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Chapitre I Le rôle de l’élevage dans les

3. Instabilité des échanges commerciaux et fragilité des ressources naturelles ; remise

3.4. Remise en question des schémas de développement à l’aube du XXI ème siècle

3.4.1. Constat d’échec des programmes de protection des ressources naturelles Dès les années 70, de nombreux travaux en écologie signalent des phénomènes localisés de dégradation de la végétation et des sols en Tunisie34, qui risquent de mettre en péril les ressources des populations du sud tunisien. L’Etat accentue alors ses efforts pour la réalisation d’aménagements de lutte anti-érosive, à travers un programme de Conservation des eaux et des sols. Ses principales actions visent à maximiser la récupération des eaux pluviales en limitant les phénomènes d’érosion et à restaurer des parcours dégradés ; en pratique, les ouvrages réalisés concernent l’aménagement des oueds par la construction de gabions ou de digues…, la restauration des jessour en montagne, les plantations pastorales d’espèces pérennes utilisables en périodes de disettes alimentaires (Cactus, Atriplex, Acacia

cyanophylla etc.).

Au lieu de présenter la totalité des actions de développement dans la région qui nous intéresse, je concentrerai mon propos sur celles se rapportant plus particulièrement aux ressources pastorales ; elles sont en lien direct avec l’activité d’élevage par le pâturage. Ce n’est pas l’exhaustivité qui est recherchée ici, mais l’illustration de ce qui a conduit à repenser les démarches d’action dans ce domaine.

Dans un premier temps, les actions de réhabilitation de parcours dégradés ont été mises en pratique par la plantation d’espèces exogènes dont les qualités fourragères et de résistance à la sécheresse avaient été montrées dans d’autres régions du globe. L’Acacia cyanophylla, arbuste fourrager originaire d’Australie est un cas d’école en la matière ; en Tunisie, cette espèce représente 80% des 32000 hectares de plantations (Zaafouri, 1991). Son adaptation n’a cependant pas été concluante – dans le sud du pays du moins – notamment parce que les plants ont subit des taux de mortalité élevés (Marrakchi, 1991).

Les recherches se sont alors portées sur la réintroduction d’espèces endémiques dites « pastorales » telles que Artemisia herba-alba, Cenchrus ciliaris, Stipa lagascae, Plantago albicans ou encore Stipa tenecissima (Ferchichi et al., 1991, Chaieb et al., 1991). Certaines plantes, en particulier les graminées pérennes Stipa, étaient traditionnellement fanées et distribuées en période sèche (Visser, 2001). Cependant, l’utilisation des espèces endémiques est encore irréalisable à une échelle supérieure à celle de la parcelle expérimentale, car elle nécessite une organisation à grande échelle – industrialisation - de la production, du stockage et du transport des semences.

Les nombreux projets de réhabilitation des parcours se sont souvent soldés par des échecs, ce qui semblerait dû aux modalités de mise en œuvre plutôt qu’à une mauvaise adaptation des plantes au milieu. D’une part, le choix des espaces à réhabiliter se basait d’avantage sur des critères écologiques ou sur des critères de facilité de mise en œuvre35 que sur leur véritable fonctionnalité dans les systèmes d’élevage. D’autre part, il semblerait que les plantations nécessitent une attention particulière au démarrage, surtout en période de sécheresse. Or, en zone aride, la population accorde un caractère sacré à l’eau et conçoit difficilement d’irriguer des plantes destinées à la consommation des animaux…

34 Les indicateurs de dégradation sont, en pratique, variés. Ils peuvent correspondre à une réduction des

surfaces, diminution du recouvrement végétal et du nombre d’espèces en ce qui concerne la végétation, et une perte de sol assortie d’une augmentation du ruissellement en ce qui conerne les sols.

La multitude des facteurs ayant un effet sur les dynamiques de végétation rend d’autant plus difficile l’évaluation des programmes de plantations pastorales. Dans le cas de Menzel Habib – Nord-ouest de Gabès – un phénomène de désertification constaté entre les années 70 et 80 a été suivi d’une reprise de la végétation dans les années 90. Celle-ci était relativement difficile à attribuer aux seuls projets de protection et réhabilitation car entre temps les stratégies productives des agro-pasteurs avaient changé dans le sens d’un abandon des terres après appropriation (Auclair et al., 1996).

Ces constats loin d’être spécifiques à la Tunisie, ont été relevés dans les pays du Nord comme du Sud. Les indicateurs écologiques utilisés pour évaluer la dégradation des parcours et qui considèrent l’intervention humaine comme une perturbation des écosystèmes sont remis en cause. Le concept de capacité de charge, dont la définition théorique correspond « au nombre d’animaux d’une même espèce que peut supporter une prairie en un temps déterminé »36, constitue l’un des principes de base de l’évaluation de la qualité des parcours. Il est discuté par plusieurs auteurs, dont D. Hervé (1998), qui rappelle que la construction de cet indicateur dépend de l’interaction complexe de plusieurs paramètres tels que la période d’utilisation des surfaces, l’échelle des surfaces choisies, l’unité animale considérée, le prélèvement du végétal par l’animal. Sa construction, qui nécessite des dispositifs pluriannuels de suivis pas toujours réalisables, est difficilement transposable dans des contextes différents. Par ailleurs, la question du surpâturage des troupeaux ne semble pas toujours être une conséquence directe de l’augmentation des effectifs d’animaux, car la pression de pâturage implique de prendre en compte le niveau d’intrants distribués aux troupeaux, ainsi que la complexité des phénomènes écologiques en lien avec des pratiques de pâturage anciennes (Perevolostky et al., 1998).

La prise en compte des logiques et des façons dont les paysans organisent l’utilisation des ressources qu’ils exploitent, ont fait l’objet de travaux depuis les années 90 en dehors de Tunisie (Hubert, 1991, Chauveau, 1997….) et montrent qu’ils peuvent constituer des cadres d’analyse pertinents pour évaluer les implications des orientations politiques de développement agricole dans le fonctionnement des exploitations agricoles.

3.4.2. De la protection des ressources naturelles à la lutte contre la désertification Les actions environnementales tunisiennes dépendent pour une large part de l’aide financière internationale ; leur orientation, à savoir le passage d’une volonté de protection/réhabilitation à celle de gestion d’abord dirigiste puis décentralisée, s’accordent avec le discours politique international sur l’environnement. Celui-ci est porté par plusieurs courants de pensée dès les années 70. Une série de travaux - dont le rapport Meadows de 1972 - fait un état alarmant de la surexploitation des ressources naturelles induites par les actions de développement et en particulier dans les pays du Sud. La notion malthusienne de « population limite » est à cette occasion reprise par un certain nombre d’auteurs pour justifier d’une opposition entre la croissance et l’environnement37. Une vision plus optimiste propose de repenser le développement ; elle est notamment incarnée par I. Sachs qui propose une voie d’écodéveloppement qui accorde une priorité aux aspects sociaux du développement ainsi qu’à la prise en compte des contextes naturels et sociaux dans les

36 Hervé D. Capacité de charge animale ou indicateur de pression sur les ressources fourragères. Pression sur les ressources et raretés. / éd. par Hervé D., Langlois M. Paris : IRD, 1998. p 38.

37 L’aspect statique des hypothèses malthusiennes est notamment dénoncé par Romagny (1998) car elles ne

prennent pas en compte la flexibilité des populations, la capacité des hommes à migrer vers des pays riches lorsqu’ils sont en situation de crise dans leur pays. L’auteur soulève notamment la question des transferts des ressources de l’émigration du Nord vers le Sud.

choix techniques effectués (Godard et Hubert, 2003). La notion, jugée trop radicale au niveau politique dans les années 80, laisse place à celle de développement durable, dont la définition « moins exigeante dans son contenu politique et économique, elle affiche l’enjeu sans trop s’avancer sur les moyens susceptibles de le porter »38.

La désertification, considérée comme problème environnemental global nécessitant une mobilisation mondiale, est institutionnalisée par une convention de Lutte contre la désertification, rédigée en 1994 par les Nations unies suite à la conférence de Rio (1992). La définition retenue « la dégradation des terres dans les zones arides, semi-arides et sub-humides sèches par

suite de divers facteurs, parmi lesquels les variations climatiques et les activités humaines » (Article 1 de la

convention) émane d’un consensus politique mais reste néanmoins soumise à controverses :

La désertification est-elle un processus ou un état du milieu ? Selon que l’on se place dans l’une ou l’autre des postures, l’évaluation de l’étendue du phénomène est variable. Ainsi, les conditions désertiques s’étendent sur des zones restreintes alors que le phénomène de désertification des ressources naturelles affecte de vastes espaces : 25% de la surface de la terre (et remet en cause la pérennité des activités humaines et les fonctions écologiques des milieux sensibles, voire la sécurité alimentaire de quelques 900 millions de personnes). La désertification est-elle un phénomène réversible ou irréversible ? Les scientifiques s’accordent sur le fait que l’intervention humaine est le facteur majeur de désertification et que l’aridité et les sécheresses ne sont que des facteurs aggravants (Cornet, 2002). La notion renvoie donc à l’interaction entre l’environnement et le développement et rejoint en ce sens le discours du développement durable.

Dans le contexte tunisien, la dégradation des sols39 et des ressources pastorales est considérée comme un des facteurs responsables de l’exode rural. La mise en place d’une meilleure gestion des ressources naturelles renouvelables (eau, sol, végétation) par les différents acteurs locaux impose une redéfinition des schémas de développement.

38 Godard O., Hubert B. Le développement durable et la recherche scientifique à l’INRA. Rapport

4. Diagnostic de l’usage des ressources par la