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Le monde du travail, du commerce et des profits en tous genres

2.1 L'évocation directe

2.1.2 Le monde du travail, du commerce et des profits en tous genres

e récit des Métamorphoses est marqué par le monde du commerce. Dès le début du livre I, Lucius s'insère dans une conversation qui ne le concerne pas et souhaite connaître l'histoire d'Aristomène. Il présente les tours d'un faiseur de sabre afin de montrer sa bonne volonté et sa bienveillance à l'égard du récit qu'il s'apprête à entendre :

Et tamen Athenis proxime et ante Poecilen porticum isto gemino obtutu circulatorem aspexi equestrem spatham praeacutam mucrone infesto devorasse, ac mox eundem invitamento exiguae stipis venatoriam lanceam, qua parte minatur exitium, in ima viscera condidisse650.

Ce qui est mis en valeur n'est pas tant l'argent qui permet l'exécution d'un tel tour mais bien le tour en lui-même qui impressionne ceux qui sont autour de faiseur de tours et indirectement le lecteur. Les stipes sont exiguae, ce qui prouve que l'attrait financier n'est pas immense ou alors que la pauvreté de cet artisan est telle qu'il est prêt à tout pour une quantité bien modeste. Mais cet épisode ne sert que d'introduction au récit d'Aristomène et

648APULEE, Métamorphoses, VII, 9, quin ego censeo deducendem eam ad quampiam civitatem ibique

venundandam. Nec enim levi pretio distrahi poterit talis aetatula. Nam et ipse quosdam lenones pridem cognitos habeo, quorum poterit unus magnis equidem talentis, ut arbitror, puellam istam praestinare condigne natalibus suis.

« Mon avis à moi est plutôt de la conduire en quelque ville et de l'y vendre. Car on pourra d'une jeunesse ainsi faite tirer un prix non méprisable, et je connais pour ma part depuis longtemps quelques marchands de chair humaine, dont l'une ou l'autre, à ce que je pense, est bien dans le cas de donner de cette fille les beaux talents que vaut sa naissance ».

649APULEE, Métamorphoses, VII, 13, totis ergo prolatis erutisque rebus et nobis auro argentoque et ceteris

onustis ipsos partim constrictos, uti fuerant, provolutosque in proximas rupinas praecipites dedere, alios vero suis sibi gladiis obtruncatos reliquere.

« Tout fut tiré des cachettes et porté au dehors ; on nous chargea d'or et d'argent, sans oublier le reste ; quant aux brigands eux-mêmes, on fit rouler les uns, liés comme ils étaient, jusqu'aux rochers voisins, d'où on les précipita; on laissa les autres sur place après leur avoir tranché la tête avec leurs propres épées ».

650APULEE, Métamorphoses, I, 4, « et pourtant, l'autre jour, à Athènes, devant la Poecile, j'ai vu, de ces deux yeux vu, un faiseur de tours avaler, la pointe en avant, un sabre de cavalerie fort tranchant. Après quoi, encouragé par quelques pièces de monnaie, il s'enfonça jusqu'aux entrailles, par le bout meurtrier, un épieu de chasse ».

de Socrate. Socrate est plongé dans la dépravation la plus totale quand Aristomène le

croise651. Combiné à son apparence misérable, l'argent est un trait qui le pousse vers l'état

le plus indigne. C'est d'autant plus dégradant que cette activité n'est même pas exercée pour son propre compte mais pour le compte de Méroé. Or, initialement, rien ne semblait annoncer cette décadence :

Nam, ut scis optime, secundum quaestum Macedoniam profectus, dum mense decimo ibidem attentus nummatior revortor.652

Socrate n'est pas foncièrement attiré par l'argent, même si bien sûr il a une activité qu'il souhaite rentabiliser au mieux. Son travail avait pu être payant comme le confirme l'adjectif nummatior au comparatif formé sur nummus. C'est davantage les mauvais choix qu'il fait qui sont la source de ses problèmes : l'envie de voir un spectacle de gladiateurs, le choix de passer par Larissa par un endroit mal fréquenté, le choix de rester chez une aubergiste assez douteuse dont il partagera le lit. Ces choix le mettent en relation avec des brigands et une magicienne possessive et profiteuse. Malheureusement pour lui l'argent est le facteur commun de ces deux groupes. L’argent n’est-il pas le dénominateur commun de tous ces individus de situation bien distincte ?

'association entre Milon et les finances est l'une des plus évidentes. Son activité de riche fenerator peu scrupuleux est connue de tous. Sa réputation le précède tellement qu'elle parvient aux oreilles de Lucius, dès

son arrivée à Hypata 653 . Le portrait dressé donne la vision d'un personnage

particulièrement attaché aux gains financiers et aux moeurs très discutables. La rencontre avec Photis ne fait que confirmer cet aspect de Milon, aspect qui semble contaminer ses proches car Photis s'adresse d'une façon des plus dédaigneuses à l’égard de

Lucius654. L'attitude de Photis indique que le quotidien de cette maison est la pratique de

651 APULEE, Métamorphoses, I, 6, humi sedebat scissili palliastro semiamictus, paene alius lurore, ad

miseram maciem deformatus, qualia solent fortunae decermina stipes in triviis erogare.

« Il était assis à terre, à moitié couvert d'un mauvais manteau déchiré, le teint terreux, méconnaissable, défiguré par une maigreur à faire pitié, semblable à ces épaves de la vie qui mendient des sous dans les carrefours ».

652 APULEE, Métamorphoses, I, 7, « comme tu le sais, en effet, j'étais allé en Macédoine pour mon commerce. Après neuf mois d'efforts soutenus, j'en revenais, mieux garni d'écus ».

653APULEE, Métamorphoses, I, 21, inibi iste Milo deversatur ampliter nummatus et longe opulentus verum

extremae avaritiae et sordis infimae infamis homo, foenus denique copiosum sub arrabone auri et argenti crebriter exercens.

« C'est là que demeure ton Milon, un homme qui possède des écus et du bien en abondance, mais décrié pour son extrême avarice et sa bassesse sordide. Il pratique, en effet, l'usure avec profit, prenant en gage de l'or et de l'argent ».

654APULEE, Métamorphoses, I, 22, an tu solus ignoras praeter aurum argentumque nullum nos pignus

admittere ?

l'usure. La seule valeur de référence est aurum argentumque. En découvrant la qualité de Lucius, le traitement qui lui est réservé est, aux yeux de Milon, des plus révérencieux. La

bassesse du personnage et son goût pour l'argent annoncent une fin particulière655. L’argent

est-il la cause des événements ? La place de cet élément invite à se poser la question du rôle qu’il joue. Comment l’univers des Métamorphoses – et à travers lui, ses références au réel – se construit-il autour de cette notion ?

u cours d'un repas très léger organisé par Milon, l'histoire d'un faiseur d'oracles entre dans la conversation. Ce dernier venait de conseiller un négociant Cerdon sur le jour approprié pour réaliser un voyage quand l'ironie du sort joue un mauvais tour à Diophane et évite à Cerdon une probable mauvaise

aventure656. Ici, est répété à plusieurs reprises le versement de la monnaie afin de montrer

la rapidité des événements. La quantité donnée était conséquente. Or, quand Cerdon apprend que Diophane ne semble pas avoir plus d'aptitudes à donner des oracles que

lui-même, sa réaction ne se fait pas attendre : il récupère sa mise657. La parole, dans le cas de

Diophane, peut lui permettre de s'acquérir des gains substantiels dans le sens où ce sont ses prédictions verbales qui lui servent de gagne-pain. Mais, en même temps sa parole lui causera du tort car elle fera fuir Cerdon. Diophane, pris par surprise, n'a pas su déceler la portée de ses paroles et les répercussions éventuelles sur son travail. Cela remet en cause la valeur de la parole et ses finalités. Le langage de Diophane lui permet de gagner de l'argent. Si la valeur de la parole ne peut être prouvée (rien ne permet de savoir si Diophane a raison, à part l'avenir), l'associer à l'argent saurait-il être un profit honnête ? C'est le même problème que nous retrouvons avec les prêtres de la déesse syrienne, lorsqu'ils se mettent à réaliser des oracles. Seulement, les concernant, il ne fait aucun doute que leur parole n'a aucune valeur. Or l'avenir de Lucius prédit par Diophane s'avérera juste. Comment démêler ainsi la nature de l’argent par rapport à ce que cette notion renvoie ? La

« Serais-tu le seul à ignorer que nous n'acceptons en garantie que l'or et que l'argent ? ».

655 En plus d'avoir une femme pernicieuse qui le trompe, Milon se fait voler par les brigands qui emportent Lucius

656APULEE, Métamorphoses, II, 13, quem cum electum destinasset ille, iam deposita crumina, iam profusis

nummulis, iam dinumeratis centum denarium quos mercedem divinationeis auferret, ecce quidam de nobilibus adulescentulus a tergo adrepens eum lacinia prehendit.

« On lui en désigne un entre tous, et déjà notre homme avait déposé sa bourse, répandu sa monnaie, compté cent deniers au devin pour prix de sa consultation, quand un jeune homme du meilleur monde, se glissant par derrière, tira Diophane par le bord de son vêtement ».

657 APULEE, Métamorphoses, II, 14, hace eo adhuc narrante maesto Cerdo ille negotiator correptis

nummulis suis, quos divinatione mercedi destinaverat, protinus aufugit.

« Il n'avait pas fini sa lamentable histoire, que Cerdon, notre négociant, raflait les pièces destinées au paiement de la prédiction et prenait vivement la fuite ».

mise en abyme des questionnements intrinsèques aux Métamorphoses est ici particulièrement sensible.

hilèbe et ses comparses quant à eux, alors qu’ils sont censés être les

modèles de probité658, profitent de leur statut pour amasser des sommes et

des objets de prix. Ils se flagellent en public afin de susciter la stupéfaction

des passants et leur générosité659. Comme si leur façon de procéder n'était pas suffisante,

ils s'improvisent faiseurs d'oracles pour augmenter leur revenu660. De par leur duplicité et

leur convoitise, les prêtres s'apparentent à des voleurs et en perdent en dignité. L’argent et ce qu’il véhicule dans ce cadre précis n’est-il pas un révélateur des apparences ? Les gens qui jouent des apparences dans des buts lucratifs sont justement des individus attirés par les richesses. Apulée le signale fortement et cela se ressent dans leur histoire respective. Mais cela suffit-il à dresser un tableau clair et cohérent de l’ensemble des situations présentes dans l’œuvre d’Apulée ?