissement des règles du contentieux administratif (notamment en ce qui concerne les droits de la défense et le « droit au recours »)218, a permis de préciser, voire de développer certains principes généraux et libertés fondamentales dont l’application ne concerne pas seulement les étrangers mais également les citoyens français.

Une observation superficielle de la jurisprudence constitutionnelle peut cependant laisser supposer la persistance de la séparation rigide de l’étranger et du national, du moins quant aux droits de citoyenneté. C’est ainsi qu’une décision du 13 août 1993 indique très clairement qu’« aucun principe non plus qu’aucune règle de valeur constitutionnelle n’assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu d’accès et de séjour sur le territoire national ; […] que le législateur peut ainsi mettre en œuvre les objectifs d’intérêt général qu’il s’assigne ; que dans ce cadre juridique, les étrangers se trouvent placés dans une

215. On reprend là le raisonnement, toujours employé, que tenait la doctrine (notamment Maurice Hauriou) à propos des femmes.

216. LECA (J.), « La citoyenneté en question », in TAGUIEFF (P.-A.), dir., Face au racisme, Tome 2 : Analyses, hypothèses, perspectives, p. 336.

217. 1727 affaires enregistrées en 1995, 1106 en 1996 (contre respectivement 1876 et 1099 pour le contentieux de la fiscalité) ; 844 affaires jugées en 1995, 1254 en 1996 (et respectivement 568 et 559 pour la fiscalité). Conseil d’État, Rapport public 1996, EDCE n° 48, 1997, p. 144.

218. Mais également la nature du contrôle opéré par le juge sur les opérations de police administrative (CE, ass., 19 avril 1991, Belgacem, R., p. 151 et 162, concl. ABRAHAM (R.), RA 1991, p. 329, note RUIZ-FABRI (H.) : contrôle de proportionnalité). Au delà du constat du volume des affaires traitées, il faut remarquer que le simple fait que ces affaires existent est déjà la manifestation que les étrangers jouissent d’un droit considéré par une partie de la doctrine comme un droit civique : le droit de recours (qui dé rive, pour la doctrine libérale, du droit de pétition, seul droit civique à proprement parler. Cf. supra p. 45).

situation différente de celle des nationaux »219

. La distinction des étrangers et des nationaux- citoyens semble donc toujours pertinente. Les conséquences de cette distinction la relativisent cependant quelque peu : si elle justifie l’existence d’une police spéciale des étrangers et les limitations apportées à l’exercice de certains de leurs droits politiques, notamment électoraux, sa portée en matière de libertés individuelles est particulièrement limitée. Le statut des étrangers apparaît en effet toujours plus protecteur, au point que, d’une part, « le statut des étrangers a été l’occasion, à maintes reprises, de faire progresser la reconnaissance de la liberté individuelle et de ses composantes »220

et d’autre part, que certaines libertés individuelles leur semblent réservées.

Les droits reconnus aux étrangers concernent en premier lieu les libertés fondamentales, tout particulièrement la vie familiale. À partir d’une interprétation du dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 (« La nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement ») et de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (« Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale »), le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État ont développé un statut protecteur dérivant du « droit de mener une vie familiale normale »221, qui comprend lui-même plusieurs éléments. Le « droit à la famille »222 suppose la reconnaissance d’un « principe de la liberté du mariage, qui est une des composantes de la liberté individuelle »223

; une fois que la famille est constituée, le principal droit reconnu est le « droit au regroupement familial »224, qui peut être invoqué à l’encontre de refus d’entrée sur le territoire national opposés par l’administration225. Il faut d’ailleurs noter, à propos de ces développements jurisprudentiels, qu’« à vrai dire, en l’état actuel, ce droit [de la famille], et notamment le droit au regroupement familial est réservé, de fait, aux étrangers »226

. Non seulement la protection dont bénéficient les étrangers n’est pas différente de celle des nationaux, mais encore son explicitation permet d’enrichir les libertés publiques reconnues à l’ensemble des « personnes » résidant en France, notamment des citoyens français.

À ces libertés reconnues depuis longtemps aux étrangers, il faut désormais ajouter un certain nombre de garanties économiques et sociales. Cette ouverture des droits sociaux doit

219. Cons. const., 13 août 1993, n° 93-325 DC, Maîtrise de l’immigration, GDCC, n° 46. Également, Cons. const., 25 février 1992, n° 92-307 DC, Zones de transit, Rec., p. 48, et Cons. const., 22 avril 1997, n° 97-389 DC, JO, 25 avril 1997, p. 6271, RFDC 1997, n° 31, p. 570, note LECUCQ (O.).

220. FAVOREU (L.), PHILIP (L.), Commentaire de Cons. const., 13 août 1993, Maîtrise de l’immigration, GDCC, n° 46.

221. CE, ass., 8 décembre 1978, GISTI, Rec., p. 493, Dr. soc. 1979, p. 57, concl. DONDOUX (J.) ; CC, 1993, préc. On remarquera que la normalité de la vie familiale s’apprécie pour le Conseil constitutionnel dans le pays d’accueil (la France) ce qui exclut les regroupements de familles polygames, contrairement à ce qui est la position du Conseil d’État (CE, ass., 11 juillet 1980, Min. de l’intérieur c. Mme Montcho, Rec., p. 315, JCP 1981, II, 19628, concl. Rougevin-Baville ; CE, 2 décembre 1992, Yachir, Req. n° 135 418).

222. Cons. const., 3 septembre 1986, n° 86-216 DC, Rec., p. 135.

223. Cons. const., 13 août 1993, n° 93-325 DC, Maîtrise de l’immigration, préc.

224. CE, ass., 8 décembre 1978, GISTI, préc. ; CE, 26 septembre 1986, GISTI, Rec., p. 219, AJDA 1987, p. 54,

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