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Chapitre IV Stratégies d’élevage

2. Formulation des stratégies

2.2.2. Les régulations à court terme ; gestion de l’incertitude climatique.

Minimiser le travail d’astreinte agricole

Ces éleveurs sont de jeunes diplômés, dont l’activité d’élevage est récente (environ 5–6 ans). Ils ont une activité extra agricole stable ou épisodique mais rémunératrice, requérant des compétences particulières (maîtrise d’une langue étrangère, capacités à conduire des engins mécaniques) ; ils réalisent rarement les tâches d’astreinte relatives à l’atelier d’élevage.

L’élevage est peu exigeant en main d’œuvre : l’alimentation à l’auge est assurée par les personnes du sexe féminin de la concession75 – occasionnellement l’éleveur – lorsque le troupeau est sur le siège d’exploitation. En cas de pâturage, l’éleveur emploie un berger dans les secteurs « mixte » et surtout de transhumance – sans mise en commun des animaux, c'est-à-dire sans khlata – ou bien ce sont les femmes ou les parents qui conduisent le troupeau – dans les secteurs de sédentarisation et « mixte ». Idem pour la collecte des ressources pastorales ; les femmes ou des employés sont affectés à la tâche.

Les opérations sur les céréales sont assurées par les membres féminins et les parents – plus employés si besoin -. Par contre, la récolte des olives réquisitionne l’ensemble de la main d’œuvre, y compris l’éleveur et ses frères vivant à l’extérieur – le travail effectué donnant droit à une part des récoltes -.

75 J’emploie le terme de concession pour spécifier que l’habitation comporte des dépendances propres à

chaque noyau familial et que l’espace de la cour, où se trouvent généralement la cuisine et le majel (citerne d’eau potable), est un lieu de vie commune des différents noyaux composant la famille élargie. La concession

Les salariés ne se recrutent pas nécessairement au sein de la fraction ou de l’ethnie, car d’une part les éleveurs de ce type font partie de groupes en nombre limité et d’autre part leur position sociale n’est pas forcément notable. Néanmoins, les bergers sont toujours professionnels, issus de fractions identifiées par localité. Par exemple, les bergers « attitrés » de Toujane sont des dhibet, sédentarisés dans la région de Matmata et possédant des droits d’accès sur les parcours de Dhiba au Sud de Tataouine (à vérifier localisation exacte, près d’El Ouara).

La conduite du troupeau : entre le « hors sol » et la mise en pension

Objectif de production : Vendre des jeunes de gros format et engraissés (finis) sur des marchés ciblés pour réaliser un maximum de valeur ajoutée (cf. Figue 22 p. 172)

Les mères reproductrices des deux espèces - ovins et caprins – sont conduites de façon identique, mais seuls les agneaux mâles (non systématiquement les chevreaux) sont engraissés.

En année sèche, la totalité des besoins énergétiques annuels des animaux est couverte par une ration distribuée à l’auge combinant des compléments, aliments composés et fourrages achetés.

Année sèche (2001- 2002)

Période 1 : Assurer une alimentation optimale à l’auge pour diminuer la charge de travail.

Cette période correspond à la mise bas (décembre à mars) et la fin de l’engraissement des mâles de l’cayd en ce qui concerne la période d’observation76. Les éleveurs font le choix de garder tout le troupeau à l’enclos en séparant les mères reproductrices des jeunes afin de distribuer une alimentation différenciée, correspondant aux besoins de chacun des lots ; les mères reçoivent une distribution énergétique (orge, aliment composé) et protéique (luzerne déshydratée) pour favoriser l’allaitement, les agneaux reçoivent des aliments énergétiques pour être rapidement engraissés. Les éleveurs n’hésitent pas à acheter des aliments composés industriels.

Période 2 : Spéculer sur la sécheresse en améliorant la productivité du cheptel.

Les éleveurs profitent de cette période (de la fin du mois de mars au mois de juillet) pour acquérir des femelles adultes à bas prix et les revendre saillies par un reproducteur génétiquement amélioré. C’est également l’occasion d’améliorer la productivité du cheptel en achetant des adultes de race exotique à moindre coût afin de réformer les femelles du troupeau moins fertiles et de plus petit format.

La totalité de la ration alimentaire est achetée et distribuée à l’auge.

76 La date de la fête avance de 11 jours chaque année ; il semble que nos observations ont porté sur une

période où les agneaux sont engraissés le plus longtemps car il s’agit d’agneaux d’un an ou bien nés l’été, ce qui suppose alors une alimentation des mères pour palier cette période sèche.

Période 3 : Remettre en état les mères et permettre la croissance des jeunes mâles et femelles en les protégeant de la chaleur.

Deux objectifs majeurs pendant l’été : le premier vise à constituer un lot de jeunes séparés des adultes pour démarrer l’engraissement des mâles et éviter que les femelles ne soient saillies – et poursuivent leur croissance -, le deuxième est de permettre aux mères de se remettre en état pour assurer la lutte principale (juillet – août). Il n’y a pas de différenciation particulière dans l’alimentation pour les femelles qui mettent bas à cette période, du fait d’un manque d’infrastructure et surtout pour faciliter la conduite. (De plus, une alimentation trop riche lors des fortes chaleurs d’été est déconseillée).

Année pluvieuse (2002 – 2003)

Période 1 : Assurer les mises bas en exploitant les ressources pastorales à proximité. Cette période suit une logique identique à celle d’une année sèche, cependant, les éleveurs de montagne qui ont accès à des espaces de parcours à proximité du siège d’exploitation font pâturer le troupeau une demi-journée – sous la garde d’une femme ou d’un des parents – et complètent l’alimentation par un apport de compléments achetés et de fourrages cueillis pendant le pâturage.

Dans le cas où les éleveurs ne se situeraient pas à proximité directe de parcours, le troupeau, divisé en deux lots, reste à l’enclos.

Période 2 : Déléguer la garde du troupeau pour assurer le renouvellement – ou l’augmentation – du troupeau en exploitant les ressources pastorales.

Cette période débute avec la recherche d’une opportunité pour déplacer le troupeau sur des espaces de pâturage suffisants pour l’alimenter jusqu’au début de l’été. Cette transhumance est permise soit par la mise en pension chez un berger ayant droit sur un parcours donné, soit par le déplacement d’une partie de la famille vers des espaces plus ouverts – moins d’arboriculture, moins d’habitations – qui combinent alors les activités de culture – moissons, cultures en sec, cueillette de ressources pastorales – et le pâturage.

L’arrêt de l’achat des aliments du bétail peut alors permettre aux éleveurs d’investir dans les moyens de production, en accroissant le cheptel par l’achat de mères reproductrices, en améliorant la productivité du troupeau par l’achat de reproducteurs ou dans les infrastructures du type bâtiment d’élevage.

C’est à ce moment que les éleveurs emploient de la main d’œuvre occasionnelle pour collecter des ressources pastorales et achètent des quantités massives de fourrages, afin de constituer des stocks qui seront distribués à partir de l’été (période 3).

Période 3 : Remettre en état les mères pour le redoublement des mises bas et faciliter l’engraissement.

Elle est identique en année sèche et pluvieuse. Dans le cas d’une mise en pension du troupeau, l’éleveur rapatrie les jeunes mâles sur le siège d’exploitation, ainsi que les mères en fin de gestation pour éviter de perdre des agneaux. Dans le cas où le troupeau serait gardé par une partie de la famille, tout le troupeau revient sur le siège d’exploitation à la fin de la moisson.

Figure 22 : Fonctionnement de l'élevage des "entrepreneurs pluriactifs"

Sept . Déc. Jan. Fev. Mar. Av. Mai Juin Juil. Août Déc. Jan. Fev. Mar. Av. Mai Juin Juil. Août Sept

.

Oct. Nov.

2002 2003

Cycle de production : 3 agnelages en deux ans voire 2 agnelages par an

Gestion de l’alimentation année sèche

Gestion de l’alimentation année pluvieuse

Déc. Jan. Fev. Mars Av. Mai Juin Juil. Août Sept. Oct. Nov.

Déc. Jan. Fev. Mars Av. Mai Juin Juil. Août Sept. Oct. Nov. Pâturage : Distribution : Main d’œuvre : Ressources : Pâturage : Distribution : Main d’œuvre : Ressources : Enclos

Pâturage sur secteurs « mixtes »

Terr. Sédentarisation ou enclos Enclos/ ter. « mixte » Ration complète (100% des besoins)

Une personne pour la distribution

Activité secondaire de femme

Territoires 1 ou 2

Soutien (50% des besoins) Soutien (50% des besoins)

Une femme ou employé distribution et pâturage

Achat Achat 1 2 3 1 1 2 3 Légende : Lutte Agnelage Ventes 1 Périodes de conduite

Régulations financières par des transferts entre postes

Le niveau d’équipement domestique est élevé, avec une nuance selon la localité : vêtements de qualité, accès à l’eau potable sur la concession - en plaine – parfois électroménager, nombreux déplacements vers les centres urbains régionaux, et bien entendu, un téléphone portable, outil de travail.

Les ressources extra agricoles soutiennent la reproduction familiale et permettent une production animale « intensive » (gros format des jeunes et vente engraissés à des dates ciblées). Les flux financiers sont importants entre les différents postes d’activité.

Dans les premières années d’installation de l’atelier d’élevage, les ressources extra agricoles sont investies dans un cheptel productif et supportent les frais d’alimentation du troupeau – achat du cheptel pendant la sécheresse -. Puis, la vente des produits avec une forte valeur ajoutée (approx. prix X2 pour les agneaux et chevreaux engraissés de race locale, X3 à 4 pour les races oasiennes bergui par rapport aux agneaux de six mois) génèrent des revenus alors injectés dans les dépenses familiales – exceptionnelles – ou réinvesties dans l’élevage. L’agriculture est d’autoconsommation, elle peut engendrer des coûts de matériel ou de main d’œuvre qui sont alors assurés par l’extra agricole ou l’élevage.

A remarquer le fonctionnement en année sèche : les ressources extra agricoles permettent l’achat de lots d’adultes à faible coût (décapitalisation des éleveurs tenus par la trésorerie type 1, et 4) et revente de ces lots remis en état ou saillis par des reproducteurs « de qualité » - après saillie ou en début de saison des pluies - à des éleveurs de type 2 ou 3 en année pluvieuse.

En années sèches et pluvieuses, vente des jeunes agneaux à l’cayd et des chevreaux au mois

de ramadan. Vente des agnelles non sélectionnées pour le renouvellement en été et au mois de ramadan.

Investissements important dans le système de production animal (aliments et bâtiments) pour une valeur ajoutée maximale sur les produits vendus.

Les ressources viennent au troupeau

Ce type d’élevage a peu de rapport direct avec les ressources naturelles, mais les éleveurs profitent de la mise en marché des ressources pastorales d’une part (achat de guedim en année sèche et de khortan en année pluvieuse) et d’autre part de l’emploi d’un berger. La relation aux ressources pastorales est fonction du réseau socioprofessionnel que se constitue l’éleveur, ainsi que du contexte de crise de l’emploi – et climatique - qui impose à une partie de la population de marchandiser ces ressources, en les cueillant ou en prenant des animaux en pension.

Ils ne sont pour autant pas dépendants des ressources pastorales, car ils ont les capacités d’assumer des frais importants d’aliments importés du nord du pays ou de l’étranger.

Figure 23 : Rapport au territoire des "entrepreneurs pluriactifs"

Transhumance Mixte Sédentarisation M Troupeau Ressources Pastorales

F Main d’œuvre (masculine, féminine/âgée/enfants, employés) E Code couleur : année pluvieuse année sèche chaque année Flux d’argent Déplacement physique Compléments Fourrages Type de territoire Légende : E M F F