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Récits en lien avec la mythologie

2.1 La religion gréco-romaine

2.1.1 Récits en lien avec la mythologie

pulée fait intervenir la religion gréco-romaine de différentes façons dans son œuvre. Il utilise déjà les mythes gréco-romains. C'est d'ailleurs ce que nous retrouvons le plus couramment et le plus régulièrement dans son récit. Le mythe est dans ce cadre un élément culturel commun au plus grand nombre qui lui permet de se mettre au niveau de son lectorat et de l'attirer dans ses filets. C'est un moyen pour lui de rapprocher des éléments de son récit à un univers proche et connu de tous. Mais selon J. Beaujeu, il se soucie peu en cela d’une cohérence dans le traitement de

la mythologie779. C’est ce que prouve l’accumulation des récits mythiques. Cela commence

avec la description de l'atrium de Byrrhène au livre II, 4. L'évocation de l'histoire de Diane

et d'Actéon transformé en cerf emmène le lecteur en terrain connu780. Cela complète bien

évidemment le tableau du personnage de qualité qui vit dans un cadre économico-culturel supérieur. Quand Lucius entre dans la demeure de Byrrhène, il découvre un atrium qui

représente la Victoire et le mythe de Diane vue au bain par Actéon781. Il n’y est pas

question d’argent mais tout évoque le luxe et donc la cherté. Le portrait qui est fait de cette Diane au bain est très détaillé. D'un côté, il permet de mettre en valeur les richesses de Byrrhène et sert en cela de prétexte à cet étalage de biens. D'un autre côté, il précède la

mise en garde de Byrrhène sur Pamphilè782. Il constitue aussi un avertissement au sort qui

lui est reservé. Or, malgré la longueur de la description de la Diane et l'admiration de Lucius, il n'aura fallu que quelques paroles de Byrrhène pour que Lucius s'écarte de la

779 Cf BEAUJEU, 1983, 385-406. La nature et la fonction des dieux dans les œuvres attribuées à Apulée font apparaître certaines contradictions. Compte tenu de sa personnalité et des tendances de son époque, on peut admettre qu'il a voulu illustrer tour à tour, sans souci majeur de cohérence, deux solutions en vogue qui l'attiraient l'une et l'autre, au problème de la relation entre l'homme et la divinité transcendante : la démonologie et le mysticisme isiaque.

780PUCCINI-DELBEY, 2001, 87, « le mythe d’Actéon et de Diane, représenté sous forme d’œuvre scupltée dans l’atrium de Byrrhène, la parente de Lucius, en II, 4 ouvre l’itinéraire initiatique de Lucius et se présente comme un mythe fondateur ».

781APULEE, Métamorphoses, II, 4, ecce lapis Parius in Dianam factus tenet libratam totius loci medietatem,

signum perfecte luculentum, veste reflatum, procursu vegetum, introeuntibus obvium et maiestate numinis venerabile.

« Un bloc de marbre de Paros figurant une Diane occupait le milieu de la salle, qu'il partageait symétriquement. Chef-d'oeuvre sans défaut, la déesse, tunique au vent, semblait, dans sa course agile, se porter au-devant des entrants, et par sa majesté inspirait la vénération ».

782 De fait, il renvoie précisément aux « dangers que court Lucius à vouloir être trop curieux et à se laisser fasciner par l’art magique que pratiquent nombre de femmes thessaliennes qu’il prend pour les guides de la connaissance. […] Actéon, devenant cerf, quitte son humanité, c’est-à-dire perd son nom, son identité, sa parole, pour rejoindre le monde animal, celui de l’instinct pur et incontrôlé et de l’absence de langage. Puis il perd même la vie, démembré peu à peu par ses propres chiens : ce qui le tue, c’est l’obscurité du secret féminin mis à jour dans sa forme la plus terrifiante »,PUCCINI-DELBEY, 2001, 87.

religion. Le contraste n'en est que plus saisissant. Et la cause de cet écart tient en l’utilisation d’une parole qui s’appuie sur la vision des richesses de Byrrhène.

Le personnage de Lucius lui-même est souvent mis en parallèle avec les personnages de la mythologie. Dès son outricide au livre III, 18, Lucius se compare à

Ajax783. La référence à Ajax introduit directement un certain excès chez le personnage qui

se lance dans la bataille sans parvenir à délimiter le réel de l'irréel. Malgré tout, Lucius fait preuve d'un courage assez remarquable à son sens et pour cela il s'assimile aussi au

personnage d'Hercule confronté à l'un des douze travaux784. Lucius semble vouloir donner

une dimension plus héroïque à son parcours finalement assez comique. La référence mythologique sert aussi en cela le cadre narratologique. Dans quelle mesure ces allusions redorent-elles le blason du personnage ou au contraire appellent-elles à s’interroger sur l’inversion des éléments en présence ? Dans un tel système, la thématique financière trouverait une place toute spéciale.

Ces effets de parallélisme avec la mythologie se poursuivent à la suite du conte d'Amour et de Psyché lors des différentes tentatives de libérations de Charité et de Lucius-âne. Ainsi, Lucius est-il souvent comparé aux dieux ou aux créatures mythologiques : livre

VI, 27785, VI, 29786, VI, 30787. Cela semble placer Lucius au dessus de sa condition d'âne.

Le rapprochement avec des créatures immortelles, divines, supérieures efface momentanément les frontières entre animal, humain et divin car à ces instants Lucius présente ces trois aspects. Cela perdure également dans les livres suivants à diverses

783 APULEE, Métamorphoses, III, 18, in insani modum Aiacis armatus, non ut ille vivis pecoribus infestus

tota laniavit armenta.

« Tu t'es servi de ton arme, tel un Ajax dans sa folie : mais c'est à des bêtes vivantes que s'attaquait Ajax quand il massacrait des troupeaux entiers ».

784APULEE, Métamorphoses, III, 19, ergo igitur iam et ipse possum ' inquam' mihi primam istam virtutis

adoriam ad exemplum duodeni laboris Herculei numerare vel trigemino corpori Geryonis vel triplici formae Cerberi totidem peremptos utres coaequando.

« Je peux aussi bien, à ce compte, assimiler cet exploit, mon premier titre de gloire, à l'un des douze travaux d'Hercule : trois outres tuées valent bien le triple corps de Géryon ou les trois têtes de Cerbère ». 785 Apulée, Métamorphoses, VI, 27, non tauro sed asino dependentem Dircen aniculam.

« Une Dircé, petite vieille, suspendue non à un taureau, mais à un âne ».

786 APULEE, Métamorphoses, VI, 29, et iam credemus exemplo tuae veritatis et Phrixum arieti supernatasse

et Arionem delphinum gubernasse et Europam tauro supercubasse. Quodsi vere Iupiter mugivit in bovem, potest in asino meo tatere aliqui vel vultus homini vel facies deorum.

« Et nous croirons désormais, sur la réalité de ton exemple, que Phrixus a passé les eaux sur un bélier, qu'Arion a piloté un dauphin et qu'Europe s'est couchée sur le dos d'un taureau. Et si vraiment Jupiter a mugi sous l'aspect d'une bête à cornes, il se peut que dans mon âne se cache ou le visage d'un homme ou la figure d'un dieu ».

787 APULEE, Métamorphoses, VI, 30, at paulo ante pinnatam Pegasi vincebas celeritatem. « Il n'y a pourtant qu'un moment, tu battais à la course Pégase, le cheval ailé ».

occasions : livre VII, 28788 et VIII, 16789. Ces citations placent encore une fois le personnage au-dessus de sa condition. Les aspects mythologiques, tout comme nous l’avions vu précédemment avec l’argent, servent à estomper les différences en créant un

mixtum très complexe. Cela jette le doute sur l’apparence et la réalité des éléments en

présence.

L'utilisation de la mythologie ne se limite pas à Lucius lui-même mais touche aussi

d'autres personnages comme Télyphron au livre II, 23790, 25791, 26792. La comparaison de

Télyphron à des récits mythiques et à des instances divines permet-elle pour autant de donner un statut plus sérieux à son histoire ? À ce titre, Apulée mélange bien évidemment les genres et les tons afin de brouiller les cartes. C'est à la fois la complexité et la richesse de sa création littéraire. Les mélanges touchent ainsi des niveaux divers et semblent indiquer une volonté de faire correspondre les différentes strates du récit. La lecture mythologique s’inscrit ainsi dans un ensemble qui n’est pas décroché de la thématique de l’or et de l’argent.

Le personnage de Tlépolème se place sous la protection de Mars quand il apparaît face aux voleurs. Cela prouve l'importance de l'univers mythologique et cela induit aussi une lecture intuitive des personnages. Est-ce une manière de le représenter de façon méliorative ? À la différence des brigands, Tlépolème a des valeurs, des références culturelles qui paraissent le placer au-dessus, le guider. Il pourrait représenter une vision

idéalisée de l’époque impériale793. Il se présente prenant appui sur le dieu Mars794.

788APULEE, Métamorphoses, VI, 28, ceterum titione delirantis Althaeae Meleager asinus interisset. « Faute de quoi le tison d'une Althée en délire causait la mort de l'âne Méléagre ».

789APULEE, Métamorphoses, VIII, 16, denique mecum ipse reputabam Pegasum inclutum illum metu magis

volaticum fuisse ac per hoc merito pinnatum proditum, dum in altum et adusque caelum sussilit ac resultat, formidans scilicet igniferae morsum Chimaerae.

« Et à ce propos, j'y songeais à part moi, le célèbre Pégase, c'est plutôt la peur qui l'a fait voler ; et si la tradition, non sans raison, lui a donné des ailes, c'est pour s'être élancé dans les airs et avoir bondi jusqu'au ciel, évidemment parce qu'il redoutait la morsure de la Chimère vomisseuse de flammes ». 790APULEE, Métamorphoses, II, 23, vides hominem ferreum et insomnem, certe perspicaciorem ipso Lynceo

vel Argo et oculeum totum.

« L'homme que tu vois a un corps de fer, inaccessible au sommeil, une vue plus perçante, en tout cas, que Lyncée lui-même ou qu'Argus ; en un mot, il est tout yeux ».

791APULEE, Métamorphoses, II, 25, ut ne deus quidem Delphicus ipse facile discerneret duobus nobis

iacentibus qui esset magis mortuus.

« Le dieu de Delphes lui-même aurait eu peine à décider, des deux gisants, lequel était le mort ».

792APULEE, Métamorphoses, II, 26, sic in modum superbi iuvenis Aoni vel Musici vatis piplei laceratus

atque discerptus domo proturbor.

« C'est ainsi que, semblable à l'orgueilleux jeune Aonien ou au chantre inspiré de Piérie, on me jette hors de la maison, déchiré et mis en pièces ».

793 Cf ECHALIER, 2008, 721-736. Le discours de Tlépolème présente l’histoire édifiante de Plotine et met ainsi en valeur l’opposition entre le héros épique proche du monstrueux et la justicière civilisée qui représente l’harmonie d’un ordre impérial idéalisé.

L'invocation à Mars se poursuit au fil de son discours795. Le courage et l'audace de Tlépolème sont mis en valeur dans ce passage car il se sait en position d'infériorité numérique face aux brigands qui ont pris en otage sa fiancée Charité mais grâce à son courage, à l'aide qu'il espère obtenir de Mars, il réussit à vaincre. D'où l'intérêt les

différentes offrandes au dieu afin de s'assurer de son appui796. Or la religion est ici

présentée comme une aide pour triompher du monde des voleurs. Dans cet univers des brigands, la valeur suprême est l’or. Donc l’intervention du dieu Mars invite à s’interroger sur la nature du combat à livrer ? S’agit-il de triompher des voleurs ou n’est-ce pas plutôt une métaphore de la lutte contre l’or, l’argent et tout ce que cela signifie ?