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trangement concernant Lucius, les mots concernant l'argent se trouvent très peu au début de l'oeuvre. Nous ne commençons à voir des apparitions de l'argent que lors des cérémonies d'Isis. Cependant nous pouvons arriver à dégager trois thèmes différents : Lucius, une marchandise vendue par ses différents possesseurs ; Lucius et la prostitution ; et finalement Lucius et la religion Isiaque.

En tant qu'élément qui passe constamment de main en main surtout à partir des livres VII, Lucius peut lui-même être considéré comme un objet, une marchandise mise en vente au bon gré de ses propriétaires. On ne cesse d'énumérer à quel prix il a été vendu. C'est cette question de l'argent qui a su le maintenir vivant en différentes occasions. Lorsque le petit esclave a voulu le tuer, par cruauté, les voisins s'y sont opposés en proposant l'émasculation pour pouvoir continuer d'en tirer profit. Dans bien des occasions, les hommes abusent de lui et tirent profit de lui : la meunière, ses différents maîtres, le gardien (esclave de Thiasus)...

Or, Lucius est non seulement utilisé pour les travaux agricoles mais aussi pour d'autres travaux physiques où sa personne entière est engagée. Ainsi, dès l'aventure avec Photis, nous percevons l'importance du thème de la luxure qui réapparaît avec les nombreuses femmes adultères. S'y trouve déjà le thème de l'argent avec les dépenses engagées autour des plaisirs de la table, comme préliminaires aux jeux de l'amour. Plus tard, Lucius entame des tentatives pour s'approcher des juments, en pure perte. Finalement, lorsque les cuisiniers et leur maître Thiasus découvrent les capacités de Lucius, apparaît une matrone. Ce personnage apparaît d’ailleurs très peu caractérisé dans le récit, comme pour le dépersonnaliser, le déshumaniser, en prévision de l’union monstrueuse qui va avoir lieu. Lucius se trouve prostitué avec comme

leno, le gardien de cellule. Il ne touchera même pas à l'argent de la performance. La question

des gains du gardien430 fait de Lucius un objet dont on se sert pour obtenir une rétribution. La

scène avec la dame de haut rang semble de prime abord positive. Pourtant Lucius n’est pas dans un état normal : il se livre au côté charnel et passionnel de son être. Par contre, l'idée de reproduire un tel acte en public et de plus avec une criminelle, dans un lieu qui annonce la mort, interpelle Lucius. C'est à moment qu'il se réveille et que ses aventures prennent fin. Cela laisse cependant de nombreux doutes sur le personnage de Lucius, son rapport à l'argent et ce qu'il faut vraiment penser.

430APULEE, Métamorphoses, X, 19.

n conclusion, nous avons tenté de mettre en évidence la complexité du thème de l'argent. Bien que les termes, appartenant à ce thème, n’ont pas en eux-mêmes une valeur négative, leur entrée en confrontation avec les êtres humains charge ce lexique d’une connotation péjorative. Mais l’or, l’argent et les objets précieux sont des éléments de nature et de valeur différentes. L’or est au sommet de tous les autres éléments. Il est de valeur supérieure et est accompagné d’autres objets, matières et notions de prix. L’argent lui est inférieure mais est souvent présent avec lui. D’autres métaux comme l’as sont présents. Cela vient caractériser la société en présence et fait écho à la société contemporaine à Apulée. Suivant qui elle désigne, le contexte, la relation qu’elle implique, la terminologie n’est pas innocente. La notion agit sur le cadre, sert les descriptions, permet de donner substance au récit. D’un autre côté, les histoires des personnages lui sont liées. L’or, l’argent, les richesses exacerbent le caractère sensible et passionnel des êtres humains. Cela fait bien évidemment écho à la philosophie platonicienne et, notamment, à l’allégorie de la caverne. L’interaction de l’être humain avec la thématique financière l’oblige à se positionner vis-à-vis d’eux. Or cela les confronte à leur nature et à leurs limites. Le lexique en présence invite une lecture renouvelée des Métamorphoses. Il interroge sur ce que sont et ce que font les êtres et les realia dans l’œuvre. Utiliser tel mot plutôt que tel autre est déjà un choix, une façon de se positionner. Apulée opère son œuvre par petites touches, créant un cadre, offrant des jeux de miroirs, posant des questions, mais proposant peu de réponses évidentes. Mais c’est surtout son lecteur qu’il place en position d’acteur de sa compréhension des Métamorphoses. Quelle société dépeint-il dans son œuvre ? Ou plutôt, quelles sociétés dévoile-t-il au lecteur petit à petit à travers les différents personnages et lieux de son récit ? Essayons alors de nous interroger sur la société fictive ou potentiellement réelle construite par Apulée et mise au contact de l’argent dans les Métamorphoses.

DEUXIÈME PARTIE : LE MONDE DE

'œuvre d’Apulée porte en elle-même les germes de nombreuses réflexions. L’argent peut permettre d'aborder de façon différente tous les thèmes qui posent problème dans les Métamorphoses : la religion, la philosophie, les récits de Lucius et leur signification. Implicitement, le lecteur contemporain des Métamorphoses se trouve propulsé dans un univers étrange et familier. Quels sont les référentiels que fait intervenir Apulée ? Cette interrogation a tout son sens pour comprendre les rapports que la société apuléenne entretient avec l’argent. Dans quelle mesure l’univers apuléen est-il marqué par les lieux réels et par la société de l’époque de l’auteur ? L’argent est-il une donnée intemporelle, universelle ou plutôt un marqueur spécifique à un lieu et à une époque ? Poser la question de la société considérée nous amène à nous plonger dans l’histoire économique, politique et sociale de l’Empire romain du IIè siècle après Jésus-Christ. Suivant le statut de la personne considérée, sa relation à l'argent sera-t-elle envisagée de la même façon ? Dans la pensée romaine antique quel rapport à l'argent existait-il selon la catégorie sociale à laquelle on se référait ? Même s'il s'avère difficile de dégager des catégories clairement définies dans lesquelles regrouper les différents personnages des Métamorphoses, il est évident que de nombreuses classes sont mélangées : les esclaves, les affranchis, les travailleurs, les manieurs d'argent, les hommes d'affaires, les soldats, les voleurs, les prêtres, les propriétaires fonciers, la

nobilitas, les dieux. Tous ces groupes entrent en relation avec l'argent. Bien sûr le degré

d'imprégnation est divers et la relation à l'argent de chacun est de nature différente mais l'argent est un élément commun à tous. Ce qu'il ressort de la société des Métamorphoses est la volonté de mélange de la part d'Apulée. Cela correspond tout à fait au sujet même de l'oeuvre avec ce personnage ni tout à fait humain, ni tout à fait animal. D'ailleurs si nous cherchons simplement à définir le statut social de Lucius en tant qu'homme, nous trouvons peu d'éléments précis. L'ordre des choses et des êtres est constamment remis en question. Il paraît en ce sens peu surprenant que l'ordre social soit perturbé. Nous essayerons dans un premier temps de mettre en relation l’univers d’Apulée avec la société réelle de son époque. Par la suite, nous examinerons comment l'argent est évoqué et quelle(s) signification(s) il peut en découler sur le récit et les personnages.

CHAPITRE PREMIER