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Chapitre IV Stratégies d’élevage

3. Les « types » à l’épreuve des hypothèses de recherche

3.1. L’économie familiale et le capital de production

3.1.1. Dépenses familiales

Les dépenses de base des familles prennent en compte en partie les habitudes de consommation des familles de la région, qui n’ont pas fondamentalement évolué : consommation de céréales de base (sous forme de couscous, pâtes alimentaires et pain), très peu de légumes frais - bien que l’on en trouve régulièrement sur les marchés et dans les épiceries en milieu rural - et pratiquement

pas d’achat de viande au détail ; ces dépenses s’élèvent à 350 Dt/personnes/an

approximativement dans la majorité des cas suivis. Néanmoins, les niveaux de dépenses plus élevés (multipliés par deux) des « entrepreneurs pluriactifs » et des « acquéreurs de patrimoine » (exemple des éleveurs 5, 7, 8 et 11) montrent la tendance à un changement d’habitude parmi des familles dont l’activité extra agricole et la relation au milieu urbain est ancienne.

Les dépenses exceptionnelles sont, en grande partie, relatives à des dépenses « sociales » et représentent entre 40% et 73% des dépenses annuelles familiales. Elles sont réalisées par les « éleveurs-agriculteurs » (éleveurs 1 et 2) en année pluvieuse – les revenus d’élevage sont plus élevés – ; par contre, les éleveurs du type « entrepreneurs pluriactifs » et « acquéreurs de patrimoine » (ex : éleveurs 4 et 6) ne sont pas affectés par les conditions climatiques et organisent les mariages en année sèche car leur système de production est diversifié et s’appuie sur les activités extra agricoles. Le reste des dépenses exceptionnelles correspond à de l’équipement domestique pouvant également être considéré comme faisant partie des moyens de production (téléphone portable, mobylette, adduction d’eau…).

Force est de constater que la scolarité des enfants reste un poste de dépense peu courant. En effet, mis à part l’éleveur 3 qui finance les études universitaires d’un fils pour 40% du budget annuel familial, seules trois familles supportent les frais de déplacement des enfants vers les établissements d’enseignement secondaire. De fait, la scolarisation des enfants s’arrête généralement en fin de cycle primaire lorsque les familles ne vivent pas à proximité de ces établissements. A noter que l’éleveur 6 soutient la scolarisation de ses deux sœurs, alors que la tendance dans le sud de la Tunisie favorise encore la participation des jeunes filles au plus tôt aux travaux de l’exploitation. Leur contribution aux travaux agricoles semble en augmentation parallèlement à l’émigration des hommes (Trikki, 2004). Au sein des cas suivis, plusieurs jeunes filles affectées à la garde du troupeau n’ont jamais été scolarisées.

Tableau 6 : Variation de patrimoine et d'équipement Type Eleveur Année de

référence Patrimoine hérité Acquisition foncière (ha) Immobilier et Equipement domestique Equipement productif Variation du cheptel du début de l’activité à 2001 I 1 Années 60 64 ha 50 (années 60, 80 et 1992) Habitation « moderne » en plaine (80) 1 âne Entre 300 et 400 têtes selon conditions climatiques I 2 Années 60 10 ha 0 Habitation semi-troglodyte enmontagne (80) 1 âne Achat de cheptel en 80 accroissement à 200 têtes ; I 3 1961 0 90 (1976) Habitation « moderne » en plaine (1976) Hydraulique (2002) 1 âne Achat de 15 brebis (années 60) ; accroissement à 100 têtes II-III 4 1971 12 ha 20 (1986) Habitation « moderne » en plaine (1986)

Raccord eau potable (2002)

Mécanique agricole et

camionnette (1986) Achat 10 brebis (1990) accroissement à 60 têtes ; II 5 1996 0 Dépendance sur concession familiale (fin années 90) Camionnette (fin 90), bâtiment d’élevage et

tél portable (2003)

Achat 10 brebis et 4-5 chèvres (1997) ; accroissement à 30 têtes II 6 1995 0 0,5 Dépendance semi-troglodyte enmontagne sur concession familiale

(2005)

Mobylette (2002)

1 âne Troupeau parental d’une vingtaine de têtes, sacrifice des ovins en 1996 ; achat de 5 brebis en 2001 III 7 Années 50 20 ha 10 (80 – 90) Habitation « moderne » en plaine (60) Hydraulique Diminution du cheptel familial (années 60) d’une centaine de têtes

à 15 têtes/ ménage

III 8 Années 50 8 ha 7 ha (1995) Habitation « moderne » en plaine (60) Habitation en ville (fin 90 et 2001) Stable d’une trentaine de têtes IV 9 Années 70 16 0 Dépendance semi-troglodyte enpiémont sur concession familiale (70) Mécanique agricole(90) Troupeau d’une cinquantaine de têtes, commun à la famille élargie IV-I 10 1983 4-5 ha 0 Habitation troglodyte en montagne (héritée) 1 âne Achat 3 brebis en 1987 accroissement à 22 têtes ; III 11 Années 60 7 ha 0 Habitation « moderne » en plaine (60) Habitation en ville (1990) Entre 20 et 40 têtes depuis la division du troupeau parental IV 12 Années 50 7 ha 2 Habitation semi-troglodyte enpiémont (50) 1 âne Entre 30 et 50 têtes selon conditions climatiques IV 13 Années 50 2 ha 0 Habitation « moderne » en plaine (1997) 1 âne Une dizaine de tête jusqu’en 1986 ; accroissement à 40 têtes, 1

3.1.2. Patrimoine

L’année de référence correspond à la date ou à l’époque du mariage, que je pose comme étant la période à laquelle l’éleveur prend des décisions personnelles et déterminantes concernant l’organisation du système de production et l’avenir de sa famille.

La propriété foncière ne concerne ici que les terres attribuées car, ayant une valeur marchande, elles renseignent sur le capital individuel ; l’accès aux espaces communs favorise bien entendu la possession d’un gros cheptel, mais ces terres ne peuvent pas être évaluées en terme de capital du fait de leur statut non aliénable. On tiendra plutôt compte de la taille du cheptel, car il n’existe semble-t-il pas de règles sociales ou administratives limitant le nombre d’animaux sur les parcours. De même, les plantations arboricoles ne sont pas prises en compte car le caractère hyper aléatoire de la production rend difficile l’évaluation en terme de richesse ; le nombre de pieds d’oliviers étant intimement lié à la superficie appropriée, je considère davantage le critère de possession de terres individuelles.

L’inventaire des variations de patrimoine et d’équipement permet d’une part de se rendre compte de la « santé économique » des systèmes de production sur le moyen terme ainsi que des objectifs de reproduction familiale.

Nous pouvons noter que, mis à part l’éleveur 1 qui s’est dépossédé d’une oliveraie dans la région de Zarzis pour concentrer les activités, aucun éleveur de l’échantillon n’a déclaré avoir vendu de terre78. Dans deux cas cependant, (3 et 13) la terre héritée a été cédée à un frère car la superficie trop restreinte (moins de 3 ha) ne permettait pas sa division. L’acquisition de terres privées est plus répandue, elle touche la moitié de l’échantillon, mais s’effectue selon des modalités différentes. Des opérations de grande envergure menées par les « éleveurs-agriculteurs » (achat de 60 à 90 hectares) concernent des espaces où la mise en culture est relativement difficile et où le prix de la terre était à l’époque abordable, au moment de la privatisation des collectifs (sud de la région, zone côtière proche des terres salées) dans un objectif d’augmenter les activités agricoles. Un deuxième cas est représenté par l’achat progressif de petites parcelles de terres d’Ifrikya79 (terres de culture) dans la plaine de la Jeffara par les « acquéreurs de patrimoine » et correspond davantage à une préoccupation d’accumulation de capital plutôt qu’à un développement de l’activité agricole. En effet, ces ménages sont gérés par des exploitants âgés : l’achat est pensé en rapport au legs, comme le confirme l’acquisition de foncier et la construction d’habitat en milieu urbain.

En contrepartie, l’équipement mécanique touche préférentiellement les éleveurs plus jeunes tels que les « entrepreneurs pluriactifs ». A défaut d’opportunités d’acquisition foncières, ces derniers investissent dans les moyens productifs. En effet, le marché foncier est beaucoup plus saturé depuis les années 90 (dans les années 80, un hectare de terre à Hechir El Majel coûtait 300 dinars contre 1000 dinars et plus dans les années 90, source : entretiens éleveur 1).

Quant à la possession de cheptel, celle-ci reste à peu près stable sur le long terme pour l’ensemble des éleveurs ayant un passé bédouin ; les transhumants conservent un troupeau de plusieurs centaines de têtes, ce qui n’est pas sans lien avec le caractère élargi de la structure familiale, les « occupants des communs » maintiennent un cheptel en fonction des disponibilités fourragères des communs à proximité de l’habitation et les « acquéreurs de patrimoine » se sont réparti le troupeau familial lors de l’intensification de la production (augmentation des intrants) et

78 La question de la vente de terre est délicate à aborder avec les ruraux de la région, cependant, le degré de confiance

obtenu avec les éleveurs suivis me permet de penser que cette affirmation est valide.

79 Terme employé à l’époque de la conquête arabe du XVème siècle et faisant référence aux terres céréalières du nord

maintiennent depuis un cheptel dont la taille est ajustée à leurs capacités financières pour assurer l’alimentation en période de sécheresse prolongée. Si les éleveurs 1 et 2 accusent le coup des sécheresses par une diminution du cheptel au terme des deux années, la majorité des éleveurs conserve le cheptel initial, voire augmente les effectifs à long terme. Dans le cas contraire, il s’agit d’une réorientation de la production (éleveur 4 qui intensifie et éleveur 8 qui arrête progressivement l’activité).

En dernier lieu, les « entrepreneurs pluriactifs », d’origine plutôt fellah, ont acquis récemment des animaux de race améliorée car ils profitent du contexte favorable du marché de la viande. Ils sont également dans une démarche d’accroissement du troupeau dont la taille dépend des capacités de la superficie de l’enclos qui permet de stocker les animaux en années sèches.