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Chapitre II La démarche : analyser les

1. Une posture de recherche systémique

1.1. Systèmes d’élevage

L’approche, qui consiste à appréhender l’activité d’élevage comme un système, est née d’un retour de la discipline zootechnique sur des problématiques de recherche de terrain, concernant le fonctionnement de la production dans les exploitations agricoles ; elle a notamment été initiée dans les pays du sud où les référents culturels liés à cette activité ainsi que les fortes contraintes de production ont incité à prendre en compte des aspects de l’élevage autres que la seule production.

Cette posture émane d’un choix d’aborder les recherches sans réduire la complexité des objets étudiés dans le but de construire des « modèles », au sens de J-M. Legay (1997) qui représentent la réalité, en acceptant de prendre en compte les incertitudes et les lacunes de connaissances, dans l’objectif de « comprendre comment et à partir de quels éléments ceux- ci [les acteurs] construisent leurs propres représentations et s’appuient sur elles pour agir sur le réel »46.

Le système d’élevage peut alors être défini comme « une représentation finalisée du réel, construite pour faciliter la décision et orienter les actions destinées à transformer ce réel en fonction de divers objectifs »47. Cette conception de l’élevage appelle à sortir des cadres d’analyse classique de la zootechnie car elle fait le choix de prendre en compte le rôle des acteurs – l’éleveur, le berger – dans les processus de décision et de production et définit l’élevage comme étant « une activité productive qui, pour tirer partie de la nature, articule des processus techniques, mais qui n’a de sens que comme expression d’un système social »48.

La difficulté de conception tient, comme le rappellent J. Bonnemaire et P.-L. Osty (2004) à définir les limites du système ; concernant les systèmes d’élevage, le modèle généralement adopté est celui proposé par P. Lhoste (1987), représenté par trois pôles en interaction : l’homme, le troupeau et les ressources. Ce sont les interactions entre ces trois pôles, organisés par l’éleveur qui conduisent à l’élaboration de la production (animale, paysagère, sociale…) ; ce schéma se place dans l’hypothèse d’un atelier d’élevage indépendant des autres activités productives de l’exploitation d’un point de vue comptable et d’organisation du travail. Cela suppose que l’éleveur est à la fois le centre de décision, d’opération et de financement de l’activité.

Or, dans le contexte de notre étude, ces centres peuvent être distincts, notamment celui du financement qui peut provenir d’autres activités occupées par des membres extérieurs à l’exploitation. J’ai donc fixé les limites du système à celui de l’ensemble des activités productives de la famille, en considérant le système mettant en jeu les interactions entre la famille, le troupeau et l’ensemble des ressources naturelles et extra agricoles mobilisées pour gérer l’activité d’élevage. Ainsi, c’est l’articulation entre la prise de décision d’un

46 Darré, J-P., Hubert, B. Les raisons d’un éleveur sont notre raison de coopérer. Raisons et pratiques. Dialogue avec un éleveur ovin. Paris : Etudes rurales, 131-132, 1993 (paru en 1994), p. 107.

47 Landais, E., Bonnemaire, J. La zootechnie, art ou science ? Courrier de l’environnement de l’INRA, 27 avril 1996, p. 35.

48 Osty, P.-L., Landais, E. Fonctionnement des systèmes d’exploitation pastorale. IVth international rangeland

éleveur et la production animale qui cherche à être représentée, sous la forme de stratégies d’élevage c’est à dire « la finalité qui donne son sens à l’agrégation des actes techniques et à la façon dont il [l’éleveur] mobilise les ressources qui sont à sa disposition et dont il organise son propre travail. »49.

1.2. L’élevage, une activité familiale parmi d’autres 1.2.1. Quelle famille ?

L’échelle de l’analyse, celle de la famille, s’est avérée pertinente car elle constitue l’entité de base de la production animale et d’utilisation du territoire pour les activités agricoles ; elle se situe ainsi à l’interface entre la ressource pastorale et le troupeau. Son caractère opérationnel pour l’analyse des dynamiques de développement agricole a notamment été souligné par B. Hubert (2001). Il convient de préciser que la notion de famille peut être traduite par plusieurs termes en arabe ; dans les représentations locales, elle peut tour à tour représenter tous les niveaux de segments de la société, du moins tels qu’ils se définissaient avant l’indépendance du pays. Elle tend cependant, dans le milieu de la recherche, à faire référence au noyau familial dès lors que le terme d’exploitation agricole fait l’objet des études. Ainsi, M. Elloumi (2002) parle de « renforcement » du caractère familial de la production depuis les années 60 par le biais de la privatisation des espaces collectifs et de la généralisation de la pluriactivité. Il constate en fait qu’entre les recensements de 1961-6250 et de 1994-95 il y avait eu une augmentation de 44% d’exploitations agricoles en Tunisie – de 326 000 à 471 000 - dont une augmentation majoritaire de petites exploitations de moins de 10 ha (Abaab et Elloumi 2001). A. Barthez (1986, 1993) a attiré l’attention sur la nécessité de revenir aux définitions qui sont à la base des enquêtes statistiques ; en France, la volonté politique de faire de l’agriculture une activité productive et économique à l’instar de l’industrie a conduit au changement de définition du métier lié à l’agriculture. Les paysans sont ainsi devenus des exploitants agricoles dont le métier est lié au moyen de production : l’exploitation agricole.

En Tunisie, la sédentarisation des nomades, matérialisée par les plantations et la construction d’habitation « en dur » à proximité des parcelles – c’est à dire la matérialisation du siège d’exploitation – a donc symboliquement représenté la naissance des exploitations agricoles et le passage d’un vocable de fellahs et bédouins à celui d’agropasteurs pour nommer les personnes vivant de l’agriculture51. Ainsi, le « renforcement du caractère familial de l’agriculture » pour reprendre les termes d’Elloumi, peut-être interprété comme le passage d’une organisation lignagère ou tribale des activités agricoles à une organisation centrée sur le noyau familial. Pour lever l’ambiguïté, j’ai choisi de définir la famille comme étant l’ensemble des membres ayant un lien avec les activités agricoles mises en œuvre dans une exploitation donnée en précisant à quel segment les différents membres appartiennent. De même, j’emploie le terme de concession lorsque le siège d’exploitation correspond au lieu d’habitation de plusieurs ménages parents qui ne partagent pas nécessairement l’ensemble des activités productives.

49 Hubert B. Les systèmes d’élevage ovin préalpins, derrière les pratiques, des conceptions modélisables. Pour une écologie de l’action, savoir agir, comprendre, connaître. Paris : Arguments, 2004, p. 77.

50 Première enquête structure soutenue par la FAO

51 Une nuance est néanmoins à faire pour les montagnards qui avaient déjà construit des maisons troglodytes

Ainsi, les structures familiales, qui renseignent également sur le moment du cycle de l’exploitation (installation, croisière, transmission52), sont de type :

Réduite (ou ménage) : composé du noyau familial ; les parents et leurs enfants. Ces familles sont généralement représentées dans des exploitations agricoles en phase de transmission, dont les parents sont âgés et tous les fils ont émigrés en dehors du foyer parental ou par des exploitations en phase d’installation, composées d’un couple et d’enfants en bas âge.

Hybride : la structure familiale prend tantôt la forme d’un ménage restreint, tantôt celle de la famille élargie, selon les activités en jeu. Elle est représentée la plupart du temps par des jeunes en phase d’installation, qui réalisent une partie des activités agricoles en commun avec leurs parents, notamment par le fait qu’ils exploitent le foncier parental.

Elargie : Composée des grands-parents qui représentent l’autorité familiale et le centre de décisions concernant les grandes orientations de la production, ainsi que de plusieurs ménages représentés par leurs fils, qui regroupent leurs activités d’élevage et de production végétale. Dans ce cas, l’économie de chaque noyau familial n’est pas systématiquement commune, en particulier lorsque certains ont des activités extra-agricoles.

1.2.2. Pluriactivité, projets familiaux :

La prise en compte de l’ensemble des activités productives de la famille permet de comprendre l’organisation du travail dans l’élevage, ainsi que les possibilités de transferts financiers entre activités qui renseignent sur la nature des projets familiaux. Si la distinction entre les activités liées aux productions végétales et animales est relativement aisée – bien qu’une partie des végétaux cultivés puissent être utilisée dans l’alimentation des animaux53 - le statut du travail extra agricole est plus difficile à qualifier (Barthez, 2000).

J’ai choisi de donner le statut d’extra agricole aux activités qui ne mettaient pas en jeu la vente de produits agricoles ; ainsi, le travail à l’entreprise consistant à effectuer des opérations culturales dans des exploitations tierces à l’aide de matériel agricole est considéré comme étant du ressort de l’extra agricole, de même que les produits artisanaux confectionnés à partir d’une matière première animale - les textiles de laine par exemple, car ils représentent une quantité de travail importante pour élaborer le produit final - ou encore le salariat agricole ou lié à la collecte de ressources naturelles. Par contre, le maquignonnage est défini comme agricole dans la mesure où les animaux, achetés pour être vendus, sont inclus temporairement au système de production.

Les projets familiaux se définissent par les objectifs que la famille (représentée par le chef d’exploitation), cherche à atteindre pour satisfaire un ensemble de besoins à court, moyen et long terme, compte tenu des moyens qui sont à sa disposition. Ils se rapprochent de la définition des stratégies proposée par Yung et Zaslavsky (1992, in Olivier de Sardan, 1995) : « Par stratégies des producteurs agricoles, on entendra l’art des acteurs pour lesquels le processus agricole et pastoral de production occupe une place centrale dans le « mode de vie » et qui font concourir des moyens agricoles, mais non exclusivement tels, pour

52 A. Chayanov in Mémento de l’agronome, 2002.

53 J. Pluvinage (1995) montre comment les exploitants algériens régulent leur système de production par