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i nous nous plaçons du côté romain, l'horizon est plus complexe. Originellement, la religion romaine était multiforme : « Des travaux récents, surtout en archéologie, ont remis en cause la notion même d'une veine primitive, indigène, non contaminée, de la véritable religion romaine ; et ils ont suggéré que la religion romaine, loin d'avoir été une tradition pure destinée petit à petit à être polluée de l'extérieur, aurait été plutôt un amalgame de traditions diverses remontant au moins aussi loin dans le passé que l'on puisse envisager d'atteindre. Abstraction faite de

sa préhistoire mythique, la religion romaine aurait toujours été multiculturelle734 ». La vie

privée, civique et politique des Romains s'organisait autour de la religion. Les dieux du panthéon romain étaient le culte officiel. Les pratiques de la religion étaient cependant variées : le Romain pouvait participer à des cérémonies publiques, privées et tout cela dépendait aussi de son statut. Les modalités de pratique de la religion étaient nombreuses et renvoyaient à de nombreux rites. « À Rome, plusieurs ritus sont connus, le ritus

Romanus, le ritus Graecus, le ritus Albanus et les Graeca sacra. Parallèlement, les

Romains parlent de patria sacra, les rites ancestraux, et de peregrina sacra, les rites

732LEGLAY, 1966, 215. 733LEGLAY, 1966, 247.

734BEARD, NORTH, PRICE, 2006, 32.

étrangers. Krauter reprend mon analyse sur le ritus Graecus pour affirmer que ces catégories sont plus ou moins officielles et que les Romains les ont créées pour s'affirmer

comme une société multiculturelle. Enfin, S. Krauter735 rappelle que les Romains

opposaient encore les cultes romains et non romains, les cultes propres et les cultes des autres, les cultes reconnus et les cultes déviants, les cultes nouveaux et anciens, les cultes barbares et les cultes civilisés. La conclusion qu'il en tire est que toutes ces catégories par lesquelles les Romains essayaient de définir leur religion produisaient une pluralité troublante et contradictoire. Aucune frontière n'aurait été tracée pour permettre d'identifier ce qui était typiquement romain. (…) Si donc les Romains se définissaient par le biais de la religion, ils l'auraient fait de manière paradoxale. Être romain aurait signifié célébrer des

cultes non romains736 ». La variété des rites renvoie à l'essence même de la religion

romaine et au fait qu'il était très difficile de la définir clairement. La religion romaine ne suivait pas une doctrine claire et unique mais reposait simplement sur des pratiques rituelles. « Pour commencer, la pensée religieuse romaine, ou la religion romaine, n'était pas une doctrine englobante, discutée, définie et fixée par des spécialistes depuis des siècles dans des dogmes. On n'y trouve que des sacra, des caerimoniae, des religiones, c'est-à-dire des obligations rituelles. La jurisprudence sacerdotale pouvait donner telle ou telle précision à propos de tel ou tel rite dans les cultes publics, mais les prêtres n'avaient aucune compétence en matière de cultes privés. Il n'y a jamais eu une doctrine unifiée de toute la pratique religieuse romaine. Elle ne connaissait ni Révélation, ni dogme, ni livre sacré737 ».

La religion romaine a depuis toujours été un mélange mais cela n'est pas vraiment étonnant. « Tout comme n'importe quelle culture ou langage, aucune religion ne peut aucunement être pure, non contaminée. C'est toujours le résultat d'un mélange, même aux premiers stades que nous sommes capables d'identifier. Donc le tri entre des éléments romains et non-romains, ou pour des périodes postérieures un concept comme syncrétisme

aussi opposé qu'une « pure » religion, sont des non-sens738 ». Cela ne veut pas dire pour

autant que Rome acceptait tous types de cultes en son sein sans difficulté. Les cultes étrangers étaient accueillis avec méfiance, comme ce fut le cas de celui de Magna Mater,

735KRAUTER, 2004, 25. 736SCHEID, 2013, 101. 737 Id., 101-102.

738SCHEID, 1995, 17, « now like any culture or language, a religion is never and never can be pure, uncontaminated. It is always the result of mixture, even at the earliest stages we are able to identify. So the sorting out of Roman and non-Roman elements, or for later periods a concept like syncretism as opposed to a « pure » religion, are nonsense ».

par exemple, au IIIème siècle av. J.-C.739. Malgré ces réglementations, le culte de Magna Mater ne fut pas le culte le plus problématique qui se trouvait à Rome. Il suffit de penser à

l'affaire des Bacchanales740 pour s'en rendre compte.

C'est sous la République que sont introduits à Rome les cultes orientaux, et particulièrement celui d'Isis. Cette introduction ne fut pas non plus vécue facilement par les Romains. « Les importations religieuses ne s'interrompirent pas entièrement pendant la dernière période de la République (et ne s'interrompirent jamais à Rome). On peut citer en exemple les nouveaux cultes d'Isis et de Sérapis, qui avaient leurs origines en Egypte, mais qui étaient sans doute fortement hellénisés lorsqu'ils arrivèrent à Rome. Mais ils ne furent pas « admis », comme Magna Mater, par un vote des autorités de l'Etat, et ils ne résultaient pas non plus d'une consultation des Livres Sibyllins, comme c'était le cas pour bon nombre

de nouveaux venus antérieurs 741 ». De nombreuses tensions internes et externes

enveloppent la religion romaine. Cela provient de la structure même de la religion romaine. Le mouvement général a toujours été d'intégrer des éléments étrangers pour les faire siens. « Les catégories religieuses des cultes Graeco ritu ou des peregrina sacra montrent que Rome n'a jamais cessé d'être une cité ouverte, intégrant des individus tout autant que des dieux et des cultes. Mais un autre fait émerge aussi. Les preuves littéraires font clairement apparaître que le mouvement général était destiné non seulement à introduire de nouveaux dieux à Rome, mais aussi à montrer que les anciens dieux romains étaient en réalité d'origine étrangère, et non pas d'une ville étrangère, mais bien d'un ethnos étrangèr. Cela implique que le phénomène était ancien et lié à une auto-conscience particulière, opposant les Romains et leurs alliés, en tant qu'ethnos, aux parties Helléniques de l'Italie et au

739BEARD,NORTH,PRICE, 2006, 106, « Cependant, l'accueil que le Sénat réserva, en son temps, au culte de la Magna Mater suggère la même attitude de méfiance en face d'une activité religieuse indépendante. L'importation de ce culte s'accompagnait de tous les signes d'enthousiasme et d'engagement de la part des Romains. À l'origine, l'invitation avait été suggérée par les Livres Sibyllins ; on avait consulté l'oracle de Delphes ; le symbole de la déesse, une pierre noire, avait été transporté en bateau de Pergame, et salué, à son arrivée, comme il se doit, par un miracle ; un nouveau temple avait été construit après la fin de la guerre dans une position éminente sur le Palatin à Rome, et on avait commencé à célébrer de nouveaux jeux une fois que la consécration avait eu lieu, et peut-être même avant. (…) C'est pendant cette deuxième phase que l'on commence à voir le culte soumis à un certain nombre de restrictions et de contrôles et que certaines caractéristiques insolites apparaissent. Il semble y avoir eu promulgation d'une loi spécifique pour réglementer ce culte ».

740 Le scandale des Bacchanales est une affaire datant de 186 av. J.-C. qui nous est rapportée par TITE-LIVE,

Ab Urbe Condita, XXXIX, 8. La découverte d’orgies pratiquées lors de cérémonies d’initiation amène le

Sénat à mener une politique de répression contre le culte de Bacchus. Cf aussi CUQ, 1914, 139-162, qui retranscrit le texte du sénatus-consulte De Bacchanalibus gravé sur une plaque de bronze et retrouvé dans le Bruttium en 1640.

monde vu comme un tout742 ». L'identité religieuse n'est pas une donnée claire et facile à percevoir car elle s'est construite avec des influences extérieures. De plus elle repose sur

une dimension orale qui est son cadre et avec laquelle elle prend sens743.