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Chapitre II La démarche : analyser les

2. Les pratiques comme objet d’étude

2.1. Objets d’étude hybrides

La démarche systémique invite à rapprocher les disciplines des sciences biologiques et humaines et les acteurs en construisant des objets d’étude qui puissent être intelligibles, abordés et discutés par chacun des partenaires. Ces objets appelés « hybrides » par M. Meuret et E. Landais (1997), tels que le « troupeau » ou les « pratiques », sont à la base de recherches depuis une vingtaine d’années. Le « troupeau », qui correspond à l’entité effectivement pilotée par un berger, est plus complexe que la simple agrégation d’animaux, entité qui correspond quant à elle à l’objet d’étude portant sur l’alimentation animale en station expérimentale. Le troupeau a son propre fonctionnement, en dehors de celui de chaque animal qui le compose.

De même, les pratiques qui se rapportent aux façons dont les éleveurs interviennent sur le troupeau et les milieux végétaux en vue d’atteindre leurs objectifs d’élevage, peuvent se définir comme « des construits sociaux, fortement marqués par les cultures locales, qui se transforment au sein d’un environnement complexe, à l’interface entre technologie et biologie »59.

Les pratiques peuvent être appréhendées selon plusieurs points de vue ; celui de leur modalité – correspondant à la description -, de leur efficacité – des résultats – et celui de leur opportunité, se rapportant aux raisons de leur mise en œuvre (Landais, 1987). Le même auteur propose de travailler sur quatre types de pratiques d’élevage : l’agrégation, c’est à dire la constitution de lots d’animaux, la conduite correspondant aux opérations visant à assurer l’entretien et la production des animaux, l’exploitation des animaux (opérations de prélèvement) et la valorisation des produits, notamment en cas de transformation (salaison, fabrication de fromage…). Dans le but de faire émerger les pratiques revêtant un caractère particulier pour un éleveur dans la façon de gérer son activité, j’ai modulé la typologie.

La valorisation des produits est rarement commercialisée et n’a pas été étudiée en priorité ; elle correspond à des transformations du lait de chèvre et de la viande pour un but d’autoconsommation et d’actes culturels d’hospitalité – la fabrication de beurre de chèvre au printemps -. Le tissage de textiles à partir de laine des brebis – et parfois des poils de chèvres pour la confection des toiles de tente – a été considéré comme une activité à part entière d’artisanat, étant donné le temps de travail nécessaire à fournir pour aboutir au produit fini60. Cette activité, exclusivement féminine, est pratiquée dans 11 exploitations sur 13 de l’échantillon, mais n’est commercialisée que par deux familles.

Les pratiques d’agrégation ne constituent pas des actions déterminantes pour les éleveurs de l’échantillon ; elles résultent davantage de choix faits sur la distribution d’intrants. Aussi, lorsqu’un lot d’animaux particulier est constitué, il reste en général à l’enclos, c’est à dire qu’il ne fait pas considérablement varier l’organisation du système. Par contre j’ai distingué

59 Darré, J.-P., Hubert, B. Les raisons d’un éleveur sont notre raison de coopérer. Raisons et pratiques. Dialogue avec un éleveur ovin. Paris : Etudes rurales, 131-132, 1993 (paru en 1994), p. 111.

dans les pratiques de conduite celles portant sur le pâturage de celles portant sur la distribution.

De même j’ai distingué l’exploitation des jeunes qui représente les objectifs de production - les résultats de la conduite -, de celle des adultes qui renseigne sur des éléments de gestion de l’atelier. A ces pratiques, nous ajoutons celles de l’affectation de la main d’œuvre pour l’ensemble des activités liées à l’élevage (pâturage, distribution d’aliments, collecte de ressources pastorales) car les personnes impliquées ne sont pas toujours les mêmes, ainsi que les pratiques « génétiques » qui font référence à la proportion de chaque espèce dans les troupeaux ainsi que du choix des races élevées, ces pratiques étant évolutives pour certains troupeaux.

Ces pratiques ne s’inscrivent pas sur un pas de temps identique, c'est à dire que la prise de décision s’établit sur des échelles de temps différentes en fonction des objectifs de production poursuivis. La conduite du troupeau, l’affectation de la main d’œuvre renvoient aux « saisons » dont la durée peut être très variable en fonction des conditions climatiques et notamment de la durée des périodes sèches. L’exploitation des jeunes se conçoit à l’échelle de l’année : la campagne. Celle des adultes ainsi que les pratiques « génétiques » font référence à des objectifs à long terme, pluriannuels, d’orientation de la production et de son intégration avec les autres activités productives.

L’étude des pratiques portant sur le troupeau permet d’aborder transversalement les thèmes de l’usage du territoire de l’exploitation et hors exploitation (où vont les animaux ? où se procure-t-on les ressources pastorales ?), du travail agricole et extra-agricole (qui s’occupe du troupeau, qui est absent de l’exploitation ?) et du phénomène d’émigration (d’où vient l’argent qui permet d’acheter des aliments ?), de l’accès à l’eau (quelles orientations productives de l’exploitation ?).

2.2. Modalités

Ce paragraphe détaille les différentes démarches et mesures qui ont permis de décrire les pratiques déterminantes dans les stratégies d’élevage. Celles-ci ont été définies par processus d’itération entre le terrain et des phases de recul (Olivier de Sardan, 2000). Les méthodes de recueil des données - quantitatives et qualitatives ont donc été relativement exhaustives au début du suivi en particulier ; ne seront présentées ici que celles qui servent à éclairer la question de recherche (cf. annexes 1 à 3).

Une grande partie de la démarche s’appuie sur l’observation des façons de faire, qualifiée de participante, bien qu’a priori l’expression d’observation participante soit un non-sens, car « l’observation implique la présence, mais encore faut-il qu’elle soit techniquement et socialement permise et possible. D’autre part, l’observation n’est pas que visuelle, elle est aussi « auditive ». »61. Ainsi la phase d’observation pour l’appréhension des modalités des pratiques a-t-elle été liée à celle de leur opportunité.

Les méthodes de mesures zootechniques – marquages et comptages des animaux, dispositifs de pesée des rations alimentaires distribuées… - dans leur précision et leurs techniques de station expérimentales n’ont pas été appliquées in situ car d’une part, elles ne représentaient pas d’intérêt réel pour comprendre le sens des pratiques, et d’autre part la méthode de travail était déjà lourde en temps passé dans les exploitations et en indiscrétion.

2.2.1. Pâturage

- Déplacements du troupeau : distance parcourue, statut de terres exploitées, type d’animaux déplacés, durée des déplacements, personnes impliquées et organisation du travail. Suivi des troupeaux sur parcours sauf dans les cas de transhumance en dehors de la Jeffara pour des raisons de logistique.

- Dans les cas où la transhumance était une pratique abandonnée par les éleveurs, j’ai recueilli des informations sur les raisons du changement de pratique.

- En observant le pâturage, il est possible d’observer le comportement du troupeau (les animaux sont-ils affamés ou courent-ils la tête levée en attendant de retourner à l’enclos) ainsi que celui du berger ou de la bergère car dans ses façons de faire transparaissent ce qu’il attend des surfaces pâturées pour ses bêtes ; simple dégourdissement de pattes, prélèvement d’un maximum de sustentation, le plus rapidement possible et le plus près possible de l’exploitation…

2.2.2. Distribution

- Les quantités distribuées : pesées ou évaluations en nombre de récipients de chaque aliment, à partir des déclarations de la personne ayant réalisé le mélange lorsque celui-ci était déjà prêt à notre arrivée. Une pesée des récipients était alors effectuée. Une vérification consistait à être présentes pendant la réalisation du mélange ; celui-ci était alors comparé aux précédents.

- Relevé des lots d’animaux concernés par la distribution. - Origine des aliments :

Coopératives régionales et locales (orge, son, luzerne déshydratée, aliment composé), à prix fixes.

Marchés locaux - Grignons d’olives et foins proviennent respectivement du Sahel et du nord du pays et sont vendus sur les marchés locaux. Leur prix varie en selon la loi de l’offre et de la demande. Les ressources pastorales et résidus de culture (essentiellement

guedim et feuilles sèches d’oliviers) sont également commercialisés en quantités

moindres sur les marchés locaux.

Secteurs de parcours lignagers ou tribaux pour les ressources pastorales

L’exploitation agricole : feuilles sèches d’oliviers, fourrages et autres résidus de culture – dans le cas d’une surface irriguée - dans les parcelles privées.

2.2.3. Exploitation des jeunes et des adultes

- Le suivi démographique des troupeaux (nombre de femelles adultes et de renouvellement, nombre de reproducteurs et d’agneaux de plus de 6 mois, nombre d’agneaux nés entre les deux passages, nombre de naissances doubles (ou triples) et de décès (adultes et agneaux),

- types de produits vendus, périodes de vente…

Le nombre de mises bas était demandé à l’éleveur puis recalculé pour vérification (reconstitution à partir du comptage d’agneaux à la date du passage et des déclarations concernant les ventes, naissances de doubles, morts). Dans le cas de troupeaux supérieurs à trente têtes, les comptages ont été validés auprès des éleveurs. Dans le cas du troupeau transhumant, je me suis uniquement basée sur les déclarations de l’éleveur.

2.2.4. Affectation de la main d’œuvre

- Calendriers des travaux agricoles et d’élevage.

- Attribution des tâches au sein de la famille et emploi salarié. - Lieux du travail.

2.2.5. Pratiques de trésorerie

Elles consistent à identifier l’origine de l’argent ayant servi à financer les aliments du bétail d’une part, ainsi que celle permettant d’assurer les dépenses de la famille d’autre part. En l’absence d’étanchéité entre les divers postes d’activité, ces informations recueillies par entretien, servent à établir les flux économiques dans le système d’exploitation familial. Elles aident également à caractériser le rôle de l’activité d’élevage dans les projets des familles.

2.2.6. Pratiques « Génétiques »

- Pesées de brebis et chèvres de chaque troupeau pour avoir idée de la différence entre les races.

- Evaluation de la dynamique du cheptel et de la proportion de chaque espèce par le suivi démographique.