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L’aurum dans le conte de Psychè : les épreuves

2.2 L'argent en tant que matière

2.2.5 L’aurum dans le conte de Psychè : les épreuves

Les trois occurrences suivantes d’aurum interviennent lors des épreuves de Psychè au

livre VI, 11 à 13 : ils suivent les étapes de l’épreuve subie par Psychè313. Vénus présente

l’objet de sa requête en ces termes, au livre VI, 11 :

Oves ibi nitentis auri vero decore florentes incustodito pastu vagantur.314

L’aurum est déterminant dans la conduite de l’épreuve et plus globalement du récit. Vénus

éveille la curiosité de Psychè en s’appuyant sur des éléments visuels qui attirent le regard315.

Elle cherche à induire en erreur Psychè en concentrant son attention sur l’or, l’absence de gardes et leur activité. Les brebis semblent ainsi des animaux inoffensifs car occupés à une activité calme et des proies faciles. Mais c’est surtout sur aurum que Vénus s’arrête car elle en fait le point central autour duquel convergent deux participes présents florentes et

nitentes316. L’utilisation, dans ce cadre, de l’or invite à se poser des questions. L’or n’est-il pas en ce sens un élément qui amène à se tromper, à s’égarer, étant lié aux sens ? Il est associé

312 Robertson le rappelle dans ses notes au livre VI, 6 : « c’est qu’en effet Vulcain n’est pas seulement forgeron ; il est ciseleur et graveur et travaille les métaux précieux. Les figures qui ornent le bouclier d’Enée (Enéide, VIII, 626 sqq.) sont, pour une bonne partie en or et en argent ».

313 Sur le fonctionnement des épreuves cf. BROSSARD, 1978, 78-134. Cf. aussi VON FRANZ, 1978, chap. V, 105 sq., concernant la psycho-symbolique des épreuves et leur signification initiatique.

314APULEE, Métamorphoses, VI, 11, « des brebis, dont la toison brille de l’éclat naturel de l’or, y paissent sans gardien, errant à l’aventure ».

315 Cette scène fait, directement, suite à une phrase interrogative commençant par le verbe video.

316 D’ailleurs nous trouvons dans le Laurentianus 68, 2, la leçon nitentes qui placerait auri en facteur commun de ces deux participes dans ce cas au nominatif pluriel, complétant le nom oves. Cependant les deux participes présents étant de sens assez proche, il paraît plus logique de faire préférer la leçon nitentis : il s’agirait alors d’un génitif singulier accordé avec aurum. La traduction personnelle suivante pourrait peut-être rendre compte de ces nuances : « des brebis, étincelantes de cet éclat véritable qu’a l’or dont le propre est de briller, y paissent sans gardien, errant à l’aventure ».

au monde des passions. Ici, les propos de Vénus n’ont rien d’altruiste. Ils ont pour objectif de précipiter Psyché vers la mort et annoncent d’ailleurs une des prochaines épreuves qui sera de se rendre aux Enfers. Aurum est-il ici utilisé pour donner une idée fausse de la réalité de la situation. Le choix d’apposer à côté de lui l’adjectif verus est en ce sens ironique et chargé de sens. Certes, le propre de l’aurum est de briller, mais cette caractéristique empêche de détecter le caractère véritable de ces bêtes sauvages. L’apparence des êtres et des choses est encore sujette à caution. L’or et l’argent ne sont-ils pas alors des perturbateurs de la perception du monde ? Un philosophe platonicien tel qu’Apulée ne peut ignorer la dualité de ces éléments : d’une part, ils sont des marqueurs de la fluidité du monde du devenir mais dans le mesure où ils suscitent des passions, ils constituent des obstacles à toute tentative d’aller plus loin dans la perception de ce qui est réel. L’or brille et l’or en tant qu’il brille est une image suggestive de la lumière. Pour un platonicien, c’est un élément très important. L’or en tant qu’il brille renvoie au monde de la lumière, de la vérité. L’argent en tant qu’il circule renvoie plutôt au monde du devenir. L’or est ce qui pourrait tourner vers le monde de la lumière, et de l’être mais comme il suscite une grande passion, la passion fait obstacle à l’ascension vers la lumière.

Psychè n’est pas réceptive aux pièges tendus par Vénus. Mais ce sont les paroles issues du fleuve qui lui permettent de déjouer le piège tendu par Vénus, au livre VI, 12 :

Et cum primum mitigata furia laxaverint oves animum, percussis frondibus attigui nemoris lanosum aurum repperies, quod passim stirpibus conexis ohaerescit’.317

Nous pouvons noter une évolution dans la présentation de l’aurum entre les deux passages. Alors que Vénus caractérisait les oves de façon globale, le fleuve fait bien la distinction entre les oves et l’aurum. Ce dernier n’est pas une caractéristique propre et interne à l’animal mais se trouve juste placé à l’extérieur comme l’indique l’adjectif lanosus qui désigne à quel niveau se situe le matériau. Qu’un animal rendu violent (mitigata furia) puisse être muni d’un matériau aussi noble prouve que la présence de l’or ne permet pas à lui seul de porter un jugement arrêté. Cela montre que l’or agite les passions même chez les animaux. Cela prouve l’association entre le monde de l’or et le monde de la passion.

Finalement, c’est Psychè elle-même qui entre en contact avec la laine d’or, en VI, 13 :

Nec auscultatu paenitendo, diligenter instructa, illa cessavit, sed observatis omnibus furatrina facili flaventis auri mollitie congestum gremium Veneri reportat.318

317APULEE, Métamorphoses, VI, 12, « dès que les brebis, leur fureur apaisée, seront plus tranquilles, bats les ramures du bois voisin : tu trouveras de cette laine d’or, qui reste accrochée çà et là dans l’enchevêtrement des branches ».

Ici est mise en valeur la minutie de Psychè à appliquer les conseils donnés. Cela lui permet de trouver l’or et non pas la bête qui risquait de la dévorer. En effet, Psychè n’est pas mise en danger par une bête féroce. L’aurum n’est défini que par sa consistence (mollitie) et sa couleur (flaventis). Il ressort de ces trois passages une volonté d’opposer les propos mensongers de Vénus à la réalité de la tâche. Cette scène rappelle évidemment le mythe de la toison d’or rapportée par Jason. L’épopée des Argonautiques, composée par Apollonios de Rhodes au IIIe siècle av. J.-C., offre le récit littéraire le plus complet sur l’objet précieux que

Jason doit récupérer319. Il s’agirait à l’origine d’une légende mythologique de Thessalie,

antérieure aux poèmes homériques320. La toison d’or que Jason doit ramener pour reconquérir

son trône est elle aussi gardée, mais par un dragon. Lui aussi doit attendre le moment propice pour agir : la nuit, quand le dragon est endormi. Cette dernière référence à l’or clôt la série concernant le mythe de Psyché entre les livres IV et VI. Dans quelle mesure l’apparition de l’aurum marque-t-elle les êtres et les realia ? L’aurum est dans les deux cas un élément qui caractérise le récit mythologique. Pour autant son apparition n’octroie pas une valeur intrinsèque, absolue à l’univers divin. L’aurum définit-il véritablement et intrinsèquement l’univers divin? Ou ne transfère-t-il pas dans l’univers divin une valeur éminemment humaine? Les personnages divins imitent naïvement la nature humaine dans ses

mœurs et son langage321. Un premier niveau de trivialisation est remarqué du fait des

allusions juridiques dans le conte de Psyché. Un deuxième niveau concerne la personnalité et le comportement des dieux comme dramatis personae : « Apulée opère par glissement, il choisit un trait du personnage, le grossit, l’humanie ; ce glissement toute fois n’est pas anodin. Il permet de faire entrer ce récit dans le système normatif des contes puisque ces dieux, à la limite, n’en sont plus, et ainsi de quitter le mythe, il permet aussi, parfois, un

glissement de sens322 »

318APULEE, Métamorphoses, VI, 13, « Psychè ne commit pas la faute de prêter à ces instructions précises une oreille distraite ; elle eut soin au contraire de les suivre point par point, et dérobe facilement, de la molle toison d’or fauve, de quoi en remplir sa robe et le rapporter à Vénus ».

319APOLLONIOS DE RHODES,Argonautiques, chant IV. Ce mythe se retrouve évoqué ailleurs mais de façon

plus allusive. C’est ce qu’indique COIGNET, 2012, 56 : « une légende évoquée dans certains passages de L’Iliade et de l’Odyssée, connue dès l’époque mycénienne, vers 1500-1100 avant J.-C., liée peut-être à l’installation des premiers comptoirs commerciaux destinés aux échanges de produits mycéniens contre du fer, du cuivre ou de l’or ». Il précise également qu’Hésiode évoque ce mythe dans la Théogonie, de même que Pindare, dans sa Quatrième Ode pythique.

320 Cf. COIGNET, op.cit., ibidem. Sur la question mythologique voir aussi LIEZ, 1998 et GRIMAL, 1999. 321 Cf. BELLOT-ANTONY, 1982, 84 et ANNEQUIN, 1996, 252-254.