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Chapitre II La démarche : analyser les

4. Formaliser les stratégies réalisées donne sens aux pratiques observées

La formulation de stratégies représente un deuxième niveau d’abstraction résultant de l’analyse transversale des différents cas de l’étude et permet par-là un changement d’échelle d’analyse : de l’exploitation agricole à celle de l’élevage dans la région d’étude (Caron, 1998). 4.1. Le concept de stratégie réalisée donne sens aux pratiques

observées

La stratégie, dont l’origine est militaire, est un cadre conceptuel et méthodologique qui a évolué au XXème siècle sur des problématiques de gestion en entreprises et dont une première approche essentiellement technico-économique a ensuite été enrichie par la tentative de prise en compte de la complexité de l’environnement de l’entreprise considérée (Martinet, 1988). Nous adoptons alors la définition de Minzberg, selon laquelle une stratégie est une construction de l’esprit visant à représenter un ensemble de décisions prise par un acteur en vue de réaliser ses objectifs (Minzberg et Waters, 1985).

Le terme de stratégie est polysémique et largement utilisé dans la littérature francophone s’intéressant aux comportements des acteurs ; Mintzberg (1987) propose cinq définitions complémentaires du terme :

- la stratégie est un Plan, une suite d’action volontairement destinée à remplir un objectif. Elle peut être générale ou spécifique (Ploy)

- la stratégie est un modèle a posteriori (Pattern). Elle est inférée à un ensemble d’actions, et l’on peut faire l’hypothèse qu’elle a été voulue.

- la stratégie est une Position dans un environnement, - la stratégie peut être un point de vue (Perspective)

On distingue donc la stratégie plan, c’est à dire un ensemble d’actions souhaitées pour arriver à un objectif, et la stratégie réalisée, construite a posteriori, à partir de la combinaison et de l’enchaînement des pratiques de l’acteur dans le temps (Girard, 1995). Cette stratégie

réalisée comprend une part de stratégie délibérée (plan) et une part de stratégie émergente,

correspondant à des évènements non prévus par l’acteur et intégrés au cours de la campagne pour la réalisation de ses objectifs.

La stratégie réalisée s’apparente ainsi au concept de processus stratégique (Lorino et al., 1998) en ce sens que c’est par l’étude des processus - enchaînement d’actions identifiables et observables réalisées dans des objectifs donnés – qui mobilisent des ressources et des compétences dans une structure donnée et un environnement incertain, complexe que l’on appréhende les stratégies. L’exploitation agricole peut alors être perçue comme une entreprise dont la structure et le fonctionnement pourraient être appréhendés de façon comparable. En pratique, des différences fondamentales persistent entre les deux, notamment au niveau économique (gestion des comptes, nature du travail, salarié d’un côté et familial de l’autre cf. Barthez, 1993), mais la formalisation de stratégies des agriculteurs a néanmoins comme hypothèse commune de considérer que celles-ci « relèvent de choix

cohérents et délibérés dont l’intelligibilité requiert la prise en compte des conditions réelles, dans lesquelles s’effectuent les activités agricoles »70.

4.2. Analyse transversale et typologie construite et située 4.2.1. La méthode

La méthode typologique, qui consiste à catégoriser un échantillon d’exploitations agricoles présentes sur un territoire donné, est largement utilisée depuis plusieurs années par les organismes de développement agricole afin de structurer les analyses et adapter les interventions (Perrot, 1991). Aujourd’hui les typologies doivent pouvoir mettre en évidence les transformations rapides des exploitations agricoles dans le contexte de globalisation actuel, prendre en compte les stratégies mises en oeuvre par les agriculteurs et appréhender les « nouvelles fonctions » de l’agriculture autres que productives afin d’adapter le conseil et les actions de développement (Landais, 1996). Or la plupart des méthodes orientées vers le conseil et le développement s’appuient sur des critères de catégorisation structurels et technico-économiques d’exploitations agricoles. De même, les critères sont souvent choisis à priori et les catégories procèdent d’une logique de segmentation plutôt que de construction (Girard, 2004).

La démarche que nous avons adoptée, décrite par Girard et al. (2001), vise à catégoriser de combinaisons de pratiques a posteriori ; la typologie ainsi construite est dite « située » socialement, historiquement et géographiquement. Elle doit, dans ce cas, servir à réorienter, de façon pertinente, les questions scientifiques et techniques qui se posent sur un territoire donné, et constitue par-là un outil de formulation du questionnement et non un résultat utilisable directement pour la préconisation technique ou organisationnelle. Un autre avantage majeur de cette méthode est qu’elle s’appuie sur une catégorisation de critères qualitatifs relatifs au fonctionnement des exploitations agricoles qui ont tendance à perdre de leur importance dans d’autres typologies.

Bien que l’échantillon réduit facilite le traitement manuel des données, l’utilisation d’un logiciel de typologie, mis en ligne sur Internet71 par une université canadienne, a permis de valider les résultats obtenus (cf. chapitre IV §1). Baptisé grille-répertoire, ce logiciel traite les données automatiquement sur la base d’une analyse factorielle de correspondance et offre de saisir directement les données qualitatives. Les axes d’analyses, correspondant aux attributs, sont des échelles graduelles dont les extrêmes sont définis par deux modalités opposées. Elles permettent d’évaluer les cas en fonction des modalités de chaque attribut. Parmi les différentes sorties possibles, j’ai utilisé celle de la classification hiérarchique pour visualiser le regroupement de différents éleveurs ayant la plus forte ressemblance dans les modalités des axes définis.

70 Chauveau J-P. Des stratégies des « agriculteurs africains » au « raisonnement stratégique ». Histoire, usages

et remise en question d'un concept pluridisciplinaire, Thèmes et variations. Nouvelles recherches rurales au sud / éd. par Blanc-Pamard, C. et Boutrais, J. Paris : Orstom, 1997, p. 180.

4.2.2. Choix des données utilisées pour construire la typologie