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2.1 L'évocation directe

2.1.3 Les non-citoyens

es voleurs sont les premiers intéressés par l'argent, de par leur activité frauduleuse et cela se ressent dans les nombreuses références qui y sont faites. Apulée construit une image autour du voleur, image qui joue sur

différents tableaux de l’horizon d’attente des lecteurs de son époque661. Un brigand digne

de ce nom se doit d'apparaître avec un minimum d'argent662. Cet attrait pour l'argent, dans

toutes ses configurations possibles, leur fait choisir des cibles aisées. Le premier Chryseros

658 En réalité, ils renvoient davantage à des charlatans religieux, ce qui était un phénomène bien connu et méprisé dans l’Antiquité, cf Note 548.

659 APULEE, Métamorphoses, VIII, 28, sed ubi tandem fatigati vel certe suo laniatu satiati pausam

canificinae dedere, stipes aereas immo vero et argenteas multis certatim offerentibus sinu recepere patulo nec non et vini cadum et lactem et caseos et farris et siliginis aliquid, et nonnullis hordeum deae gerulo donantibus, avidis animis conradentes omnia.

« Quand enfin, épuisés, rassasiés en tout cas de se déchirer les chairs, ils interrompirent cette boucherie, ce fut à qui leur offrirait des pièces de cuivre, voire d'argent, qu'ils recevaient dans les plis ouverts de leurs robes, ou encore une cruche de vin, du lait, du fromage, un peu de farine ou de froment ; quelques-uns donnaient de l'orge au porteur de la déesse. Eux râflaient le tout avec avidité ».

660 APULEE, Métamorphoses, IX, 8, ad istum modum divinationis astu captioso conraserant non parvas

pecunias.

« Nos devins, par leur captieuse astuce, avaient ramassé de cette façon des sommes non méprisables ». 661 Cf TRINQUIER, 1999, 257-277. Loin de reproduire un τόπος unique, dans une relation par conséquent peu

crédible, Apulée combine librement différents stéréotypes, afin de présenter une image attendue d'un repaire de brigands. Le motif du locus horridus ne constitue pas la cible de son ironie, qui vise plutôt les codes littéraires du genre historique et la forme de l'ἔκφρασις.

662 APULEE, Métamorphoses, IV, 8, nam et ipsi praedas aureorum argentariorumque nummorum ac

vasculorum vestisque sericae et intextae filis aureis invehebant.

« Car ils apportaient, eux aussi, un butin composé de pièces d'or et d'argent, de vases, d'étoffes de soie tissées de fils d'or ».

P

L

nous rappelle Milon par son avarice et son extrême richesse, même si la qualité de

Chryseros est supérieure663. Les voleurs semblent dotés d'une capacité particulière à

détecter les ressources monétaires des personnes. Cette aptitude à voir à travers les apparences n'est tournée que vers l'argent car quand Tlépolème se présente à eux sous une fallacieuse identité, leur don ne leur sert plus à rien, à cause de la présence de l'argent. La deuxième cible est un riche évergète Démocharès. Celui-ci leur achète un faux ours qui est

un nouvel exemple de cheval de Troie664. La facilité avec laquelle Démocharès a su sortir

l'argent et acquérir l'ours sans se poser de questions augure du résultat de l'aventure. Le plan semble en marche et en mesure de fonctionner. Et lorsque les brigands s'introduisent dans la demeure, les consignes sont claires. Comme l'ours sera là pour effrayer tout le

monde, il ne reste plus qu'à s'occuper de l'argent665. Les événements ne vont pas tourner en

la faveur des voleurs. Ce que nous pouvons remarquer est l'association récurrente d’aurum et d'argentum qui sont toujours présentés dans cet ordre comme pour commencer par le

plus important, tout en n'oubliant pas ce qui lui est implicitement relié666. Cela se retrouve

non seulement chez les voleurs, mais aussi concernant Milon. Et pourtant ce sont des groupes tout à fait distincts, mais encore une fois l'argent relie les hommes quelle que soit leur condition. C’est un lien à la fois omniprésent et souvent corrupteur du lien social.

'histoire du cuiusdam pauperis667 allie condition sociale faible, tromperie

féminine et critique de la société. Elle met en scène une vente d'un objet de peu de valeur mais qui est l'un des seuls biens dont dispose le couple. La bonne volonté du mari est mise à mal par la duplicité de la femme. Alors que le mari revient chez lui dans le but de vendre une jarre et ainsi d'apporter de l'argent au ménage, la

663APULEE, Métamorphoses, IV, 9, denique solus ac solitarius parva sed satis munita domuncula contentus,

pannosus alioquin ac sordidus, aureos folles incubabat.

« Bref, seul et retiré, se contentant d'une petite maison, modeste mais bien fortifiée, couvert lui-même de haillons et d'extérieur sordide, il couchait sur des sacs d'or ».

664APULEE, Métamorphoses, IV, 16, qui miratus bestiae magnitudinem suique contubernalis opportuna

liberalitate laetatus iubet nobis protinus gaudii sui <ut ipse habebat> gerulis decem aureos e suis loculis adumerari.

« Il admire la taille de l'animal et, ravi de la générosité si opportune de son camarade, il nous fait compter, séance tenante, dix pièces d'or tirées de sa cassette, comme aux porteurs, croyait-il, d'un sujet de joie pour lui ».

665 APULEE, Métamorphoses, IV, 18, iubeo singulos commilitonum asportare quantum quisque poterat auri

vel argenti et illis aedibus fidelissimorum mortuorum occultare propere rursumque concito gradu recurrentis sarcinas iterare.

« J'ordonne à chacun de nos camarades d'emporter tout ce qu'il pourra d'or et d'argent, de le cacher bien vite dans la demeure des morts, gardiens incorruptibles, et de revenir au pas de course pour un nouveau convoi ».

666 Voir le chapitre 1.

667APULEE, Métamorphoses, IX, 5, « un pauvre qui fut fait cocu ».

femme dit avoir déjà vendu le même objet à un prix supérieur668. Mais la malignité de la femme ne s'arrête pas là. Non contente de ridiculiser son mari pour préserver son amant,

elle se donne de façon perverse à son amant sous l'oeil de son mari669. La femme d'un

niveau déjà bien bas se rabaisse encore en se prostituant comme le laisse entendre aes de

malo habere. L'argent est ici un moyen de tromper doublement le mari. D’un côté, la

femme cache son adultère en faisant croire qu’elle était en train de réaliser une vente d’un objet, ce qui est faux ; d’un autre côté, l’adultère devient un acte qui lui attire des revenus et en cela il devient de la prostitution. Bien sûr le prix évoqué est très faible. Dans cet environnement, cela montre à quel point les individus sont avides de ressources, prêts à tout pour quelques pièces. Encore une fois l’argent est présent dans des cas où les apparences sont trompeuses. Est-ce pour permettre de les révéler d’autant mieux ou cela ne fait-il qu’embrouiller les personnages et le lecteur ?

L’exemple du Cuiusdam pauperis annonce le cas suivant, celui de la femme de Barbarus. Dans cette seule histoire, l'argent fait douze apparitions directes. L'argent est l'élément clé du récit puisque c'est à cause de lui que Myrmex, l'esclave de Barbarus, devient déloyal envers son maître. La femme n'est pas en reste non plus, même si elle n'est pas placée au premier plan. Au départ de son mari, Philésithère cherche par tous les moyens à l'approcher et la faire céder à ses avances. Face à la résistance persistante de l'entourage de la femme, il utilise le seul moyen auquel personne ne peut résister,

l'argent670. Le choix est de privilégier le point de vue de l'esclave. C'est lui que le maître a

668APULEE, Métamorphoses, IX, 6, istud ego sex denariis cuidam venditavi, adest ut dato pretio secum rem

suam ferat. (…) Istum virum ac strenuum negotiatorem nacta sum, qui rem, quam ego mulier et intra hospitium contenta iam dudum septem denariis vendidi, minoris distraxit.

« Je l'ai vendue six deniers, et voici le client qui vient en payer le prix et emporter son acquisition. (…) Le grand homme que j'ai là, et l'habile commerçant ! Un objet que, simple femme et sans sortir de chez moi, j'ai, voilà un moment, vendu sept deniers, il s'en est défait pour moins ».

669APULEE, Métamorphoses, IX, 7, quin tu, quicumque es, homuncio, lucernam' ait 'actutum mihi expedis,

ut erasis intrinsecus sordibus diligenter aptumne usui possim dinoscere, nisi nos putas aes de malo habere ?' (…) purgandum demonstrat digito suo, donec utroque opere perfecto acceptis septem denariis calamitosus faber collo suo gerens dolium coactus est ad hospitium adulteri perferre.

« 'Dis donc, bonhomme, qui que tu sois, donne-moi vite une lampe, que je puisse gratter soigneusement les saletés qui sont à l'intérieur et me rendre compte si elle est encore propre à quelque usage. Ou penses-tu que notre argent soit de l'argent volé ? (…) elle lui désigne du doigt les endroits à nettoyer, jusqu'au moment où, la double besogne achevée et les sept deniers payés, le calamiteux ouvrier fut obligé de charger la jarre sur ses épaules et de la porter jusqu'au domicile du galant ».

670APULEE, Métamorphoses, IX, 18, certusque fragilitatis humanae fidei et quod pecuniae cunctae sint

difficultates perviae auroque soleant adamantinae etiam perfringi fores, opportune nanctus Myrmecis solitatem (…) porrecta enim manu sua demonstrat ei novitate nimia candentes solidos aureos, quorum viginti quidem puellae destinasset, ipsi vero decem libenter offerret.

« Sachant bien que la fidélité humaine est chose fragile, qu'il n'est aucun obstacle qui résiste à l'argent et qu'on voit l'or forcer jusqu'aux portes d'acier, il saisit un moment où Myrmex est seul (…) étendant la main, il lui montre des écus d'or neufs et brillants ; vingt étaient destinés à la jeune femme et, à Myrmex

laissé comme garant de sa fidélité, donc c'est sa facilité ou non à céder qui va être traitée. Cela réduit lourdement l'importance de la femme dans tout cela. L'esclave, quant à lui, dès

qu'il entend et voit l'argent, entre en conflit intérieur671. Ce seul passage est rempli de

nombreuses références à l'argent. Le dilemme éprouvé par l'esclave n’est-il pas un moyen de dissoudre une fois de plus la frontière entre les catégories sociales ?

Un autre esclave se trouve mêlé à une affaire d'argent : l'esclave de la belle-mère. Dans ce récit, l'esclave se fait l'homme de main de la belle-mère et va trouver un médecin qui lui fournira un poison contre rémunération. Cela annonce le récit de la criminelle du livre X, 23-28. Or ici, l'argent sert de révélateur au crime perpétué par la femme et son

esclave, grâce à une précaution prise par le médecin672. L'argent n'est pas considéré comme

un élément que l'on recherche mais c'est l'élément grâce auquel la vérité fait surface. La valeur de l'argent est particulièrement positive dans ce récit. Finalement, l'argent est donné

en récompense au médecin673. L'argent semble dans ce récit parvenir naturellement à celui

qui ne le poursuit pas. Cela ne permet-il pas de conduire le lecteur dans la quête de la vérité sur les êtres et les realia ?